N °7 | Dossier majeur | Textes poétiques
Histoire de rose et de couleurs
Pascale Rabesandratana Coutoux
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Ce matin là, je m’éveillai tôt avec une curieuse impression. J’étais dans ma chambre mais j’avais la sensation que quelqu’un y était entré cette nuit. Un cendrier sur la table de nuit ne me semblait plus à sa place et on apercevait des traces de doigt dans la poussière de la commode. Après réflexion, je me dis que j’avais sans doute rêvé. Rien ne manquait. Aucun tableau, aucun bijou. J’ouvris la fenêtre pour aérer et en me penchant vers le jardin je m’aperçus qu’une rose avait été arrachée au rosier placé en dessous. C’était la plus belle, d’une couleur mordorée. Ce n’était pas le vent : il n’y en avait pas. Elle avait été coupée au sécateur. Qui donc pouvait bien en vouloir à mes roses ? Je passais en revue tous mes voisins :
Les retraités d’en face ? Ils n’en avaient pas besoin. Leur jardin regorgeait de fleurs en tout genre, toutes plus odorantes les unes que les autres. Le café du coin de la rue ? Paulo le patron passait ses journées derrière son comptoir à servir des bières à des ivrognes pendant que sa femme s’affairait en cuisine avec la Chinoise du restaurant d’à côté qui venait de faire faillite. Que ferait-il de ma rose ? Pendant que je menais ce long palabre avec moi-même, j’aperçus une femme d’un certain âge, brune, les cheveux longs et bouclés qui franchissait la passerelle au-dessus de la voie ferrée en face de ma fenêtre. Elle tenait à la main un bouquet de roses mordorées Je me sentis entrer dans un état jubilatoire, de ceux que je ressentais quand j’étais encore flic et qu’une séquence d’enquête allait bientôt se clore, à la faveur d’un nouvel élément. Je me sentis résolu à agir. J’enfilai ensemble slip, pantalon, pull et je me jetai rapidement dans la rue. La femme ne marchait pas vite. Heureusement ! Et je n’eus pas de mal à la rattraper. Plutôt que de l’aborder, je décidai de la suivre. Elle se déplaçait lourdement, comme si une arthrose sournoise l’empêchait d’avancer. Elle longea un moment la voie ferrée puis s’engagea dans une impasse. J’hésitai un instant mais l’Appel fut plus fort. Je mettais mes pas dans son ombre jusqu’à atterrir devant un pavillon de banlieue entouré d’un jardin dissimulé aux regards des passants par une haie de cannisses beiges. Ma guide avait disparu. À un endroit, quelques bambous avaient troué cette légère clôture ; j’écartais les tiges malléables et mobiles. La femme se trouvait là, assise sur une chaise longue aux allures marines rayée de bleu et de blanc ; ses cheveux s’étalaient sur le dossier en boucles soyeuses. Son visage semblait respirer le soleil du matin encore un peu pâlichon. Elle avait troqué ses vêtements contre sa simple nudité et sa peau blanche, laiteuse, auréolait la pelouse du jardin de sa lumière pâle ; Il se dégageait de son corps mou étalé sur la chaise longue, offert, une sensualité suave dont je ressentais l’appel qui allait m’aliéner.
Je restai longtemps ainsi à la regarder ; le temps passa ainsi que les passants ; je ne sais si elle m’avait vu mais cela ne semblait pas la gêner outre mesure. Enfin l’heure avançant, je remplaçai mon activité de voyeur pour une autre plus prosaïque : aller manger au restaurant du quartier.
L’après-midi se passa sans problème ; je m’étais engagé à illustrer le livre d’un ami et je m’adonnai à mon passe-temps favori : l’aquarelle. Je mêlais savamment l’eau et les couleurs afin de laisser passer un maximum de lumière ; mes portraits ressemblaient un peu à des poupées de porcelaine mais cela collait tout à fait au texte de mon commanditaire. Le soir tomba.
Je me mis à la fenêtre pour observer le coucher du soleil. Alors que le disque de feu allait disparaître derrière la cheminée de la maison voisine, je l’aperçus devant la grille du jardin. Elle me regardait. J’eus besoin du soutien de la rambarde pour ne pas vaciller en avant ; des sentiments contradictoires se mêlaient en moi. Que venait-elle encore faire ici ? Son regard sombre semblait m’implorer. Je lui fis un signe de la tête ; Elle poussa la grille, entra et se dirigea vers le perron, toujours de ce pas lourd et traînant que j’avais remarqué. Elle devait monter les trois étages. Une petite voix me disait n’ouvre pas mais ce fut plus fort que moi. Elle se retrouva sur le palier et je la fis entrer. Elle inspecta la pièce où un chevalet traînait. Elle me demanda de la peindre ce que j’acceptai.
J’installai ma palette de couleur. Pour elle j’avais choisi la peinture à l’huile qui rendrait mieux à mon avis la densité de sa peau sensuelle. Elle se déshabilla ; elle ne semblait éprouver aucune gène et prit la pose le plus naturellement du monde sur le canapé de cuir violet acheté bon marché dans une brocante ; je me mis à la dessiner. Les contours furent rapides et précis. Sa blancheur me posait des problèmes. Comment rendre toutes les nuances de sa carnation et donner de la chaleur à cette non-couleur qui était la sienne et qui pourtant irradiait ? Le temps passa, fébrile ; l’œuvre prenait forme ; je commençais à en être content. Tout à coup on frappa violemment à la porte.
_ « Estrela, je sais que tu es là. Ouvre ! »
Son regard m’implora. Elle mit un doigt sur sa bouche : « chut ! »
Je ne savais que faire ; c’était sûrement son mari qui venait la chercher. Il hurlait et tambourinait de plus en plus fort.
J’hésitais encore lorsque le coup partit. Une violente douleur me saisit au thorax tandis que je m’affaissais sur la toile. Mon sang se mêla au blanc de sa peau pour lui donner enfin cette couleur vivante que je n’arrivais pas à rendre. Je quittai alors ce monde pour le paradis blanc.
FIN
***
Pascale Rabesandratana Coutoux, « Histoire de rose et de couleurs », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°7 | Automne 2017 « Femmes, poésie & peinture » sous la direction de Maggy de Coster, mis en ligne le 19 octobre 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/10/rose.html
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