21 mars 2021 7 21 /03 /mars /2021 10:05

 

Événements poétiques | Megalesia 2021 | Revue Poépolitique

 

 

Premier épisode du reportage-feuilleton du L'Occupation de l'Odéon 

 

 

 

 

 

 

Occupation du Théâtre

 

 

de l'Odéon :

 

 

un parfum de mai 68

 

 

 

 

 

Mustapha Saha

Sociologue, poète, artiste peintre

 

Reportage photographique par

Élisabeth et Mustapha Saha

 

 

 

​​​​​​​​​​​​​​​​​​© Crédits photos : Théâtre de l'Odéon, reportage photographique © Élisabeth & Mustapha Saha sur l'occupation du Théâtre de L'Odéon à Paris, mars 2021, no 1 & no 2. 

 

 

Paris, 4 mars 2021. Une manifestation pour la culture s’ébranle de la Place de la République. Des d’étudiants en art dramatique, désoeuvrés par la suspension de leurs cours, ou leur virtualisation,  un comble pour une discipline autant physique qu’intellectuelle, se mobilisent. Une banderole affiche « Nous voulons mourir sur scène ». Molière au secours ! Un manifestant, portant un masque de robot, poignets enchaînés, brandit un écriteau « culture en danger ». Sur une autre pancarte, « Besoin urgent d’une bouffée d’art ». Une fanfare orchestre la rébellion festive. Un groupe de quatre-vingt personnes se détache pour investir l’Odéon. Le patriarche,  Marc Slyper,  fréquente, depuis un demi-siècle, la vieille bâtisse. Il s’y représente chaque fois que le vent de l’histoire secoue les colonnes impassibles. 

 

 

​​​​​​© Crédit photo : Mustapha Saha, Place de la république, Théâtre de l'Odéon, reportage photographique © Élisabeth & Mustapha Saha sur l'occupation du Théâtre de L'Odéon à Paris, mars 2021, no 3.

 

 

15 mai 1968. Une poignée d’artistes et d’étudiants, Jean-Jacques Lebel et moi-même, prenons possession du théâtre de l’Odéon que nous transformons, pendant un mois, en agora vivante, grouillante, confusément créative. Des rencontres improbables s’effectuent. Des talents insoupçonnés se révèlent. Nous sommes adoptés par les habitants du quartier qui viennent volontiers discuter et nous gratifier de quelques boissons chaudes. Des comédiens et des ouvriers, des écrivains et des immigrés, des jeunes et des vieux s’échangent allégrement leurs opinions. Marc Slyper, lycéen à Sarcelles, activiste précoce, rejoint en soirée l’euphorique pétaudière. Je représente le Mouvement du 22 Mars, irréfutable caution révolutionnaire. Le ministre de la culture, André Malraux, renvoie illico le directeur, Jean-Louis Barrault, qui se solidarise avec les squatters. L’acteur et metteur en scène déclare dans l’enthousiasme ambiant : « Au risque de décevoir quelques personnes, je vous annonce que je ne suis plus directeur de ce théâtre. Je ne suis plus qu'un comédien comme les autres. Barrault est mort ».

 

14 juin 1968. Les feux de révolution culturelle s’éteignent. En face des forces disproportionnées de répression,  nous préférons la reddition à l’affrontement suicidaire. Le préfet de police Paul Grimaud voit sortir avec effarement, baluchons sur le dos, des couples romantiques, main dans la main, des mères avec leurs enfants en bas âge, des clochards érudits, des vagabonds célestes chevelus, des poètes éberlués, des insomniaques médusés. Des inspecteurs se précipitent, montent et descendent, à la recherche d’armes, de Cocktails Molotov, d’explosifs, de l’arsenal supposé des émeutiers. Ils ne trouvent que quelques couteaux, des képis et des matraques de gardiens de la paix, subtilisés pendant les manifestations. Les drapeaux rouges et noirs sont arrachés. «  Embrasse ton amour, mais ne lâche pas ton fusil » sur le mur paraît soudain d’une désuétude émouvante. Nous avons démythifié le gaullisme et le stalinisme. Nous n’avons jamais cru au grand soir. Nous savons déjà que nous entrons dans une longue période de glaciation culturelle. Les couleurs de la révolution sont vite maculées. Opération d’évacuation achevée en une heure. Les mêmes riverains, hier sympathisants, sinon bienveillants, s’attroupent derrière les cordons de la gendarmerie, applaudissent le retour à leur morne quotidienneté. 

