Les Gamines |
Parties dès l'aube sur des kilomètres arides, les gamines
Chaussées de mauvaises semelles et vêtues de laines avachies,
Portent des seaux, des sacs et des oiseaux vivants.
Sous les cris d'une grande sœur malhabile
À les convaincre de l'urgence de l'entreprise,
Elles râlent mais crapahutent,
Elles traînent mais avancent vers la ville,
Où personne au marché ne les attend.
La montagne est leur pays.
Elles en viennent, elles y vont, elles y vivent.
Majestueuse et large, la montagne n'est pas un lieu de consolation
Même quand après les corvées domestiques et les travaux des champs
Dans un dernier voyage jusqu'au puits,
Elles posent l'eau et regardent s'enflammer,
Autour d'un soleil rouge,
Le ciel et les sommets miraculeux.
Quand après six heures de trajet
Elles trouvent une place au marché,
Elles s'assoient, pour un temps tranquillement,
Et goûtent les rumeurs de la ville.
La ville n'est pas un lieu de tentation
Malgré leur curiosité qui s'exerce
Et les découvertes sensationnelles qui passent devant elles et leur sourient
Et dont, effarouchées, elles rient ensemble et se nourrissent
comme de la meilleure pomme à croquer que la vie leur ait donnée.
L'argent ne tombe pas du ciel !
Et le pauvre étalage ne se vide guère
Et jamais qu'au bout d'âpres discussions menées par la soeur aînée.
Elles vont devoir dormir là,
Sur le territoire de la foire,
Sous un arbre, contre une pierre,
Se réchauffant aux épaules de l'autre,
Dans leurs maigres gilets de laine,
Des sacs sur les genoux.
À la Grande Ourse, leur auberge !
Mais quand la veille d'une fête,
Alors que les fours ont été bien remplis
Et qu'apaisée d'avoir tout accompli
Leur marâtre de sœur s'est adoucie,
Les gamines se taisent,
La regardant tracer dans la farine les lettres
Des mots qu'elles disent,
Et admirent, comme une magie,
Passer de l'oral à l'écrit,
Du son à la forme,
Leurs noms,
Les objets qu'elles désignent,
Les choses qu'elles évoquent.
Même MAMAN peut s'écrire,
Même leur drame se trace, se lit et peut enfin se dire.
Et chacune essaye à son tour
D'écrire dans la farine son amour.
Pour citer ce poème |
Isabelle de Champchesnel, « Les Gamines », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques ; n°0|Événement poétique : « Un pan de poèmes pour Toutes à l'école », automne 2012, mis en ligne le 11 octobre 2012. URL. http://www.pandesmuses.fr/article-les-gamines-111004071.html/URL. http://0z.fr/JFtFk |
Auteur(e)
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Isabelle de Champchesnel |