Invitée |
Article reproduit |
Réponse à la conversation entre
Patricia Godi & Camille Aubaude
(texte publié dans la Lettre n°2***)
|
Sylvie Fabre G Texte reproduit avec l'aimable autorisation de l'autrice et de la revue Poezibao |
Je viens de lire la conversation entre Patricia Godi et Camille Aubaude qui m’a beaucoup intéressée et fait repenser aux discussions de Sorcières, aux réactions des journalistes sur ma poésie, aux propos de certains éditeurs aussi sur l’absence de figures d’envergure dans la poésie de femmes… Ce que vous dites aussi sur la poésie classique et lyrique me ravit car on m’a reproché une écriture dont je revendique l’héritage : Sapho, Louise Labé, Christine de Pisan, Marie-Noël, Marceline Desbordes-Valmore, Anna de Noailles, Nathalie Barney, Renée Vivien, et tant d’autres. Je vous envoie une réponse faite à une enquête de Poezibao, il y a plusieurs années mais qui n’a guère eu de suites. Ce serait intéressant d’y revenir....
•••••••••
La question de l’écriture des femmes, de sa singularité, et de la place qu’on lui accorde dans la production poétique me taraude depuis l'époque de Sorcières* où nous en débattions dans les réunions de la revue et les groupes-femmes. C’est une chance que vous la reposiez car les réponses apportées ne sont jamais définitives. Je vais essayer maintenant d'en parler à partir de ma propre expérience.
Le milieu de la poésie, contrairement à celui des romans, est surtout masculin, les poètes et les éditeurs sont en majorité des hommes et, parmi ces derniers, certains semblent convaincus qu'il n’y a pas, ou si peu que ce n’est même pas la peine d’en parler, de femmes-poètes de qualité. Il existe parfois chez eux et chez d’autres cet a-priori : une femme ne peut pas être un grand écrivain... Au Marché de la poésie, il y a quelques années, j'ai même entendu soutenir par l’un des plus éminents qu’il n’existait pas actuellement de poète-femme intéressante, du moins dans la francophonie. Comment expliquer de telles affirmations ?
Jean-Pierre Sintive, qui n'est pas du tout misogyne, reconnaissait n'avoir que quelques femmes dans son catalogue des Éditions Unes quand il m'a publiée et lorsque je lui ai demandé pourquoi il m'a répondu sur la qualité des manuscrits reçus et son propre étonnement. Louis Dubost m’a avoué sa fierté d'avoir découvert pas mal de femmes poètes... Mais aucun des deux n’a répondu à la question d’une spécificité de l’écriture des femmes.
Les lectures m’ont apporté d’autres interrogations. J’ai découvert les réactions surprenantes de spectateurs-lecteurs s’émouvant qu'une femme puisse écrire une poésie du sens et du sensible, métaphysique et à portée universelle ; quelques-uns sont venus me féliciter comme si j'étais un phénomène ! Cela m’est arrivé plusieurs fois ces dernières années ! La poésie féminine est toujours suspectée de sentimentalisme, de plat quotidien, de mièvrerie... Dans les rencontres, on me pose régulièrement la question de l’existence d’une écriture féminine. On ne demande pas aux poètes masculins si leur poésie est masculine, elle a déjà sa légitimité en soi !
Tout cela est complexe et s’explique par l’histoire de la femme, par l’image que chacun s’en fait, par le genre de parole qu’on lui a accordé pendant des siècles. Le temps consacré à la création, quand il est possible, et même encore aujourd’hui, est vécu le plus souvent, par les femmes elles-mêmes et par leur entourage, comme du temps volé à la famille ou à la société. Ce n’est pas le cas pour les hommes à qui on reconnaît d’emblée la puissance de création et la place du créateur. Dans ces conditions, il est normal, pour revenir à votre question, qu’il y ait encore peu de femmes poètes de très grande stature. Elles sont au début de leur prise de parole poétique et autre. Il faut leur donner le temps de laisser leur nom dans la littérature en espérant que celle-ci continue à vivre et que leur voix ne soit pas encore, ou de nouveau, étouffée...
