Esther Ada, Celle qui dit, J'aimerais embrasser le passé sur la bouche et Léopoldine un soir de juin
N° 10 | Célébrations | Dossier mineur | Florilège
Esther Ada, Celle qui dit,
J'aimerais embrasser le passé sur la bouche
& Léopoldine un soir de juin
Crédit photo : Wall painting of three women (Ladies in Blue) from Knossos (outside Royal Magazines), Heraklion, AM, image de Wikimedia, domaine public.
Esther Ada
Un seul nom
demeure sur les tombes
de Lampedusa. Elle avait dix-huit ans
et la grâce des gazelles.
Tant de mains suppliciées
disparues au charnier azuréen
des poissons avides. Mare nostrum,
un cimetière.
Je te nomme, seule, Esther Ada,
rescapée des fosses communes du silence,
je t’adoube immortelle.
Une survivante du Titanic portait ce même nom.
Celle qui dit
J’aurais aimé pétrir une argile torride
Et de mes mains déesses créer de terre aride
Formes femmes fantasmes modelés tel destins
J’aurais été Camille aux côtés de Rodin
J’aurais aimé de mes yeux parcourir la planète
En devenir le chantre des gens et des bêtes
D’un objectif rageur capturer injustices
Ou simplement merveilles en beautés de solstices
J’aurais aimé devenir une toile infinie
Où mille couleurs d’intense seraient devenues vie
Tournesols ou marines ors flamands et sanguines
Ma peinture au soleil sentirait mandarine
J’aurais aimé danser en tutu de p’tit rat
Gracieuse ballerine merveilleuse Coppélia
Mon lac des cygnes aurait couleur d’immense
Isadora Duncan serait entrée en transes
J’aurais aimé vibrer au clavier tempéré
De cent accords divins de maîtres inachevés
Devenir concertiste adulée une artiste
Mes mains si assurées se feraient cantatrices
Mais je ne sais qu’écrire balbutier radoter
Raconter murmurer ravagée de pensées
Les mots me bouleversent l’émotion me décrit
Au clair de toutes lunes je suis celle qui dit.
J'aimerais embrasser le passé sur la bouche
J’aimerais embrasser le passé sur la bouche,
En un souffle léger, comme on frôle une couche
Où l’amant assoupi frissonne en s’endormant…
Je viendrais regarder tous mes rires d’enfant.
Je me verrais rêver au destin qui m’attend,
Toute de vie vêtue, chantonnant sur un banc ;
Et puis toutes ces failles qui craquellent mes nuits,
Je saurais les combler sous la lune qui luit.
Quand cette jeune fille passerait devant moi,
Je lui dirais les routes, et la faim, et le froid.
Mais aussi les bonheurs, et tant de mirabelles
Que ses jours engourdis deviendraient des soleils.
Je lui tiendrais la main, murmurant à son cou
Que les hommes sont bons, même quand ils sont fous
Léopoldine un soir de juin
Léopoldine un soir de juin
Son rire tendre et cristallin
Brassées de fleurs escarpolette
Et les sourires en pirouettes
Des murs envahis de glycines
Des confitures en ma cuisine
Le parc immense un écureuil
Parfois on y voit les chevreuils
Nos matins sentent le lilas
La sieste sourde est taffetas
À l’heure où chantent les grillons
Au ciel s’allument des lampions
Je vis chargée de mille roses
Et tu me dictes tant de proses
On dit de moi « Madame Hugo »
Mais tes maîtresses te trouvent beau
Oh rendez moi nos Feuillantines
Et le rire de Léopoldine
À l’heure où blanchit la campagne
Moi ta modeste compagne.
***
Pour citer ces poèmes inédits
Sabine Aussenac, « Esther Ada », « Celle qui dit », « J'aimerais embrasser le passé sur la bouche » & « Léopoldine un soir de juin », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 10 | Automne-Hiver 2021-22 « Célébrations », mis en ligne le 28 janvier 2022. Url :
http://www.pandesmuses.fr/no10/sa-estherada
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