2ème partie
Invitées Entretien |
Voix contemporaines
Conversation entre
Patricia GODI & Camille AUBAUDE à l'Université de Clermont-Ferrand Centre de Recherche sur les Littératures et la Sociopoétique (CELIS), 2012
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©Crédit photo : Camille Aubaude
La Madriguera
L’âme aveuglée par des ordinateurs meurt
Dans un cercle en béton, l’aéroport de Miami
Où des cristaux liquides terrassent les êtres
Comme les vastes et sombres forêts jadis.
Des king burger, restaus interplanétaires
Chauffent des pizzas arrosées de coca ;
Les écrans télé endorment les mangeurs
De poulets en batterie nourris de blé trafiqué.
Un centre d’affaires aux parois en miroir
Ne reflète que des êtres en basket, décor
De prestige au-dessus des voies malodorantes
Où les pauvres attendent les bus publics.
Un douanier confisque la bouteille d’eau
D’une passagère sur un fauteuil roulant.
Elle a mal à l’estomac. Il l’autorise à boire
Si elle revient en arrière, traverse la foule,
Se déshabille hors de la zone de contrôle,
Où elle vient d’enlever sacs, gilet, manteau,
Bijoux, chaussures… Mickey, réveillez-vous !
Notre Terre n’est pas un enfer de peluche.
Pour mettre fin à ce destin, il faut payer.
Je prends le sight seingen bus et métro,
Un enfer plus faible puisque je suis de celles
Qui n’entrent pas dans l’engrenage de l’argent.
Une américaine d’origine irlandaise
Est assise sur un banc, un fichu sur la tête,
Les joues rouges, attristée d’avoir perdu
Son âme, et la Terre, au milieu des tours.
Dans sa madrigueradu Nord poussent des fleurs,
Fruits et légumes, des arbres mêlés aux bêtes
Qui l’enchantent, elle y cultive la Poésie,
Rêve l’île des Caraïbes qu’elle habita.
Les gens sont naufragés, sans racines, aveugles.
Relayant la fidèle irlandaise, une nurse
Noire me guide dans le bus J. Sarcastique
Et rusée, elle part faire renouveler sa licence.
Elle espère être nurse à l’étranger, demande :
« A Paris, ils payent bien ? », et blâme Miami.
« Dans le bus vous êtes bien, dit la nurse,
Il y a des gens, mais dehors, tout est danger !
Demandez où il va le bus, souvent son trajet
Change ». J’attends longtemps le suivant,
Sur la banc, il y a une brochure en espagnol.
Un titre : « Crise de confiance généralisée. »
Un premier texte sur le lait trafiqué
Qui tue les bébés, puis au verso, on propose
La buena tierra, le « trésor » de la Bible,
Sous la plume des Témoins de Jéhovah.
C’est un quartier noir, sans « affaires », où peine
Un cul de jatte sur un fauteuil roulant.
Un homme titube et crie son épouvante.
En haut règne le vacarme du métro.
Je gravis l’escalier tandis que le bus passe.
Pas de Blancs sur le quai où surgit un paysage
De tours grises, ciel glacial, érection
De cercueils, rébus de l’abîme.
Maudites tours hurlant l’agonie d’un monde,
Matériaux gris qui bloquent les voies
De chaque côté, pièces éclairées au néon
Espaces « contemporains » gorgés de vanité
L’université de médecine où l’on vante
L’excellence des travaux sur le cancer
Et la paralysie. Recherche mise en vente
Pancarte condo.comrivalisent
D’idiotie, s’affichent sur les murs lisses,
Ciel de verre figé en métal gris. Je m’en fous,
J’ai le luxe du temps, liberté impétueuse
Quand ils meurent dans des tours ceintes de palmiers.
Palmiers, dauphins, zoos plaisants appellent
L’or dans le ciel des cyclones, et la nausée. L’« art »
S’écrit sur les murs, irise l’esprit fitness
Suspendu aux nerfs d’anciens et futurs clients.
La mer nul ne la voit au-delà des gratte-ciel
Qui empalent le ciel, mettent la Nature
En prison. Pub : Bahamas is better.
Terre vendue, air pollué, ô le bel art !
We hope you come back soon : des mots
Aux langueurs bâillonnées, cruelles dérives !
Un journal d’hier vante le grand Houellebecq
Tel un sociologue en tous lieux reconnu.
One world est la griffe de la compagnie
Dont les avions fendent le Ciel.
One worldest la parole vide du monde unique
Des thuriféraires d’un empire décapité.
Le crépuscule ne se voit pas des clapiers
Innombrables dans la jungle des tours grises,
Où robotisés, sans crier « ça m’est égal ! »
Des êtres hybrides vendent le bois des forêts.
Lima
Ainsi je me lève dans la nuit péruvienne.
Las ! il est cinq heures, ma vue est double et vaine :
J’ai ciselé des vers avant de m’endormir
Dans la chambre de l’enfant qui vient de partir.
Ni prière, ni hosannah ! Sur le bureau,
La photo étrange du visage aux yeux clos,
L’enfant de la casa de Surco et ces mots :
« Tu resteras toujours dans nos cœurs ».
Ô brouillards nocturnes, qu’elle est forte la nuit
Des chamans égorgés sur cette terre là !
Nuit des Incas, tu hantes le corps de l’enfant
Ravi, l’enfant-lyre blotti au fond des cœurs.
Tel un condor drapé de nuit, envoles-toi
Vers les Idoles : un trésor t’appelle, cours !
Emplis tes yeux de la cathédrale un si beau
Tabernacle, Soleil nouveau, vaisseau de Dieu.
