Poème pour "Les voix de la paix et de la tolérance"
L’Emploi du « Je » et autres Invalides
Blog/blogue : http://natachaguiller.blogspot.fr/
N.B. Ce poème peut être coupé ;
Comme on coupe les vivres au bipolaire en phase euphorique
Comme on coupe court à la discussion avec le diagnostiqué Fou
Comme un coupe-faim pour l’anorexique
[...]
To fall/ I fell/ fallen
Tiraillement d’un corps en péril
Tiers-temps de l’éclopée en proie à l’exil
À l’extinction. Je flotte en marge
Sans statut dans les Stat’es
Aux US’, l’avancée des sciences
No place nowhere
La société m’interpose au vestiaire
M’isole en Outsider. Dehors
Un endroit où aller
J’erre en l’avenir incertain
En fake et autres faux-semblants
La vue trouble, le geste transpirant
Barbituriques à l’appui, avale puis Motus
Les faits sont là, je suis bannie
Genoux liés, lèvres cousues
L’aval, la montre, le grain
L’effet secondaire, des tics et tocs
Toc-toc, TDAH’, la hache le
Couteau sculpte des mots
Sur mes bras, de l’eau jusqu’aux coudes
Jusqu’au cou tranché
Étranger-Fou
Je range alors mes certificats
Et je dors
Assommée d’injustice, d’hospice et de Médoc
Exempts cœur et kir, les drogues dissoutes
Dans un corps en fuite
Anesthésie mentale ou le rejet unanime
Je m’en vais pipailler aux oies ouailles et oisifs ouzbeks
Ci-gisent les gens du Monde, jambon et mauvaise herbe
Du snobisme orienté
Cartes sur table, handi-e-carte, cartable, handi-capable, handy
Cartes à jouer, à gratter, les cases, escapade et fugue
De l’établissement de Santé
La psychiatrie met à la rue ce qu’autrui soupire en bulle
Caser en cellule la folie immanente
Je déménage d’absurde en déni déca-danse
Indécente dégénérescence de l’estime des gens
De soi
J’ai quitté malgré moi ma tablette d’écolière
En carences d’études, en cours d’apprentissage
Débris d’absences chroniques en un cycle ternaire
J’ai déserté mes pairs, vers d’autres paysages
J’ai différé ma route et mon enseignement
Révisions dans une bulle, une chambre d’isolement
J’ai dessiné ma vie, dans ma cellule close
Mes cellules qui explosent, mon effacement
L’art à la rescousse, j’ai trouvé en moi-même
Les quelques clés de voûte de l’imaginaissant
J’ai déserté l’école où je rampais contrainte
De traînasser un sac, empli de chaux éteinte
Sac d’os usés, sac d’étoiles mortes
Son poids qui jusqu’alors m’avait outrepassée
J’ai rendu à la classe mes planches en un bloc
Le trait en sismographe tremblant d’une ECG
Le collège me légua une paume de privilèges
De laps prolongés en marges résiduelles
L’astreinte à l’attardée, la lenteur en valeur
J’ai pu quitter la classe, affichant le papier
J’ai du quitter la classe où l’écran clignotant
Menaçait l’in-patiente, la tendre épileptique
Devenant le fantôme, la présence incertaine
La buissonneuse-chômeuse, étrange spécimen
J’ai caché dans mon sweat la note du neurologue
Abritant en moi-même le handicap moteur
Puis j’ai grimpé l’échelle à l’aube de l’aurore
Encéphalo-perchée sur les échafaudages
On me défend l'auto, le sport, la chute libre
On me défend le risque, on m’interdit la mort
On défie mon regard en me tendant la liste
Le traitement générique. Stabilisateur
Le soir où se propage la dépression latente
Le jardin partagé d’arborescent cloître
Je noircis des chèques comme des mouchoirs de sang
Une encre maladive à tous ces prétendants
M’accueillent à résidence, chambre ou cabinets
De jour ou d’internat, je dilapide, je brûle
L’aveugle héréditaire pécule en soins divers
Le Care en prime au deuil, l’absentéiste salaire
Je plis le creux des coudes, l’ironique alternance
Tentant l’insecte, le vice, le pic d’accoutumance
Mon agenda groggy, et l’oreille à l’otite
Le psy sceptique délègue le cas hypothétique
Dossier vacant
Les rendez-vous en chaîne, le réseau de médecins
Professeurs et confrères, aux thérapies variables
Client incurable
Sans profession rémunérée
Moins CDI, plus HDT
CDD, c’est décidé, l’embauche
L’ébauche d’un rejet professionnel
La carrière en vue, pleine de gravât
Je quête pierres et vains chemins
Un rôle à jouer parmi des pairs
Crayon en main, j’esquisse le geste
Haine, compulsif, nerveux, décrie dès lors
La libération, j’illustre la condition
Du marginal attardé, ralenti dans la vie
Et qu’on bouscule
Qu’on bouleverse, hypersensible, qui proteste et refuse
Le système brut, fait de l’Art Brut. Manifeste
Éloge du Fou, d’existence singulière
L’hostilité d’autrui ou écueil généralisé
Je pleure et je perds mon intégrité
Ma chair évaporée, je dissémine mon corps
Ma hargne, mon flegme, mon identité
Je me dissous haute-tension, masse, je m’envole presque
Pour oublier. La dead-line de mes jours restants, des comprimés
Qui abrègent, pour ralentir une cadence, un bore-out funeste
La tête bouillonne, tangue, et culbute
En déséquilibre sur un corps en sclérose
Tiers-états d’âme, en un tiers-corps sans arme
Tiers-temps d’agir, m’inspire, puis tierce personne qui ose
Sonner le glas, la sentence face au Fou
L’incapable dans la démence, le danger free dans la Nature
Prise en charge, emprise, sous contrôle thérapeutique
Poids de mesure et bracelet électronique
Le flamand rose sur sa patte pendu
Le moineau qui ne mange plus
Le yéti qu’on évite, pour bien trop peu ragoûte
J’ai fabriqué en chaîne de fausses fleurs Arc-en-ciel
Employée incertaine, saillies failles intérieures
Il a suffi d'un geste faible, d’une lenteur
Pour, en un vers m'extraire, me mettre dehors
Mon corps en veille rêve en travail
Ainsi je voyage en un Monde côtier
Une terre en jachère sans l’horizon palpable
À l’œil nu, l’espace des possibilités
Les rhizomatiques roads de la tolérance
Les pylônes réguliers d’un accompagnement
L’avant-bras nu sur l’épaule frêle
Solidarité
***
Natacha Guiller, « L’Emploi du "Je" et autres Invalides », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : « Événement poétique 2017 : ''Les voix de la paix et de la tolérance" », mis en ligne le 27 septembre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/9/invalides.html
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