 

 

​​​​​​​​​​​​© Crédits photos : Manifestants autour du Théâtre de l'Odéon, reportage photographique © Élisabeth & Mustapha Saha sur l'occupation du Théâtre de L'Odéon à Paris, mars 2021, no 4 & no 5.

 

 

 

13 Mars 1968. En cette première quinzaine d’occupation, le théâtre de l’Odéon, grilles verrouillées, est inaccessible. Un bataillon de vigiles contrôle fermement les entrées et les entrées. Occupation surveillée. Protestataires sous cage. Une présence à peine tolérée par la direction qui renonce à l’expulsion manu militari en échange d’un strict encadrement. L’animation musicale, le forum modéré par Marc Slyper, les discussions informelles se déroulent  à l’extérieur, dans la rue. A dix-sept heures, la place se vide. Couvre-feu oblige. Paradoxe des paradoxes, l’occupation du théâtre fermé est en somme un confinement choisi pour sortir de l’impasse. Une saison de spectacles vivants sinistrée, marquée d’une pierre noire. Les militants, respectueux des répétitions d’une troupe de théâtre préparant Le Ciel de Nantes de Christophe Honoré, pièce écrite au jour le jour, acceptent des restrictions liberticides. Coïncidence, le décor de la pièce est un cinéma désaffecté utilisé comme un refuge.  

 

Les occupants sont des syndicalistes aguerris, des négociateurs expérimentés, armés de revendications concrètes, réouverture des salles de spectacles qui n’ont jamais été des foyers d’infection, prolongation d’une nouvelle année blanche indemnisée pour les intermittents, les travailleurs précaires, les saisonniers, prise en charge des congés-maladie et des congés-maternité, retrait  de la réforme ségrégative de l’assurance-chômage. Les artistes s’organisent dans la durée. Plusieurs commissions se répartissent les tâches, logistique, ravitaillement, communication… Une cagnotte en ligne finance des réserves de nourriture, des produits d’hygiène, des fournitures indispensables. Les statues de Racine et de Corneille s’accoutrent d’étendards syndicaux. L’action se veut fédérative. Le mouvement fait tache d’huile. Des théâtres publics et privés suivent l’exemple. La défense de la culture passe par la convergence des luttes. L’occupation s’imagine un carrefour à l’instar des ronds-points envahis par les gilets jaunes. 

 

 

​​​​​​© Crédit photo : Théâtre de l'Odéon, reportage photographique © Élisabeth & Mustapha Saha sur l'occupation du Théâtre de L'Odéon à Paris, mars 2021, no 6.

 

L’acteur Thibault Lacroix déclame sur  balcon un poème de William Shakespeare : « Fatiguée de ce monde je demande à mourir / Lassée de voir qu'un homme intègre doit mendier /  Quand à côté de lui des nullités notoires / Se vautrent dans le luxe et l’amour du public /  Qu’on s’amuse à cracher sur la sincérité / Que les places d'honneur sont pour les plus indignes / Qu’on offre des corps vierges à des désirs brutaux / Qu’on couvre d’infamies le juste diffamé / Qu’un fort devienne infirme au pouvoir du difforme / Que l'art est bâillonné sous un règne arbitraireQue des singes en docteurs décident du génie / Qu’un être simple et vrai est traité de stupide / Que  le bien asservi est esclave du mal / Fatiguée de tout ça, je veux quitter ce monde / Sauf que si je me tue, mon amour sera seul ».

