Lettre n°15 | Eaux oniriques... | Muses au masculin | Cuisiner en poétisant
Lettre à mon pauvre Fantôme
Texte reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur
et de la maison d'édition tituli
© Crédit photo, première de couverture illustrée du recueil "Une brassée de lettres" aux éditions tituli, 2016.
Il est vrai, personne ne parle des fantômes en famine. Pour preuve, leurs suaires trop larges pour silhouettes émaciées. Comme si les mamans ou les couturiers de l’au-delà étaient en grève !
Au contraire des moines faisant bombance entre complies et mâtines, vous errez, anémiques, dans vos squelettes dégingandés. Vous n’avez même plus la force d’entrer dans une cuisine ou un cellier. Et quand, malgré tout, un soir de pleine lune, vous y parvenez, vous n’avez ni tire-bouchon, ni ouvre-boîte, ni même le tonus pour ouvrir le frigo. Votre voix porte moins que celle de la chouette : à peine un malheureux ouh, ououh… sitôt balayé par un vent mauvais.
Hanter n’est pas une sinécure, dans ces châteaux si coûteux à chauffer ! Des subventions pour les fantômes de garde ? Une écuelle de lait pour ceux de passage ? Vous n’y pensez pas ! Rares sont les chandelles en cette période de piètre conjoncture. Sans parler de vos chaînes, si difficiles à faire cliqueter.
Bien entendu, vos cousins de Valachie, les vampires, se portent un peu mieux, avec leur régime hémoglobiné. Mais certains, dit-on, se lassent de cette boisson peu variée. La cuisine des Balkans n’est plus ce qu’elle était ! Gris souris, les voilà chauves, comme s’il leur manquait des vitamines. Mais d’eux, nul n’a pitié !
Il est clair, si j’ose dire, que les barbe-à-papa sont nettement plus joufflus, voire obèses. Le diabète n’a en effet pas épargné ces faux spectres qui se bâfrent de sucre et se dandinent dans des foires ou sur les pixels de nos écrans. Laissons ces imposteurs dans leurs parcs thématiques.
Vous, mon pauvre Fantôme, vrai spectre trop candide, vous errez comme une âme famélique. Alors voilà : j’ai peut-être une solution. L’autre jour, j’ai trouvé, sur le rebord cotonneux d’un nuage, une étrange clef. Je crois bien qu’elle correspond à la serrure d’une porte un peu spéciale : celle du Jardin Premier.
À part un arbre fruitier et la trace d’un serpent bizarre, tout est à disposition. Le concierge, un ange gardien, est plutôt sympathique et le Grand Patron, tout le temps en voyage. Il y a de quoi faire bombance avec vos frères et vous requinquer un peu : le temps d’un ou deux millénaires.'
*Extrait de l'œuvre "Une brassée de lettres" de Claude LUEZIOR, 80 p., éditions tituli, Paris, 2016, isbn 978-2-37365-1.
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Pour citer ce poème en prose
Claude Luezior, « Lettre à mon pauvre Fantôme », poème en prose reproduit de Claude LUEZIOR, Une brassée de lettres, Paris, aux éditions tituli, 2016 avec l'aimable autorisation de l'auteur et de sa maison d'édition, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n° 15 « Eaux oniriques : mers/mères », mis en ligne le 28 janvier 2021. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettre15/cl-lettreaupauvrefantome
Mise en page par David Simon
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