Le monde économique, politique, artistique, philosophique a toujours été fait par les hommes. Pendant des siècles, on a systématiquement empêché les femmes d'être éduquées autrement que pour satisfaire certaines fonctions biologiques ou occuper certains rôles sociaux, on leur a refusé de travailler, de s'instruire, de voter, de parler, de penser, de peindre, de sculpter, d'écrire et de publier. Il est normal qu'on en trouve peu dans les anthologies littéraires ou artistiques et dans les catalogues des maisons d'édition. Les choses commencent à changer en Occident depuis les années soixante environ mais les femmes sont encore partagées entre le désir d'avoir des enfants, les tâches ménagères, la nécessité de travailler pour une indépendance financière ; elles manquent de temps et les choix qu'on leur propose sont souvent impossibles à faire.
Pour ma part j'ai voulu avoir des enfants, m'en occuper vraiment, j'ai dû travailler à plein temps et forcément j'ai aménagé l'espace de la création en fonction de tous ces impératifs. Pendant l'enfance de mes enfants, le premier maternage, j'ai écrit mais d'une façon solitaire et souterraine. Le fait que j'écrive n'était pas pris en compte par mon entourage, avoir une chambre à soi ne va pas de soi et les résistances intérieures et extérieures sont grandes encore, j'ai donc attendu pour envoyer mes recueils d'avoir quarante ans ; avant j'ai publié en revues,— merveille de Sorcières qui accueillait la parole des femmes ! —, et en anthologies mais je n'avais pas le temps, la force aussi sans doute d'affronter le parcours éditorial. Un jour, plusieurs manuscrits terminés, les enfants grandis, j'ai senti que c'était possible, nécessaire, vital même et j'ai envoyé L'Autre Lumière aux éditions Unes car j'avais lu A. Pizarnik dans cette édition. J'ai eu beaucoup de chance avec Jean-Pierre Sintive, éditeur merveilleux qui m’a donné confiance par son absolue confiance en mon écriture. Plus tard sont venus Thierry Renard, Louis Dubost, Claude Rouquet et maintenant Jean Princivalle si accueillant.
L'histoire bouge, celle de la poésie des femmes a commencé il y a longtemps avec les grandes voix qui nous arrivent du passé. Elle sera encore longue avant qu'on accède à l'absence totale des préjugés et qu'on entende la voix des femmes aussi fort que celle des hommes. Quant à la question de la spécificité de leur parole et de leur écriture, je répondrai en disant que tous nous parlons et écrivons, traversés par un destin collectif et personnel, avec notre part charnelle et spirituelle, notre sexe, notre origine, notre culture et notre histoire petite et grande, avec et dans le bruissement du monde et de ses langues, mais aussi au-delà dans cet invisible qui fonde notre visible. Chaque voix poétique, homme ou femme qu'importe, est différente et irremplaçable, chaque poète apporte sa pierre à l'édifice humain.
Il y a et il y aura, de plus en plus nombreuses, de grandes poètes-femmes si nous parvenons à gagner notre liberté, notre vérité et notre reconnaissance d’être et de langage. Je l’espère car la poésie œuvre pour cet avenir et nous déborde**.
