Lettre n°16 | À nos ivresses & aux Bacchantes | Poésie des ancêtres
Petit blanc
(chanson créole)
Poème choisi, transcrit, légèrement modifié
& commenté brièvement
par Dina Sahyouni
Crédit photo : "La Belle Créole" label, peinture trouvée sur Wikimedia.
Un petit blanc que j'aime
En ces lieux est venu,
Oui, oui, c'était lui même,
C'était lui, je l'ai vu.
À la pauvre négresse
Il porte le bonheur,
Elle voudrait sans cesse
Le presser sur son cœur.
Petit blanc, mon bon frère,
Ah ! ah ! petit blanc si doux,
Il n'est rien sur la terre,
D'aussi joli que vous.
Sitôt que l'ombre cesse,
Que le ciel est en feu,
Vous me dite : négresse
Reposez-vous un peu.
Vous, bon, toujours le même,
Jamais ne me battez,
Et quand je vous dis j'aime,
Vous, blanc vous m'écoutez.
Petit blanc, etc.
Si belle est vôtre bouche,
Vos cheveux sont si doux,
Lorsque ma main les touche
Mon cœur en est jaloux :
Votre regard m'enchante
Comme le plus beau jour,
Et votre voix touchante
Me fait mourir d'amour.
Petit blanc, etc.
Le poème ci-dessus a été publié dans l'opus La Bacchante : almanach chantant pour la présente année, Paris, chez STAHL, Imprimeur-Libraire, Quai Saint-Michel, n° 15, 1834, pp. 45-46. L'ouvrage appartient au domaine public et se trouve sur le site de Gallica.
Ce "poétexte" journalistique emploie le chant élogieux d'amour pour résister aux abus de l'esclavage et pour contourner les méfaits des excès de l'égoïsme de se croire vainqueur lorsqu'on est vaincu par l'amour.
Ainsi, ce chant témoigne aussitôt non seulement de la division sociale et ethnique (voire raciale) mais aussi éthique entre des êtres qui ne se voient qu'à travers leurs différences morphologiques insignifiantes devenues essentielles...
La chanson peut aussi être une propagande faite par les blancs à leur gloire et censée renforcer leur pouvoir sur les personnes colonisées et réduites à l'esclavage. Une enquête sur l'origine de la genèse de cette chanson et sa circulation parmi la population nous renseignera certainement sur sa portée exacte. Néanmoins, ce chant dont on ignore tout, dit une chose importante : il permet surtout de penser d'ambiguïté et les ambivalences entre le "petit" maître "blanc" ethiquement et la grandeur de la "négresse" dévouée. L'amour philanthropique ou charnel renverse la situation et accorde la grandeur à une femme dominée par un homme qui de ce fait devient vaincu et renvoyé à sa petitesse comme l'explique fort bien le titre "Petit blanc" qui dépasse par sa signification la simplicité d'une expression affective d'affinité et de proximité amoureuse.
***
Pour citer ce chant d'amour
La Bacchante..., « Petit blanc (chanson créole) », poème de La Bacchante : almanach chantant pour la présente année (1834), a été choisi, transcrit & commenté brièvement par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°16, mis en ligne le 15 juin 2021. Url :
http://www.pandesmuses.fr/lettreno16/b-petitblanc
Mise en page par Aude Simon
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