N°13 | (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices | Entretiens poétiques, artistiques & féministes | Dossier mineur | Articles & témoignages
Entretien avec la poétesse
Marielle Anselmo
Propos recueillis par
Entrevue avec & poèmes de
Page bibliographique :
https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782373558012-vers-la-mer-marielle-anselmo/
Qui est Marielle ANSELMO ?
© Crédit photo : Portrait photographique de Marielle Anselmo.
Marielle ANSELMO est enseignante, critique et poète. Elle vit à Paris.
Elle a grandi en Tunisie, dans une famille d'ascendances italiennes, avant de poursuivre des études de lettres en France, à Aix-en-Provence puis à l'Université de Paris 8. Professeure agrégée de lettres modernes, elle enseigne actuellement le français à l’INALCO (Institut National des Langues Orientales) à Paris. Par ses activités critiques, elle a contribué à plusieurs ouvrages collectifs. Ses articles portent sur Marcel Proust, Hélène Cixous, Dominique Fourcade, Etel Adnan, Kenzaburô Ôé, Édouard Glissant, etc.
En poésie, elle est l'auteur du livre-poème Une nuit (éditions Les Arêtes, 2007), de plusieurs livres d’artistes avec Colette Deblé et Pierre Zanzucchi, ainsi que de deux recueils : Jardins (Éditions Tarabuste, 2009) et Vers la mer (Editions Unicité, 2022). Ses poèmes ont été traduits en anglais, grec, arabe, vietnamien et japonais. Elle en a donné une cinquantaine de lectures publiques en France, en Tunisie, en Suisse, au Japon, seule ou accompagnée d'autres artistes.
Biobibliographie
Site :
https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782373558012-vers-la-mer-marielle-anselmo/
Quelques articles sur Vers la mer par :
– Pierre Gontran dit Remoux : https://sitedesign.blog/
– Sabine Huynh : http://sabinehuynh.com/2023/01/20/vers-la-mer/
– Angèle Paoli : http://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2023/01/marielle-anselmo-vers-la-mer-1.html
Agenda des lectures :
– Le samedi 11 février à 19h30, à l’Officine, Paris Ménilmontant,
– Le mardi 21 février à 19h00 à Ivy Writers (Lectures bilingues), Delaville Café, Paris 10ème,
– Le mardi 14 mars à 19h00 à la Librairie des Femmes, 35 rue Jacob, avec la comédienne Dominique Reymond,
– Le samedi 18 mars à 16h00 à Matreselva, Paris 15ème,
– Le samedi 21 avril au Kibele, Paris 10ème, avec le Parlement des écrivaines francophones.
Entrevue
H.M – Comment êtes-vous venue à l’écriture, Marielle Anselmo ?
M.A – Je crois que je suis venue à l’écriture dès lors que j’ai appris à écrire, que s’est ouvert l’univers magique des lettres.
Je me souviens d’un premier poème écrit, enfant, dans un dialogue (très silencieux) avec ma mère. Il s’intitulait ainsi Le silence de la mer - titre empruntant tant au récit de Vercors qu’à l’univers de Cousteau. Deux formes de résistance, deux manières de désobéissance à un certain ordre terrestre.
Je réalise, en notant ceci, que je n’ai jamais quitté cette scène : j’écris toujours depuis le même lieu, depuis le bord de mer.
© Crédit photo : Première de couverture du recueil « Jardins » par Marielle Anselmo, Tarabuste Éditeur.
H.M – D’où vient ce décalage entre vos deux recueils ?
M.A – Après la parution de mon premier recueil, Jardins (Tarabuste, 2009), il m’a fallu en effet beaucoup de temps pour écrire le deuxième, Vers la mer. Il était pourtant déjà en germe au moment de la publication du premier. Cela tient à plusieurs choses : au contenu du livre (parfois douloureux, brûlant), à la manière même de mon écriture (un fort travail de condensation s'inscrivant dans la durée) et à des événements extérieurs qui en ont influencé l’écriture. En effet ce recueil, tout en reprenant des éléments de mon rapport au paysage méditerranéen (à la Grèce en particulier, qui est comme un déplacement de mon rapport à la Tunisie, pays d’enfance), se fait essentiellement l’écho d’un séjour de deux ans au Japon. Or, en 2011, alors que le recueil était en cours d’écriture, se produisent en même temps plusieurs cataclysmes, géopolitiques ou naturels, qui viennent toucher les pays que j’aime, auxquels je me sens liée : la révolution tunisienne (suivie des Printemps arabes), la crise économique européenne qui affecte lourdement (sinon tragiquement) la Grèce et enfin le désastre (naturel et nucléaire) de Fukushima. Il m’était impossible de continuer à écrire sur le Japon alors que les paysages qui m’habitaient, que je tentais de décrire, de saisir en quelques mots, de rendre vivants, étaient dévastés, menacés de destruction, et que ceux que j’aimais là-bas étaient eux-mêmes menacés. Cela a littéralement arrêté l’écriture du recueil, m’a rendue mutique.