La Vierge illuminée sourit dans les chapelles,
Met en ordre les cendres dans la crypte
Où mon pas s’étend, ombre du crépuscule
Sur la vitre qui retient crânes et tibias.
Il y a de petits cercueils et des reliques.
Un peintre conquistador a fixé les visages
Des Incas, Atahualpa et d’autres, ô Dieu !
Pour racheter l’infamie qu’est la mort du Juste.
Un jet de lait gicle du sein d’une Vierge.
Sainte Mort, tu n’es pas cruelle en fauchant
Tous ces croyants : ils ont assassiné l’Inca
Et ses pensées jamais enfermées dans un livre
Immense comme l’enfant drapé de nuit,
Créature magique d’un sentier dévasté
Où le Temps bruit des prières passées
Sur l’autel où le péché meurt à l’éternité.
Ô Dieu, je me lève dans la Nuit céleste.
Il est cinq heures, c’est l’heure où l’esprit me mène
A la Lorelei assouvie de sang : pour elle
J’écris aisément une prose au goût public.
Ah ! il est fort commun de se croire poète
Sans être revenu des terres insulaires
Et tel Atahualpa jeter la Bible par terre,
Chanter la légende des rois de Buenos Aires.
Vouée au déclin, à la décrépitude, je suis
La Sybille sans espoir au sommet d’un rocher
Cernée de démons qui délaissent au seul Dieu
Les jardins éternels, et médisent dans la haine.
Toutes auréolées par les feux de l’abîme
Leurs voix tranchantes découpent les belles heures
De la littérature. Je crains leur clémence
Et leurs ruses, fruits de la Mort et du péché.
A quelle joie est voué le chant de la Syrène ?
La passion de la scène est poussière de néant
Quand l’assaut prodigieux des Guerriers de l’Aurore
Fait siffler les combats à coups de lances d’Or.
Lima, Pérou
14 décembre 2010
©Camille Aubaude, Poèmes satiriques, éd. La Maison des Pages, 2009
L’Orgueil
Mes parents m’ont niée.
Les hommes m’ont châtrée.
Les femmes m’ont tuée.
L’Orient m’a éblouie
Mais se croit Occident,
Lequel cloue son cercueil.
Oh ! je meurs des bravades
D’hommes sans foi ni loi.
Dans ce temps, c’est mon Temps,
La Beauté n’est qu’Orgueil.
Ce temps où tout grandit
Banques, superpuissances,
Europe-Etats-Unis
Fait décroître la vie.
Une femme à La Havane,
Qui a quatre-vingt ans
En fait quarante tant
Ses luttes, ses livres
L’ont rendue forte quand
La Beauté n’est qu’Orgueil.
L’autre de Mexico
A l’air d’avoir cent ans :
Sa seule fille est morte.
Son fils est un fardeau
Mais son œuvre est immense !
N’oublie pas la Beauté,
Hisse haut ton amour
Jusqu’aux dieux, loin des armes.
Quand la misère est grande.
La Beauté n’est qu’Orgueil.
Vais-je porter la Chine
Et la Russie, les armes
Nucléaires, moi qui
Aime encore chanter ?
Inédit
Principales œuvres de Camille Aubaude
1985 - Lacunaire (poèmes)
1991 - Isis 1-7 (poèmes, 7 volumes),
- Anamorphoses d'Isis (doctorat, dirigé par Julia Kristeva)
1993 - Lire les femmes de lettres (essai)
1997 - Gérard de Nerval et le mythe d’Isis. Préface de Claude Pichois (essai)
- Le Voyage en Égypte de Gérard de Nerval (essai)
2000 - Anankê ou la Fatalité (poèmes)
2002 - La Maison des Pages. Préface de Claude Vigée (récit)
2003 - Ivresses d’Égypte (poèmes et proses)
- Poésies d’amour de Christine de Pizan (choix des poèmes, traduction et préface)
2004 - L’Égypte de Gérard de Nerval (recueil d'articles)
2005 - Gallia (récit)
2007 - Poèmes d'Amboise
2009 - Chant d’ivresse en Égypte, avec les lithographies de Danielle Loisel (poème, livre d'artiste)
- La Sphynge (poèmes)
2010 - Poèmes satiriques
2011 - Poemas de la Morada de las Paginas, (traduits par Rosario Valdivia et accompagnés d’un dessin de Gaëtan Brizzi)
- Le Promeneur du Mont aux Vignes, suivi du Tabernacle (poème et aphorismes, livre d’artiste avec Vivian O’Shaughnessy)
- Io, la Vache sacrée (épyllion en prose, livre d’artiste avec Vivian O’Shaughnessy).
2012 - Ballades ; Lorelei et la Lorelei du Nil ; La colère d’Ariane (poèmes et épyllions, livres d’artiste avec Vivian O’Shaughnessy)
- L’Ambroisie (épyllions en prose, poèmes…)
- Poèmes choisis (mini-livre)
- Le Messie en liesse(poèmes).
©Crédit photo : Couverture - Le Messie en liesse
Pour citer ce texte |
Patricia Godi et Camille Aubaude, « Voix contemporaines. Conversation entre Patricia GODI et Camille AUBAUDE à l'Université de Clermont-Ferrand, Centre de Recherche sur les Littératures et la Sociopoétique (CELIS), 2012 » 2ème partie, in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°2 [En ligne], mis en ligne le 11 avril 2013. Url.http://www.pandesmuses.fr/article-voix-contemporaines-2eme-partie-116974425.html/Url.http://0z.fr/nSEX2
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Auteur(e)s |
Patricia Godi & Camille Aubaude |