N°10 | Célébrations | Chroniques de Camillæ/Poésie & Cinéma ou Chroniques cinématographiques
Guermantes
de Christophe Honoré (2021, 139 mn)
https://camilleaubaude.wordpress.com/
© Crédit photo : Autographe photographié par Camillæ, le 5 octobre 2021 dans la salle MK2 Beaubourg, Paris 3.
Peut-on parler de déception pour Guermantes : le nouveau Christophe Honoré ?
Non.
Cette somptueuse débâcle d’une adaptation de Proust, je l’ai trouvée très étalée, oui, égayée de clins d’œil proustiens, très agréables pour qui a lu de bonne heure La Recherche, et vu ses adaptations à l’écran (cf. La Captive de Chantal Akerman). Or, ces distorsions de l’univers littéraire, Christophe Honoré dit, dans le film, qu’elles furent souvent mort-nées.
Plus jeune, je focalisais sur « le cinéma dans le cinéma », car ce n’était pas du mensonge. Guermantes atteint en cela un pic de subtilité. « Cinéma dans le cinéma », ce film est aussi du cinéma dans un théâtre, du théâtre au cinéma, pour tirer les traits essentiels de répétitions sublimées en impromptu. Un dessin. Des dessins, et de belles, de très belles chansons en tribut de cette affreuse période de l’année 2020. « Corona », c’est aussi une bière, ou un cigare, je ne sais plus…
Une chose est sûre, l’horreur s’entend et se répand. Filmer une agonie paraît indispensable à l’irremplaçable cinéaste des Métamorphoses… Que cela fasse suite à de lassants palabres des comédiens sur le fondement de leur travail, est assez désespérant. En vérité, un monde meurt. Ne mourrons pas avec, chantons autour d’un brasero. Après le collage d’une affiche représentant la Vue de Delft, aux tons malheureusement criards, il y a quelque chose qui naît, un moment pur. L’acteur qui figure Marcel Proust a compris les indications du réalisateur pour se mouvoir devant un micro au bout d’une perche, cette perche ne devant jamais entrer dans le cadre... Pour reprendre la mauvaise allusion de Godard sur le fait qu’il y a beaucoup de femmes pour monter des films parce qu’il y a des trous, l’usage de la perche pour créer une nouvelle harmonie dans Guermantes réussit à rendre sensible « le sentiment pur », illustrant cette phrase :
« Comment oublier à jamais quelqu’un qu’on aime depuis toujours ? »
C’est l’histoire d’un amour rendu aux Comédiens, qui en donnent insolemment, avec un talent sans égal. Tous sont de premier ordre. Quand ils chantent, ce sont des traits d’esprit dans des corps magnifiés en des poses merveilleuses. En revanche, la scène aux socquettes, sur un lit où le réalisateur, hors champ au début, vient de se taper l’homme à la perche, n’ouvre sur rien. Le souci de recherche du sens qui fait vivre Christophe Honoré devient aussi stérile que le travail de ces acteurs privés de public. Étant donné qu’il est question de beaucoup « d’actrices bousillées », cela incite à penser au démiurge — réalisateur et/ou metteur en scène, créateur de vie spirituelle dans la réalité —, bousillé lui aussi.
Le jeune homme est une proie dans cette scène moins violente et rapide que d’autres scènes intimes. — On se reverra ? demande-t-il. — Non. Cela illustre l’une des assertions sur l’amour, qui broie « par de petites choses », et par des « actes aussi stupides, lâches, idiots » (je cite de mémoire). Il y a forcément l’un des deux « qui en a marre ».
C’est le danger du film.
Il est dit : « sûrement je vais désillusionner Untel ».
Le théâtre est le lieu de l’illusion. Le nom de « Guermantes » est un mot mémorable, tel Jérusalem, ou « vision de paix », un nom donné à un site aride.
© Crédit photo : Portrait du réalisateur dans le film, par Camillæ, le 5 octobre 2021 dans la salle MK2 Beaubourg, Paris 3.
© C. Aubaude
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Pour citer cette chronique cinématographique
Camille Aubaude, « Guermantes de Christophe Honoré (2021, 139 mn) », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 10 | Automne 2021 « Célébrations », mis en ligne le 25 octobre 2021. Url :
http://www.pandesmuses.fr/no10/ca-guermantesdechristophehonore
Mise en page par David SIMON
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