*Ndlr : revue
** Url. http://poezibao.typepad.com/poezibao/2006/10/enqute_de_poezi.html
*** Il s'agit de l'article suivant : «Voix contemporaines. Conversation entre Patricia GODI & Camille AUBAUDE à l'Université de Clermont-Ferrand Centre de Recherche sur les Littératures et la Sociopoétique (CELIS), 2012» (1ère partie) & « Voix contemporaines... 2ème partie »
Pour citer ce texte |
Sylvie Fabre G, « Réponse à la conversation entre Patricia Godi & Camille Aubaude (texte publié dans la Lettre n°2) », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Le printemps féminin de la poésie », Hors-Série n°1 [En ligne], sous la direction de C. Aubaude, L. Delaunay, M. Gossart, D. Sahyouni & F. Urban-Menninger, mis en ligne le 10 mai 2013. Url.http://www.pandesmuses.fr/article-reponse-a-la-conversation-entre-patricia-godi-camille-aubaude-117449626.html/Url.http://0z.fr/2OWIY
|
Auteur/Autrice
|
Sylvie Fabre G, née à Grenoble en 1951, deux enfants, professeur de lettres à Voiron en Isère, publie depuis 1976. Elle a été traduite en anglais, espagnol, portugais, grec, allemand et italien. Sylvie Fabre G anime ponctuellement des ateliers d’écriture, participe à de nombreuses lectures, rencontres, expositions. Rédige des notes de lecture pour sites et revues. Elle aime travailler avec des artistes et pratique la photographie.
Bibliographie
Livres publiés : aux Éditions UNES (L’Autre Lumière, 1995; La Vie secrète, 1996; Le Bleu, 1997; Dans La Lenteur, 1998), aux Éditions PAROLES d’AUBE (Première Éternité, 1996), aux Éditions Le VERBE et L’EMPREINTE (L’Heureuse Défaite, gravures M. Pessin, 1997; Lettre de la mémoire, photos S. Bertrand, 2000; D’un mot, d’un trait, avec F. Cheng, 2005; Neiges, gravures M. Pessin, 2012), aux Éditions du FELIN, collection P. Lebaud-Kiron (L’Isère, 1999), aux Éditions VOIX D’ENCRE (Le Livre du visage, Lavis Colette Deblé, 2001), aux Éditions LE DE BLEU (L’Approche infinie, 2002); aux Éditions L’AMOURIER (Le Génie des rencontres, 2003; Quelque chose, quelqu’un, 2006; Frère humain, suivi de L’autre lumière en réédition, 2012), aux Éditions L’ATELIER DES GRAMES (Le passage, aquarelles Thémis, 2008), aux Éditions L’ESCAMPETTE (Les Yeux levés, 2005; Corps subtil, 2009), aux Éditions LE PRE CARRE (Deux Terres, un jardin, 2002; L’inflexion du vivant, 2011, De petite fille, d’oiseau et de voix, 2013) Livres d’artiste : L’Autre Lumière (exemplaires de tête : peintures de Solange Triger), 1995; La Vie secrète (exemplaires de tête : photographies de Léopold Trouillas), 1996; Dans La Lenteur (exemplaires de tête : peintures de Solange Triger), 1998; Le Bleu, aquarelles de Maurice Rey, éd. Unes 1997; L’île, livre manuscrit peint par Anne Slacik, 1997; Monographie Jean-Claude Bligny, Poèmes, 1995; La Fugitive, gravures de Mariette, éd. La maison de Mariette, 1996; Le Visage, collages de Sylvie Planche, 1997; Icône de la femme, dessins de Colette Deblé, 1998; Lettre horizontale pour Bernard Noël, aquarelle de Frédéric Benrath, 2000; Le Scribe, éd. Le Verbe et l’empreinte, gravures et estampages de M. Pessin 2001; Lettre du bleu, livre manuscrit peint par Anne Slacik, 2002; Nous avons ce destin d’être appelés, éd. Le Verbe et l’empreinte, gravures de M. Pessin 2003; Les excès du présent, photographies accompagnées de poèmes de