N°12 | Poémusique des femmes & genre | Critique & réception | Revue culturelle d'Europe
Pierre Boening-Scherel
« De l’attente et Après »
(traduit de l’anglais par Maïa Brami),
Éditions Unicité, 2021, 239 pages, 16€
© Crédit photo : Première de couverture illustrée de De l’attente et Après, traduit de l’anglais par Maïa Brami, Éditions Unicité, 2021.
Un recueil de poèmes à tendance cathartique, écrit dans la plénitude de l’âge. Un retour sur une enfance marquée par les horreurs de la Deuxième Guerre mondiale. Mais comment peut-on guérir de son enfance quand on a attendu un père juif déporté et qui n’est jamais revenu ? En « Ouverture », le poète s’épanche sur sa façon de gérer son désespoir. L’espoir naît quelquefois du désespoir :
« Parfois des mots forts confluaient
et ma bouche jurait en une longue prière
Peut-être était-ce suffisant
pour tenir bon,
le lendemain. »
Cependant quand le sort s’acharne sur soi on est comme pris dans un déluge et l’on ne peut plus avancer car on ne sait plus où aller :
« Nous ne pouvions anticiper nos pas,
seulement supporter la rigueur
de matin sans espoir
matins sans retours
sans refuge. »
© Crédit photo : Le poėte Pierre Boening-Scherel dans un salon du livre.
Tenu à couvert par la grâce de sa mère, de surcroît loin d’elle, en attente d’un retour paternel incertain, ce miraculé est resté à jamais abîmé par le remords :
« Reste toujours
ce remords
desséché
de larmes
vivant
mais incapable de me réjouir
des pas qui me portent »
C’est avec beaucoup de pudeur qu’il exprime sa douleur si ancienne qu’il aimerait tant enterrer pour retrouver le chemin du pardon. Qu’il est loin le chemin qui mène au pardon !
« Combien de temps encore
avant de pouvoir pardonner
et voir ? »
Ses souvenirs d’enfance l’habitent encore car il se revoit en culottes courtes s’accordant de brefs moments d’insouciance en accord avec la nature, avec laquelle il est en osmose, avant de revenir à ses inquiétudes :
« Un petit garçon en culottes courtes
cueille la dernière pomme
en remplit sa poche
avant que la nuit
ne ferme le champ. »
Mais il se trouve désarmé quand :
« La pâleur indolente du soleil
s’estompe tôt
diluant l’esprit »
Il est évident que c’est dans la poésie que le poète pénitent trouve son salut. Dans son poème intitulé « Pénitence du poète », comme une salve d’espoir, il avance :
« Rebelle-toi !
traque la bête blanche
l’homme à genoux hors d’haleine
rebelle-toi contre les voleurs de lune
vois-nous mendiants de la nuit orange soleil
chassant de nos cannes en fer
le matin désarmé ! »
Mais que faire après la Guerre ? Il revient au poète de « Trouver les autres » car, dit-il :
« Une partie qui fut
manque toujours
une partie élémentaire
dont j’ai grand besoin. »
© Crédit photo : Portrait de la traductrice du livre Maïa Brami.
Poursuivant sa quête, en désespoir de cause, il lance :
« Je cherche ce qui était mien
ce que, tout seul, j’ai touché
ce qu’avec les autres,
je ne peux trouver. »
Après « Les raids aériens criblant ciel » et tant de « ponts explosés tels des châteaux forts », il revient au poète de faire le « Le deuil ». Comment faire le deuil des siens ? « Dans un poème pour mon père », il exprime ses regrets, ses souhaits et remémore les derniers moments passés avec lui :
« Un océan me sépare de ton sourire,
Père, »
[…] « Je voudrais encore marcher avec toi
aux petites heures du matin, pour aller prier »
[…] « Je me souviens
j’ai pleuré pour monter sur tes épaules
pour apercevoir la Torah brandie rouge à bout de bras
alors que le crime à venir
précipitait sa course »
Qu’en est-il de ce « petit ami boiteux » avec lequel il arpentait les rues de Paris ? Il ne se souvient plus de son nom mais son visage lui est resté gravé dans la mémoire.
« c’était mon ami / mon premier visage », dit-il. Hélas, ce petit garçon est mort à Auschwitz avec sa mère !
« Il a laissé son visage sans contours
on marchait ensemble
mangeait ensemble le gâteau de sa mère »
La peur, les larmes, l’attente, le rêve, le doute, le remords, le silence sont autant de sentiments qui coexistent dans la vie du poète :
« Il y a des silences
qu’aucune main ne peut repousser. »
Qu’y a-t-il de plus fort que la peur ? Et le poète de convenir :
« il n’y a pas de rat
sous les draps,
mais la peur mord plus fort »
« c’était une peur sauvage et mémorable » Pierre Boening-Scherel est quelqu’un qui cherche la lumière pour mieux voir et comprendre. Entendons le terme lumière dans un sens spirituel à savoir qu’il cherche à élucider un mystère. Pour retrouver la sérénité et avancer, il semble trouver la bonne solution :
« Ne rappelle pas à toi les noms
Ou les années, »
« […] calme
bien sur terre
aucun regret,
mais l’absence
emplit l’air,
là-haut dans l’azur
aucun battement d’ailes
seul un geste simple
auquel confier ma marche »
« De l’attente et Après », un recueil de poèmes bouleversant qu’on lit avec beaucoup d’empathie.
© Maggy DE COSTER
***
Pour citer ce texte inédit
Maggy De Coster, « Pierre Boening-Scherel, « De l’attente et Après », (traduit de l’anglais par Maïa Brami), Éditions Unicité, 2021, 239 pages, 16€ », Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°12 | HIVER 2022-23 « Poémusique des Femmes & Genre », mis en ligne le 5 novembre 2022. Url :
http://www.pandesmuses.fr/no12/mdc-pbs-delattente
Mise en page par David
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