H.M – Est-ce que « Vers la mer », le recueil que vous venez de publier aux Éditions Unicité, qui vous a donné envie d’un retour aux sources et aux origines ?
M.A – Non, au contraire, Vers la mer est le récit d’un éloignement, d’un départ, ou mieux de sa tentative. Mais, comme je l’indiquais au début, il garde aussi la trace du paysage premier, méditerranéen.
H.M – L’impression qu’il y a comme un cheminement intérieur d’un recueil à l’autre vous semble-t-elle juste ?
M.A – Oui, il y a un cheminement : un cheminement le long de la mer - de la Mer Méditerranée à la Mer du Japon. Il y a aussi un fil intérieur, qui se poursuit d’un recueil à l’autre, moins perceptible peut-être, qui est celui du deuil.
H.M – Pourquoi tant de tristesse dans votre poésie ?
M.A – Dans la tradition occidentale, (c’est-à-dire grecque), la figure première du poète est celle d’Orphée, et elle est profondément liée au deuil : Orphée, celui qui chante et charme jusqu’aux arbres et aux animaux, a perdu deux fois celle qui l’aime, Eurydice. Il a été autorisé par les dieux à aller la chercher aux Enfers, à traverser vivant le royaume des morts - et à en revenir (mais il en revient seul). C’est depuis cette traversée que s’écrit le poème.
Il y a dans cette tradition une deuxième figure fondatrice, moins mythologique : celle de Sappho, celle que Platon surnomma « la Dixième Muse ». Le premier poète lyrique est une femme, une poétesse. Elle est celle qui chante le désir. Disons que dans ce recueil j’essaie de tisser ensemble ces deux fils : deuil et désir.
Il n’y a donc pas seulement de la tristesse dans ce livre. Il y a aussi beaucoup de joie : la joie de passer les frontières, d’aller « dans l’inconnu », à la rencontre d’une altérité radicale, la joie de « l’aventure », au sens médiéval, des rencontres faites en chemin… Quelle plus grande joie ?
H.M – Comment va la poésie d’aujourd’hui ?
M.A – Elle va très bien. Elle est la part la plus infime, la plus invisible du marché éditorial, mais sans doute aussi la plus vivante. Soutenue par des éditrices et éditeurs courageux, elle est le lieu d’une production incessante, s’exprimant à travers toutes ses formes (orales ou écrites) et courants. Et les poétesses sont plus nombreuses et vivantes que jamais. Elles investissent la scène, la voix, renouvellent la performance poétique en lui donnant une tonalité, une inflexion propre. Je pense (pour n’en citer que quelques-unes) à Edith Azam, Hélène Sanguinetti, Jennifer K. Dick, Constance Chlore, Laure Gauthier, Anna Serra… Chacune invente une scansion particulière.
H. M – La mer demeure-t-elle un espace d’accueil ou d’exil privilégié ?
M.A – Elle est les deux : accueil et exil, tombe et berceau.
Lieu de culture, d’échanges, elle défend et permet la traversée, et en cela reste un trait-d’union.
© Hanen MAROUANI
« Vers la mer est le récit d’un éloignement, d’un départ, ou mieux de sa tentative. »
Marielle Anselmo
© Crédit photo : Première de couverture du recueil « Vers la mer » par Marielle Anselmo aux éditions Unicité.
Extraits poétiques publiés avec l'aimable autorisation de la poétesse & de sa maison d'édition
restera le souvenir
de ta voix
en Provence
et encore les pins (lumineux)
des pins mélodieux et je les fais entendre
à l’autre bout du monde
le froissement de l’opéra
avant le commencement
ta voix et les étoiles du jour
entre la Provence et le Japon
de cet amour
si bref
© Marielle Anselmo
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Pour citer cet entretien poétique inédit
Hanen Marouani, « Entretien avec la poétesse Marielle Anselmo », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°13 | PRINTEMPS 2023 « (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices », mis en ligne le 22 février 2023. URL :
http://www.pandesmuses.fr/no13/hmarouani-entretien-marielleanselmo
Mise en page par Aude
Ajout des extraits poétiques le 23 février 2023.
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