Megalesia 2020 | Revue Matrimoine
Celle qui avait du cran
© Crédit photo : "Louise Colet", illustration par Alice Diaz.
Louise Colet, ce nom m’évoquait bien quelque chose… Et brusquement, je me suis rappelé : c’était la compagne de Flaubert. C’était tout pour moi. Une femme dans une correspondance : voilà ce à quoi je l’avais réduite. Ne me demandez pas pourquoi je n’évoque que des femmes dans ce cycle de poésie : il faut bien réparer l’oubli et reconnaître ces femmes incroyables que j’évoque dans mon blog. Louise Colet, en plus d’être une poète, était une femme très intéressante dont les actions sont souvent oubliées. Née en 1810, elle se marie à vingt ans avec un musicien, Hippolyte-Raymond Colet. Jusque-là, elle habitait Aix et répondait au nom de Louise Révoil de Servannes : après son mariage, elle s'installe à Paris et signe ses écrits Louise Colet. Assez rapidement, elle publie ses poèmes et obtient son premier prix – deux mille francs – de l’Académie française – elle en obtiendra quatre au total –. Elle tient alors un salon littéraire dans le IXème arrondissement de Paris où elle fréquente un monde littéraire très riche : Hugo, Musset, Vigny et Baudelaire en tête de liste… Elle côtoie également des peintres et des politiciens, en somme, elle est bien entourée. À trente ans, elle donne naissance à une fille, Henriette. L’ennui, c’est que ni son mari, ni son amant Victor Cousin ne reconnaissent la paternité de l’enfant. C’est alors que le journaliste Alphonse Karr révèle la liaison entre Louise et Victor au grand public. Sympa. Sauf que Louise Colet riposte : elle l’agresse réellement au couteau qu’elle lui plante dans le dos. Il s’en sort indemne, juste légèrement blessé et renonce à porter plainte contre elle. L’Histoire que nous avons apprise à l’école nous révèle ensuite ses nombreuses relations avec des artistes reconnus : Alfred de Vigny, Alfred de Musset, Abel Villemain… Et surtout Gustave Flaubert, même s'il était nettement moins connu qu’aujourd’hui. Pourtant, dans les cours de français, on a tendance à le citer plus souvent qu’elle, à cantonner Louise Colet à son statut d'amante qui correspondait avec lui. On nous a appris qu’elle avait inspirée Madame Bovary, et qu’il lui envoyait ses commentaires sur sa difficulté d'écrire. Et c’est tout. Après une relation passionnée, ponctuée de longues lettres entre les deux amants, Flaubert délaisse Louise Colet avec un billet plutôt froid :
Madame,
J’ai appris que vous vous étiez donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois fois chez moi. Je n’y étais pas ; et, dans la crainte des avanies qu’une telle persistance de votre part pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais. J’ai l’honneur de vous saluer.
Flaubert l'abandonne et se met à dénigrer son travail. C’est bel et bien ce qu’il s’est acharné à faire, plutôt que de la soutenir ou de la laisser vivre tranquillement, il préférait se moquer de son ancienne maîtresse et mépriser son art. Belle ingratitude, surtout lorsqu’on sait que Louise Colet a permis au jeune auteur Flaubert de se lier avec d’autres auteurs. En effet, plus âgée et plus expérimentée que lui, l’auteure l’invitait à ses salons littéraires où il a pu croiser des artistes divers et se faire une place et une réputation dans le monde littéraire. Heureusement, Louise était toutefois reconnue de son temps : entre 1840 et 1850 elle a obtenu de nombreux prix littéraires pour son œuvre. Elle était aussi célébrée par des artistes comme Victor Hugo, qui semblait rendre l’admiration qu’elle lui portait. Son œuvre est importante – plus de vingt ouvrages – et préfigure des œuvres majeures que nous avons étudiées voire aimées comme Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire.
Louise Colet meurt à l’âge de soixante-cinq ans, en 1876. Si elle est tombée dans l’oubli de nos manuels scolaires, il est important de montrer l’injustice totale de ce méfait : la poète était importante en son temps. Ce qui nous reste d’elle, ce n’est pas ses histoires d’amour, mais bien ses écrits que je vous encourage vivement à découvrir et partager autour de vous. Louise Colet mélangeait sa vie et sa littérature, déclarant « La vie se passe ainsi à aimer, à souffrir, à méditer et à tenter de rendre en langage immortel ce qu’on a senti ». C’est aussi sa force de caractère, le féminisme qu'elle nous transmet dans ses œuvres qui méritent notre attention. Connaître son Histoire, c’est bien, y apporter de la lumière, c’est encore mieux.
Je crois à l’avenir
Louise Colet
Oui, les illusions dont toujours je me berce
En vain leurrent mon cœur d’un espoir décevant,
Impassible et cruel le monde les disperse,
Ainsi que des brins d’herbe emportés par le vent.
Et moi, me rattachant à ma fortune adverse,
J’étouffe dans mon sein tout penser énervant ;
Malgré mon désespoir et les pleurs que je verse,
Je crois à l’avenir, et je marche en avant !
Pour soutenir ma foi, j’affronte le martyre
Des sarcasmes que jette une amère satyre
À mon rêve d’amour le plus pur, le plus cher !
On peut tailler le roc, on peut mollir le fer.
Fondre le diamant, dissoudre l’or aux flammes,
Mais on ne fait jamais plier les grandes âmes !
***
Pour citer ce témoignage
Alice Diaz (texte et illustration), « Celle qui avait du cran », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020, mis en ligne le 19 mai 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/louise-colet-cran
Mise en page par Aude Simon
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