Lettre n°13 | N°8 | Dossier majeur | Florilège de textes poétiques
Habiter la vie & Pour elle
Habiter la vie
Des mois
qu’elle ne me reconnaît plus.
qu’elle ne sait plus
que je suis sa fille
Elle est ailleurs.
Un espace-temps
dont j’ignore tout.
Elle me fixe un instant.
Je cherche le détail
qui retient son attention
collier ? Coiffure ?
Le prénom que je répète,
le mien ou celui de ses petits-enfants ?
Elle a détourné les yeux
ni mes gestes
ni le son de ma voix
ne la ramènent à moi.
Je m’approche doucement
pour croiser son regard.
Une ombre passe
dans ses prunelles
quelque chose l’inquiète
ou lui déplaît.
Je caresse ses mains
ses cheveux
je cherche à établir
un contact.
En vain.
j’ouvre un magazine
elle regarde sans voir
soudain
elle tend la main,
vers une photo.
touche du doigt
les traits du visage
m’empêche de
tourner la page
Sa main seule
est capable
de dire non.
Depuis des mois
je la contemple
dans son silence
dans son endurance
à vouloir vivre
jusqu’au bout
du possible
et j’apprends
dans le doigt
qui se tend
dans le tremblement
des lèvres
de sa bouche muette
dans le frémissement
de la paupière
sur le regard perdu
j’apprends
cette force infinie
habiter la vie.
***
Pour elle
POUR ELLE
I
Longtemps je suis restée
immobile et muette
guettant son regard
ses mots et ses gestes
refusant les signes
d’un désastre à venir.
Maintenant je la vois
absente près de moi
dans la nuit qui l’entoure
elle ne dit rien, ma mère
ne dira plus jamais rien.
Son silence dans ses yeux
le mur de ses yeux
qui seulement brillent
à la vue d’un enfant.
Elle est toute raide
repliée dans son corps
les poings fermés
sur ses genoux serrés
elle ne desserre pas les bras
ne les ouvrira pas
comme autrefois
pour accueillir les chagrins
et les pleurs d’un tout petit.
Sans répit ma mémoire
Je la vois en des lieux
où elle était heureuse
loin dans le temps
où j’étais une enfant.
Elle était la reine
dans le cœur de mon père
elle était belle
mauvaise parfois
quand j’étais rebelle
elle ne comprenait pas
que je lui tienne tête
que je fuie sa présence
rejoignant mes amies
jusqu’au fond de la nuit.
Si différente d’elle
je ne savais l’aimer
qu’éloignée de son corps
je rêvais de tendresse
Aujourd’hui je lui parle
Je pose la main
dans ses cheveux
sur son visage
et je suis sans regret
quand je vois sur ses lèvres
relâchées
se dessiner un sourire
comme un apaisement
après une caresse.
Notice biographique
Yannick RESCH est professeure des universités à la retraite. Elle a consacré une partie de son travail universitaire à l’œuvre de Colette qu’elle a coéditée dans la collection de la Pléiade, éditions Gallimard, une autre partie aux littératures francophones et plus spécialement à la littérature québécoise. Sa création est tournée vers la poésie. Derniers ouvrages :
Essais / biographies
Écrire/danser la vie Colette et Isadora Duncan, (L'Harmattan)
Gaston Miron Tel un naufragé (éditions Aden, collection Le cercle des poètes disparus)
200 femmes de l’Histoire, Eyrolles
Recueils de poèmes
Au plus haut du désir, (éditions Hippocrène, 2016)
Encres vives
Publications dans des périodiques
Poèmes publiés dans les revues Phoenix, les Archers, Les Écrits (Québec)
Distinctions
Officier de l’Ordre des Palmes académiques,
Membre de l’Ordre des Francophones d’Amérique,
Prix Pétrarque Cénacle européen francophone 2016,
Prix Gracia-Vincent 2016
***
1er concours international de poésie
Poèmes sélectionnés sur "le handicap"
Yannick Resch, « Habiter la vie » & « Pour elle », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 8 Supplément sur « la maladie et la vieillesse en poésie » sous la direction de Françoise Urban-Menninger & Événements poétiques|Concours international (édition 2017-18 sur les animaux, le handicap & la joie) mis en ligne le 5 février 2018. Url : http://www.pandesmuses.fr/2018/2/vie-elle
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