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Le prêtre et le dieu et Amour ailé
Textes choisis & transcrits par Dina Sahyouni
Crédit photo : Fleurs, peinture de nature morte, domaine public, Wikimedia.
Le prêtre et le dieu
Hors du sol noir, bloc d'or, au feu tu m'as jeté,
Et je devins un dieu !... Quel long frisson de joie
M'éveilla, quand ta voix, criant ta volonté,
M'appela dans le temple où mon orgueil flamboie !
Ta parole m'anime, ô créateur ! En moi,
Comme une onde de sang, sa caresse sonore
Frémit, roule, me brûle et tout me vient de toi,
Ô maître ! Ton regard est ma première aurore !
Je me vois dans ton âme ainsi qu'en un miroir,
Plus haut que ton esprit ton audace m'élève,
Et je suis ton amour, ton désir, ton espoir :
Ô gloire ! Je suis dieu par l'ordre de ton rêve !...
Et voici que mon nom s'allume en un éclair :
Impérieux, ton bras levé le montre aux hommes :
« Il faut craindre et trembler du plus humble au plus fier. »
Tous redisent alors le nom dont tu me nommes.
De mon temple superbe ils montent les chemins,
L'emplissent, éblouis du feu de l'auréole :
On m'adore, on me prie, on tend vers moi les mains,
Et la clameur se brise aux ors de la coupole.
La victime gémit, les quatre pieds liés ;
Le sacrificateur l'égorge sur la dalle ;
Des brumes de parfums envoilent les piliers ;
Un effluve d'amour avec l'encens s'exhale.
Et toi le divin prêtre, accoudé sur l'autel
Tandis que l'hymne saint qu'accompagne la lyre,
Fervent et triomphal, me proclame immortel,
Tu contemples ton œuvre en un muet délire.
Tu pleures, enivré de ma splendeur ; la loi
Par toi-même est subie et je bois ta prière.
Vois, ma divinité, sous ton ardente foi
Dans l'infini projette un spectre de lumière.
Mais ton cœur est saisi d'un impossible espoir...
Devant le troupeau vil, tu clos le tabernacle,
Et seul, éperdument, de moi tu veux savoir...
Ta voix qui me conjure ordonne le miracle.
Tu veux savoir le mot que tu ne m'as pas dit,
La réponse au « pourquoi » de l'âme inassouvie ;
Tu veux forcer le seuil, par la mort interdit,
Pour connaître la fin de l'homme après la vie.
Ton douloureux désir qui jamais ne s'endort
Les nuits après les jours de son cri me harcèle,
En me faisant vibrer comme une harpe d'or,
Sans m'arracher le mot que l'implacable scelle.
Tu tressailles pourtant quand l'impétueux flot
De ton vouloir tenace et qui vers moi s'élance,
Refluant vers ton cœur se mêle à ton sanglot
Comme si l'inconnu rompait le lourd silence ;
Lorsque ta longue extase embaumant le saint lieu
T'enveloppe et te rend ta caresse de flamme ;
Quand tout ce que de toi tu dardes sur le Dieu
Rejaillit en faisceau de rayons dans ton âme.
Haletant, tu crois voir luire l'instant divin
Du miracle, ta chair palpite en un vertige...
Mais l'ombre reste l'ombre et ton effort est vain :
Ton cœur désespéré voit mourir le prestige.
Un sinistre regard est monté de tes yeux :
Ta foi sous le doute a sombré ; mon auréole
Se ternit comme un astre en un soir pluvieux ;
Le souffle de la mort a passé sur l'idole.
De l'autel renié le prêtre est descendu.
Il brise l'encensoir et dans un cri suprême
Me maudit et s'éloigne en un geste éperdu !...
J'écoute longuement l'écho de son blasphème...
Mon temple, par le peuple, est bientôt déserté,
Et, dans la solitude où le temps s'évapore,
Pleure le souvenir de ma divinité,
Tandis que le parfum de l'encens flotte encore.
Le troupeau qui m'aimait me redoute à présent,
Nul n'ose me saisir d'une main sacrilège,
Car on me reconnaît un pouvoir malfaisant
Et du mauvais génie on évite le piège.
Des nuits, des jours, des nuits, et c'est le chacal seul
Qui hurle et se lamente où chantait la prière.
Le lierre étend partout un nombre et froid linceul,
Et le parvis sacré s'émiette en poussière.
Mais le temple a fléchi sous un suprême choc.
La tourmente sur lui semble assouvir sa rage ;
Le feu du ciel refait de moi l'informe bloc...
Tout croule, je m'abîme au fracas de l'orage[;]
Le silence et la nuit m'enlisent à jamais,
Mon pouvoir, mon orgueil, la splendeur de ma face,
Même le souvenir des cœurs que j'enflammais,
Tout est anéanti, tout est mort, tout s'efface...
Amour ailé
Toi qui portes ta prière
En plein ciel, et tout le jour
T'élèves vers la lumière,
Pâmé de joie et d'amour,
Ô toi dont le chant ruisselle,
Perles de cristal et d'or !...
Je suis jaloux du coup d'aile,
Je suis jaloux de l'essor.
Qui peut te donner l'ivresse
De te baigner dans l'air bleu ?
Toi que le rayon caresse,
Loin de nous, plus près de Dieu !
Or, voici que ta compagne,
Qui partage ton émoi
Et du regard t'accompagne,
D'un élan monte vers toi.
Ô frisson plein d'étincelles,
Amour au ciel emporté !
Un baiser ayant des ailes,
Idéale volupté...
Les poèmes ci-dessus proviennent de GAUTIER, Judith (1845-1917), Poésies [Les rites divins – Au gré du rêve – Badinages – Pour la lyre], Paris, Bibliothèque-Charpentier, Eugène FASQUElLLE, Éditeur, 11 Rue de Grenelle, 1911, poèmes se trouvant respectivement « Les rites divins », pp. 19-24 et « Au gré du rêve », pp. 57-58, Cet ouvrage est tombé dans le domaine public.
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Pour citer ces poèmes d'amour de l'aïeule
Judith Gautier, « Le prêtre et le dieu » & « Amour ailé », extraits de GAUTIER, Judith (1845-1917), Poésies, (1911) & ont été choisis & transcrits par Dina Sahyouni pour Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poétiques | Festival International Megalesia 2022 « Les merveilleux féeriques féministe & au féminin », mis en ligne le 1er juin 2022. Url :
http://www.pandesmuses.fr/megalesia22/jg-amouraile
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