Un autre acteur, Matthieu Marie, dit un texte d’Antonin Artaud : « Le théâtre comme la peste est une crise qui se dénoue par la mort ou par la guérison. Et la peste est un mal supérieur parce qu’elle est une crise complète après laquelle il ne reste rien que la mort ou qu’une extrême purification, écrit-il. De même, le théâtre est un mal parce qu’il est l’équilibre suprême qui ne s’acquiert pas sans destruction. Il invite l’esprit à un délire qui exalte ses énergies ; et l’on peut voir pour finir que du point de vue humain, l’action du théâtre comme celle de la peste est bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartufferie; elle secoue l’inertie asphyxiante de la matière qui gagne jusqu’aux données les plus claires des sens; et révélant à des collectivités leur puissance sombre, leur force cachée, elle les invite à prendre en face du destin une attitude héroïque et supérieure qu’elles n’auraient jamais eu sans cela » (Antonin Artaud : "Le Théâtre et la peste",  "La Nouvelle Revue Française", n° 253, Janvier 1934).

 

 

​​​​​© Crédit photo : Théâtre de l'Odéon, reportage photographique © Élisabeth & Mustapha Saha sur l'occupation du Théâtre de L'Odéon à Paris, mars 2021, no 7.

 

 

 

La crise sanitaire, gérée statistiquement, froidement, par des technocrates, fait tomber l’art, la poésie, dans l’inessentiel, l’irréférentiel, le sacrificiel. Le mot culture s’occulte dans les discours, obsédés par leur dramaturgie de l’urgence. La rhétorique perd sa logique manipulatrice. Les éléments de langage ne propagent qu’angoisse virale. Ne se profilent au bout des annonces qu’issues tragiques. Ne parviennent aux solitudes confinées qu’échos de la mort. La vie sociale se saborde. Les lieux culturels se condamnent. Les livres s’interdisent à la vente. L’absurde gère grotesquement l’imprévisible. L’apparence égare sa substance. L’insaisissable réalité récuse à chaque décision l’impuissante raison calculatrice. Puisque la liquidation technocratique de la culture est programmatique, les artistes entrent en résistance. Ils exploitent judicieusement les discordances, les incohérences, les inconséquences d’une gouvernance sans cap et sans trajectoire. Ils investissent les lieux encore ouverts, les églises, les galeries marchandes, les salles de vente. Les interstices urbains sont des scènes incontrôlables. 

 

 

Photographies supplémentaires

 

 

​​​​​​© Crédit photo : Marc Slyper, Théâtre de l'Odéon, reportage photographique © Élisabeth & Mustapha Saha sur l'occupation du Théâtre de L'Odéon à Paris, mars 2021, no 8. 

 

 

 

​​​​​​​​​​​© Crédit photo : Marc Slyper & Mustapha Saha, Théâtre de l'Odéon, reportage photographique © Élisabeth & Mustapha Saha sur l'occupation du Théâtre de L'Odéon à Paris, mars 2021, no 9.

 

​​​​​​​​​​​© Crédit photo : Élisabeth Saha, Théâtre de l'Odéon, reportage photographique © Élisabeth & Mustapha Saha sur l'occupation du Théâtre de L'Odéon à Paris, mars 2021, no 10. 

 

 

 

Voir aussi :


Mustapha Saha, « Entretien avec le musicien et syndicaliste Marc Slyper »

 

***

 

 

Pour citer cet article 

 

Mustapha Saha, « Occupation du Théâtre de l'Odéon : un parfum de mai 68 », reportage photographique inédit par Élisabeth et Mustapha Saha, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événement poétique|Megalesia 2021, mis en ligne le 21 mars  2021. Url :  

http://www.pandesmuses.fr/megalesia21/ms-occupationdelodeon

 

 

 

 

 

Mise en page par David SIMON 

 

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