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Lettre à
Vanessa Springora
sur
Le Consentement
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© Crédit photo : Première de couvercure du livre.
Le Consentement condense l’essentiel des thèmes sur la triste condition de la femme écrivain. Il transpose avec talent les sentiments d’amour passion pour les mettre en scène de manière salutaire. Il donne en exemple la relation intime où la femme est la proie d’un homme, de ces hommes convaincus qu’ils chassent les femmes comme du gibier et qu’une fois « dévorées », il ne leur reste qu’à aller voir ailleurs. Tel est l’honneur du chasseur : son orgueil immesuré lui fait mépriser la nature, et ceux qui se plaisent à la contempler. On peut y voir une cause du dérèglement climatique. Nous sommes encore dans cette barbarie misérable des rapports entre hommes et femmes, misère qui paraît irréversible, malgré des livres tel King Kong théorie.
Vous exposez comment vous avez aimé un grand écrivain, avec une cohérence annonciatrice d’espérance. La relation femme-homme en ressort éclairée, car expliquée sur un pied d’égalité, avec la rudesse et la douleur qui existent dans les rapports amoureux. La véritable justification de cet amour est le champ de l’écriture littéraire, et cela apparaît crucial. Quelle force au service d’un « métier » qui affirme la nature féminine, capable de changer en un amour absolu les exactions sordides d’un pédophile ! Réintégré de la sorte, le métier d’écrivain pourrait devenir un passe-muraille pour que les femmes retrouvent la liberté.
Par-dessus les mansardes où vous avez vécu, il y a votre voix incongrue avec son timbre d’adolescente, « embaumée », puisque le livre est un mausolée, où retentit le « chant du grillon » de Marceline Desbordes-Valmore, un battement vital venu d’un cœur de jeune fille. Aucune lueur ne vient éclairer la « petite V. » dans son parcours. La femme assignée à sa fonction reproductrice ne peut pas être « grande ». La société lui interdit de se manifester comme l’alter ego du « grand écrivain ». La « petite V. » caractérise l’absence d’identité de la femme qui écrit, alors qu’un homme doit se faire un nom, puisqu’il ne fait pas d’enfant... (on en pleurerait…). Un homme est irréductible aux sensations, à l’affection. « Maître » et « Professeur »... Ainsi Paul Valéry, André Gide se nourrissent des secrets de Catherine Pozzi et Lucie Delarue-Mardrus, pour occuper la posture de votre « monstre ». Grands hommes intouchables et femmes violées gisant au fond d’un puits. Vous réussissez remarquablement à mettre en scène ce fantasme ordinaire. « Arrêtons, quoi ! » s’est exclamée la comédienne Adèle Haenel. Mettons fin à l’anéantissement sournois de la force féminine !
Une des scènes vécues du Consentement va innerver les manuels scolaires, celle où Cioran, grand philosophe secondé par une servante, exhorte la fluette adolescente à rester l’inspiratrice du grand écrivain. Que ce couple archétypal ait joué ce rôle est révélateur du fantasme collectif s’obstinant à écarter les femmes des honneurs et de la gloire intellectuels ! Tandis que l’homme s’exerce chaque jour à élaborer une œuvre pour se faire un nom, et il y a « la petite V. » sur le fil de lame.
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Pour citer ce texte
Camille Aubaude, « Lettre à Vanessa Springora sur Le Consentement », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020, mis en ligne le 27 avril 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/lettre-consentement
Mise en page par Aude et David Simon
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