Événements poétiques | Megalesia 2021 | Critique & réception
Quand l'humanitaire
s'invite en poésie
Si pour Malherbe « Un bon poète n’est pas plus utile à l’État qu’un bon joueur de quilles. » mais plus tard Hugo nous enseignera dans Les Rayons et les ombres que le poète était un guide, un justicier, un messager. Alors qui dit mieux ?
Dans Sauvons les migrants, Anthologie poétique humanitaire, Éditions Parole & Poésie, 2020, 169 pages, format A5, 20€, coordonnée par Patrick Picornot et Aumane Placide, ce sont les poèmes de cinquante poètes qui résonnent comme un silence brutal sur lequel se referment les portes de la vie. La vie de tant d’êtres humains engloutis au creux des vagues tumultueuses de la Mer Méditerranée.
Les propos liminaires de Patrick Picornot « Redonnons la parole aux poètes » portent sur le regard des poètes tels qu’Aimé Césaire, Victor Hugo, Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Louise Michel et bien d’autres sur la construction du tissu social au fil de l’Histoire.
Puis dans « Intra-Muros / Extra-Muros », il a dressé un état des lieux en replaçant le phénomène migratoire dans son contexte sociopolitique et historique. Aussi considère-t-il que l’autre est « le suspect » en puissance tout en ne se gardant de lancer cette exhortation : « Saluons tous ceux qui, avec courage, proposent d’accueillir les migrants dans les ports, bien qu’ils n’aient pas toujours l’aval des gouvernements ». (p.30)
Témoin de son temps, le poète n’est pas moins actif que les autres entités sociales. Il participe par l’écrit au sauvetage de ses semblables. En traduisant ce qu’il a vu, en retraçant les faits, il n'en demeure pas moins qu’il laisse une trace derrière lui.
« Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie », proclame Malraux et c’est ce qu’ont compris les protagonistes de l’anthologie en concrétisant cette idée insufflée par Patricia Bruneaux qui s’indignait face au drame humanitaire qu’est le péril en mer des milliers de migrants. « Dans son plaidoyer pour le respect du vivant » dédié à l’Aquarius, elle évoque le passé de sa maman, l’exilée fuyant la guerre à l’époque coloniale avec sa fratrie : « Tous, à fond de cale d’un navire, parqués comme des bestiaux sans eau ni alimentation ». (p.34)
À travers les pages qui suivent c’est un véritable SOS sous couvert de la poésie que lancent cinquante poètes à la sensibilité et à la plume très différentes. Quelle gageure !
Quant à Aumane Placide dans « Nous sommes tous des migrants », pour corroborer sa thèse, elle nous donne à voir une vue panoramique de l’Histoire de France en soulignant les différentes strates qui se sont agglomérées au fil du temps (du IXe au XXe siècles) pour former la société française. Elle a également évoqué le paroxysme du racisme chez le zoologiste Cuvier qui compara Sarah Baartman (la Vénus hottentote) à un orang-outang. Pour contrer ce racisme viscéral, elle en appelle à l’anthropologue et ethnologue Claude Lévi-Stauss qui soutient :
« L’Homo sapiens venant d’Afrique s’installe progressivement au Proche –Orient, en Asie puis en Europe, territoire occupé par les Néerdanthaliens. Il conquiert ensuite l’ensemble du globe » (p.149)
C’est sur les propos de Pedro Vianna que cette anthologie se referme avec « Conjuguer Migration et Poésie entre Hasard et Nécessité ». Qui peut mieux parler de la condition des migrants que lui ? « Je fais partie de cette minorité », écrit-il.
Économiste, poète et dramaturge, il a eu un parcours atypique en tant que réfugié politique d’origine brésilienne. Ayant été juge assesseur à la Cour nationale du droit d’asile, nommé par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), il connaît bien les dossiers. Cela va sans dire qu’il a pas mal plaidé la cause des migrants.
Il nous rappelle que le phénomène migratoire ne fait partie que de plus de 3% de la population mondiale qui est de 7 milliards et demi, ce qui sous-entend que les migrants, loin d’être un fardeau difficile à porter pour les pays d’accueil, contribuent la plupart du temps à l’essor économique et culturel de ces derniers quand leur intégration est réussie. Pedro Vianna n’en est pas moins un exemple pour avoir mis son savoir universitaire à la disposition des étudiants français et européens en tant qu’enseignant.
Avec Éric Meyleuc, feu son compagnon, en qui il avait su trouver un allié de taille, il militait dans le théâtre tout en continuant son combat dans le domaine associatif en faveur des migrants.
Retraité, il poursuit encore avec beaucoup d’intérêt sa lutte « dans le champ des questions migratoires ».
Cette anthologie est un livre de référence, riche en faits socio-historiques et politiques. Elle recèle également un bon nombre d’adresses utiles.
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Pour citer ce texte
Maggy De Coster, « Quand l'humanitaire s'invite en poésie », texte inédit, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événement poétique|Megalesia 2021, mis en ligne le 12 mars 2021. Url :
http://www.pandesmuses.fr/megalesia21/mdc-humanitaireenpoesie
Mise en page par Aude Simon
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