Lettre n°16 | À nos ivresses & aux Bacchantes | Poésie des ancêstres | Faits divers & catastrophes
L'inondation de 1856
Poème choisi & transcrit par
Dina Sahyouni
Crédit photo : Des inondations de 1856 en France, image de Commons.
III
L'inondation de 1856
Ode
Sur la cime des monts, chacun cherche un refuge,
Et craint de revenir aux horreurs du déluge.
Le fleuve élève aux cieux ses vagues en courroux,
Et couvre de ses eaux une femme à genoux.
Suspendant sa prière en cette horrible attente,
Elle jette autour d'elle un regard d'épouvante ;
Elle veut s'échapper ; mais le fleuve en son cours,
L'entraîne dans l'abîme... et l'eau monte toujours !
Son enfant sur son cœur, regardez cette mère ;
Jusqu'au dernier instant elle prie, elle espère ;
La vague prend l'enfant. Et, partageant son sort,
Sa mère dans les flots, trouve après lui la mort.
Des vieillards, des enfants, entassés pêle-mêle,
Se sont tous élancés dans une barque frêle :
La barque disparaît ! On vole à leur secours,
Mais ils sont engloutis... et l'eau monte toujours !
Un sentiment fait place à la tristesse amère,
Et chacun croit toucher à son heure dernière.
Pour sa mère adorée, en un suprême effort,
Un fils au désespoir lutte contre la mort.
Sa mère entre ses bras, guidé par son courage,
Il atteint le plus haut des hauts points du village ;
Mais le fleuve l'atteint et l'emporte en son cours,
Sa mère est entraînée... et l'eau monte toujours !
Crédit photo : Des inondations de 1856 en France, image de Commons.
Oublié sur un roc, un malheureux succombe,
Pour lui chaque minute est un pas vers la tombe ;
Car, bravant mille fois tous les dangers nouveaux,
Pour sauver son semblable, il plongea dans les eaux.
Mais son chien le rejoint, à son maître fidèle,
Quand lui la dernière heure, il consacre son zèle ;
Il cherche à l'entraîner pour préserver ses jours,
Mais ils meurent tous deux... et l'eau monte toujours !
Tout bruit cesse... Au milieu du plus morne silence
On n'entend que la voix du flot qui se balance ;
Ce flot qui dans sa course a tout anéanti,
Conserve dans ses flancs ce qui fut englouti.
Il ravit le bonheur, il ravit la richesse,
Il fait couler les pleurs où régnait l'allégresse.
Il ravit tout enfin, dans son terrible cours,
Il ne rend jamais rien... et l'eau monte toujours !
Il veut tout posséder et de tout il s'empare ;
Rencontrant dans sa course un fleuve qui s'égare,
Il va lui disputant le butin amassé,
Le corps de la victime et le roc déchaussé.
Si le cœur d'un ami renaît à l'espérance,
Voyant qu'un malheureux vers la plage s'avance,
Riant de sa douleur, le torrent dans son cours,
L'entraîne au fond des flots... et l'eau monte toujours !
Crédits photos : Des inondations de 1856 en France, images de Commons.
Partout est le meilleur, et partout la misère,
Chaque être qui survit pleure, se désespère...
Enfin l'eau redescend !... et prise de remords,
Elle montre à nos yeux les cadavres des morts.
L'homme a fait alliance avec le divin juge ;
Comme on vit l'arc-en-ciel, à la fin du déluge,
Un prince généreux, vient en ces tristes jours,
Soulager le malheur... et l'eau reprend son cours !
Juin 1856.
Fin*
* « L'inondation de 1856 » est une ode de FORESTIER, Fanny (Mlle, 1839-1901), Premier bouquet poétique, par Mlle Fanny FORESTIER, Paris, imprimerie de J. CLAYE, 7 Rue Saint-Benoit, 1856, p. 11. Fanny Forestier est la sœur de Jeanne Forestier et la tante de l'auteur Paul Léautaud. Cet opus composé de trois poèmes appartient au domaine public.
Pour citer ce poème fait divers de juin 1856
Fanny Forestier, « L'inondation de 1856 », ode de l'opus poétique de FORESTIER, Fanny (Mlle, 1839-1901), Premier bouquet poétique. (1856), choisie & transcrite par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°16, mis en ligne le 16 juillet 2021. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettreno16/ff-inondationde1856
Mise en page par Aude Simon
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