M. Benhamou, 2003; La mesure, l’infini, livre-objet avec dessins, encre, collage de Juan Frutos, 2003; Gran Corpas, éd. Mains-soleil, peintures de F. Rebeyrolle, collages peints de L. Ronda-Diaz (2004); Quelque chose, quelqu’un, éd. Urdla, 4 gravures de F. Benrath 2004; Lettre du geste, accompagnée de poèmes de F. Cheng et de gravures de M. Pessin, œuvre collective 2005; Sur le front pur de la toile, livre manuscrit peint par Anne Slacik 2005; Les yeux levés, livre manuscrit peint par Fabrice Rebeyrolle 2006; Carnets, dessins d’I. Raviolo 2006; Les hirondelles, encres de Guerryam, 2006; Ce qui se passe en nous, peintures de F. Rebeyrolle, éd. Mains soleil, 2007; Enfant mon inconnu, livre-objet de Mariette 2009; Voix d’extinction, photographies d’Éole, 2011; Neiges, gravure de M. Pessin, éd. Le verbe et l’empreinte, 2011; L’envol, c’est un pays, encres de C. Margat, éd. Les Cahiers du museur, 2011; Feuille à feuille, encres de Guerryam, 2012; En langue d’oiseau, Peintures de Guerryam, éd. Les Cahiers du museur, 2012; La solitude est une apothéose, Photographie de Berthe, éd. Le Verbe et l’empreinte, 2012
Publications en revues depuis 1976 : Sorcières (Lieux, Désir, La Mort, La Saleté, Enfant, Nouvelles et autres, notes de lecture dans différents numéros de 1976 à 1981), Aube-Magazine (Italianités, La Parole lumineuse, Chant de bataille, Tout ce qui brille, Sida de 1980 à 1990), Voix d’encre (La rencontre, D’amour et de nuit), acchanales (numéro 6 et La Mer entre par la porte), Arpa (numéros 60, 69,75), L’Arbre à paroles (Belgique : De la mort à mourir, Pour rencontrer le paysage, D’elle, Des mots, Des ailes, Mimy Kimet, L’œil au balcon 1995-2002), Le Journal des poètes (Belgique : 97), Aires (Déchiffrement), Poésie-Rencontre (98, 02), Lieux d’être (Un peu d’elles, Nuits, Correspondances, Le bonheur existe 1999-2005), Poésie 98 (Fleuves), Le Croquant (juin 98), Poésie en voyage (La Porte : Le livre, L’entre-deux, Lettre horizontale), Sémaphore (CIDELE 2002,2003, 2004), Midi (2000-2OO3,2004, 2005), Verso (2003), Cahiers de la Mapra (Lyon 2003), Liberté (Québec), Versodove (Italie), Hablar, Falar de poesia (Espagne, Portugal), Les Cahiers de la danse, Lyon capitale, Coup de soleil (58, 60), Le Nouveau Recueil (Modernes élégies, 2005), Nunc (2005, 2009), Estuaire (2006, Le chant des villes : Québec), Lieux d’être (2006), Thauma (Éros, 2007, Le corps 2008, La joie 2009), Serta (Espagne : Une tâche terrestre, Pour Fabio Scotto, 2007), Il Segnale (Italie, Milan : Les yeux levés traduction F Scotto 2008), Lieux d’être (la solitude 2008), Diérèse (inédits, 2009, 2010), Ca presse (URDLA, 2009), Thauma (Oiseaux, 2010), Lieux d’être (Pour le plaisir 2010), Nunc (20 et 22, 2011), Thauma (« L’air » 2012), Europe (993 et 995, 2011 et 2012), Thauma « Patience » 2013, Diérèse N. (Diéterlé, 2013), Coup de soleil (2013)
Publications dans des périodiques numériques et des sites : Poezibao (Anthologie, notes de lecture, entretiens…), Terres de femmes (Anthologie, notes de lecture, chroniques, critique artistique…), Printemps des poètes (Anthologie, inédits…), Présente dans Libr’critique, Recours au poème, Poésie maintenant, Bleu de terre, Le Matricule des anges, France–Culture, La Cause des causeuses, Revue Europe, Revue Le Nouveau Recueil, le Basilic…
|