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Des femmes vont passant
&
Il se pourrait....
Poèmes de
Textes traduits par
Crédit photo : Alfonsina Storni, domaine public, Wikimedia.
Des femmes vont passant
Chaque jour qui passe, davantage maîtresse de moi-même,
Je m’enferme dans mon monde intérieur ;
Au milieu des autres la solitude me plonge dans l’abîme.
Je ne domine plus les esclaves ni ne tolère le maître.
Maintenant passent près de moi des femmes
Dont les yeux transcendent l’illusion divine,
Elles ont le pas aisé d’un corps élancé :
On voit que presque rien ne leur pèse sur le cœur.
Certaines ont des yeux bleus et innocents ;
Comme ivres, le pas au hasard, elles vont rêvant ;
La limpidité du ciel s’affiche sur leur front
Et, comme il est très mince, on les entend rêver.
Je souris à sa beauté, je tremble pour ses rêves,
Le fin tulle de son âme, qui le recueillera ?
Ce sont des petites créatures, demain elles auront des maîtres
Et elle demandera des fleurs… et lui ne comprendra pas.
J’ai sur elles un avantage qui sied ma conscience :
Les rêves qu’elles fomentent, je n’ai pas su les tisser,
Car, entre des mains ignorantes, je n’ai pas perdu mon innocence.
Ne l’ayant jamais possédée, je n’ai pu la perdre.
Je suis née sans candeur ; petite, déjà, Mon petit cerveau s’est mis à composer ;
Ma pauvre mère raconte combien elle comprenait.
J’ai appris très tôt la science de pleurer.
Et les pleurs furent la flamme asséchant ma candeur
Dans les racines mêmes de l’arbre endormi,
Et l’âme est chaude de cette brûlure.
Je brûle au fer rouge ma vie ! Comment ai-je pu tenir ?
Mon âme, toi qui es seule : ta pureté, cachée
Sous un orgueil sombre, personne n’en prendra soin ;
Si, sur une musique divine l’âme s'était endormie,
L’âme, compréhensive, ne se réveillerait plus.
Femmes, j’ai des rêves, j’ai un rêve profond.
Vous, les humains, esquivez-vous sur la pointe des pieds ;
En murmurant, mon cœur implore au monde son silence
Et lasse, mon âme susurre : taisez-vous !… *
*Alfonsina STORNI (1892-1938) Extrait du recueil Languidez / Langueur (1920) traduit par Monique-Marie Ihry, Collection Bilingue n°5, Cap de l’Étang Éditions, 2020, p. 109.
Il se pourrait....
Il se pourrait que tout ce dont j’ai hérité
Ne soit rien d’autre que ce qui n’a jamais pu exister,
Ne soit rien d’autre que quelque chose d’interdit et de réprimé
De famille en famille, de femme en femme.
On dit que dans ma famille, mesuré
Était tout ce qui devait être fait…
On dit que les femmes du côté maternel
Ont été silencieuses… Ah, il se pourrait que cela soit vrai…
Il est arrivé à ma mère d’avoir le caprice
De vouloir se libérer, mais une profonde amertume
Montait dans son regard et, dans l’ombre, elle pleurait.
Et tout ce qui la blessait, la contraignait, la mutilait,
Tout ce qui dans son âme enfermé se trouvait,
Je pense, sans le vouloir, l’avoir libéré.**
**Alfonsina STORNI (1892-1938), Extrait du recueil Poesías (seleccionadas, e inéditas) / Poésies (choisies et inédites) (1920), traduit et présenté par Monique-Marie Ihry, Collection Bilingue n°7, Cap de l’Étang Éditions, 2020, p. 51.
© MM. Ihry
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Pour citer ces poèmes féministes traduits en français
Alfonsina (écrit par), Monique-Marie Ihry (traduit par), « Des femmes vont passant » & « Il se pourrait.... », poèmes reproduits avec l'aimable autorisation de la traductrice & de sa maison d'édition, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événement poétique|Megalesia 2021/II « Pionnières en poésies féministes », mis en ligne le 27 mai 2021. Url :
http://www.pandesmuses.fr/megalesia21/as-mmi-desfemmes
Mise en page par Aude Simon
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