Événements poétiques | Megalesia 2021 | Poésies printanières & colorées | Florilège de textes poétiques
La cabane sur le rebord
de l’horizon
Crédit photo : "Ciel bleu en Touraine", domaine public, Commons.
C’est en atteignant des bouts du monde que j’ai toujours trouvé des solutions. Fin de la route 138 sur la côte nord du Québec. Kanyakumari sur la pointe sud de l’Inde. Cap Nord dans le froid brumeux de la Norvège. Il existe toujours d’autres extrêmes en attente. Je rêvais souvent de passer le cap Horn ou le cap de Bonne espérance, d’être le témoin privilégié de l’incessante bataille entre les vagues bavant leur écume salée et les rochers stoïques des continents.
Ce jour-là, je me dirigeai vers des îles reliées entre elles par le fil invisible de mon errance, rattachant les lieux de mes arrêts comme les perles d’un collier quasi magique. Je ne savais pas ce que j’y cherchais, mais chaque image m’était talisman qui comblait un vide vertigineux. Aux confins de l’avant-dernière île, je décidai que là était ma frontière. Je m’arrêtai, ignorant que sur le dernier bout de terre, juste en face, de l’autre côté du passage où la marée montait, un phare était adossé à la lisière, dressé contre l’Atlantique, comme narrateur d’une histoire que je ne connaissais pas encore.
Doigts sombres de basalte tendus vers l’ouest. Quand les premiers clignotements du fanal repoussent les derniers reflets d’ambre du couchant. C’est là que je m’assis sur un rocher anthracite bariolé de lignes d’agate blanche, les pieds dans l’eau glacée. Seuls les oiseaux conversaient. Face à l’extrémité de l’archipel, je respirai le vent de fin d’été en repoussant les questions qui me harcelaient. Ici, le monde était simple. Il suffisait de regarder, de sentir.
Près de la petite cabane de pêcheur rafraîchie par une récente couche de peinture vert pomme, je m’arrêtai encore. Plantée sur des pilotis, elle semblait se tenir en suspension au-dessus de l’eau. Personne n’y vivait. Un rapace se posa sur son toit de bardeaux, puis s’envola vers le sud, comme pour me montrer le chemin.
Jamais je n’aurais deviné que cette cabane qui m’avait fait rêver, je la verrai un jour de ma fenêtre, depuis le rivage opposé, ce rivage qui était alors resté mirage. Ce jour-là, je n’étais pas allée jusqu’au fin fond du monde. Il n’était sans doute pas encore temps de terminer ma course, d’aller là où la route s’arrête, laissant au regard le privilège d’absorber toute la quiétude de la création, de se noyer dans l’océan parmi le fracas de ses vagues aux infinis camaïeux de bleu, mais j’en avais perçu le mystère de sa beauté.
Biographie
Martine L. Jacquot est poète et romancière et vit au Canada depuis 40 ans. Elle a publié plus de 30 livres, dont le roman Les Oiseaux de nuit finissent aussi par d’endormir (éditions David, Ottawa) et la toute récente trilogie romanesque L’Envol des jours (éditions AfricAvenir, Douala/Berlin/Vienne)
***
Pour citer ce poème printanier & coloré
Martine L. Jacquot, « La cabane sur le rebord de l’horizon », poème en prose inédit, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événement poétique|Megalesia 2021/I « Poésies printanières & colorées », mis en ligne le 29 mars 2021. Url :
http://www.pandesmuses.fr/megalesia21/mlj-lacabane
Mise en page par David Simon
© Tous droits réservés
Retour à la Table de Megalesia 2021 ▼