Poème d'un aïeul |
François Villon,
« Ballade pour prier Notre-Dame »
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Texte transcrit, annoté et commenté par Ouattara Gouhe |
Crédit photo : Léonard de Vinci, La Vierge aux rochers, wikimédia.
Dame du ciel, régente terrienne,
emperière1 des infernaux palus2,
Recevez-moi, votre humble chrétienne,
Que comprise sois entre vos élus,
Ce nonobstant3 qu’onques4 rien ne valus.
Les biens de vous, ma dame et ma maîtresse,
Sont trop plus5 grand que ne suis pécheresse,
Sans lesquels bien âme ne peut mérir6
N’7 avoir les cieux. Je n’en suis jangleresse8 ;
En cette foi je veux vivre et mourir.
A votre fils dites que je suis sienne ;
De lui soient mes péchés absolus9 ;
Pardonnez-moi comme à l’Egyptienne10,
Ou comme il fit au clerc11 Téophilus12,
Lequel par vous fut quitte et absolus13,
Combien qu’14 il eût au diable fait promesse.
Préservez-moi de faire jamais ce15,
Vierge portant, sans rompure encourir16,
Le sacrement qu’on célèbre à la messe ;
En cette foi je veux vivre et mourir.
Femme je suis pauvrette et ancienne
Qui rien ne sais ; onques lettre ne lus.
Au moutier17 vois, dont je suis paroissienne,
Paradis peint, où sont harpes et lus18
Et un enfer où damnés sont boullus19 ;
L’un me fait peur, l’autre joie et liesse.
La joie avoir me fait, haute Déesse,
A qui pécheurs doivent tous recourir,
Comblés de foi, sans faim ni paresse :
En cette foi je veux vivre et mourir.
Vous portâtes, digne Vierge, princesse,
Jésus régnant, qui n’a ni fin ni cesse20,
Le Tout-Puissant, prenant notre faiblesse,
Laissa les cieux et nous vint secourir,
Offrit à mort sa très chère jeunesse ;
Notre-Seigneur, tel est tel le confesse21 :
En cette foi je veux vivre et mourir.
(François Villon, « Ballade pour prier Notre-Dame » , Le Testament, 1461.)
Notes
1 Impératrice.
2 Les marais (palus) de l’enfer (infernaux) ; mélange de la mythologie antique et de l’au-delà chrétien.
3 Et ceci malgré le fait que.
4 Jamais.
5 Beaucoup plus.
6 Mériter.
7 Ni.
8 Menteuse.
9 Lavés, effacés.
10 Sainte Marie l’Égyptienne, sauvée par une intervention de la Vierge Marie.
11 Homme cultivé au Moyen Âge.
12 Il avait vendu son âme au diable, et fut sauvé, lui aussi, grâce à l’intercession de la Vierge.
13 Absous.
14 Bien que.
15 Cela.
16 « Sans encourir de souillure » ; la Vierge a pu mettre au monde Christ sans perdre sa virginité.
17 Monastère, Église.
18 Luths, instruments de musique à cordes.
19 Bouillis.
20 Synonyme de fin.
21 Le sens premier du verbe confesser était dire sa foi.
Commentaire
Choix d'une ballade d'un aïeul de renommé, François VILLON. J'ai choisi ce poème pour sa double adresse : il rend compte de la sincère confidence d'une aïeule, la mère du poète, à une Ancêtre du lyrisme, la Vierge Marie. De plus, l'envoi final de la ballade dévoile un "acrostiche" éponyme de VILLON par les lettres à l'initial des vers (J=I).
Pour citer ce poème
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Outtara Gouhe, « François Villon, ''Ballade pour prier Notre-Dame'' », poème transcrit, annoté et commenté par Ouattara Gouhe, Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Jardins d'écritures au féminin », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°3|Été 2013 [En ligne], (dir.) Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 1er juin 2013. |
Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-3-ballade-pour-prier-notre-dame-117752622.html/Url. |
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