Megalesia 2020 | Réflexions féministes sur l'actualité
« Éviter les secrètes surprises
du diable » !
Crédit photo : Joovs van Cleve, "La Vierge à l'enfant", domaine public, Wikipédia, Commons.
Cet article a été écrit suite à la polémique du musée d'Orsay, il contient des réflexions suscitées par "la polémique liée au décolleté d'une jeune femme jugé indécent lors de sa visite au musée d'Orsay". Des images reprises sur Wikipédia accompagnent le sujet.
Voilà un conseil prodigué par le capucin Alexis de Solo dans son ouvrage de 1627 intitulé Le chemin assuré du paradis.
À l'instar de cette formulation, de nombreux textes religieux ont recommandé de fuir la séduction de la beauté féminine. L'on songe inévitablement à Lilith, première femme d'Adam, jugée trop licencieuse puis à Ève incarnant la tentation suprême…
Trois vers célèbres tirés du Tartuffe de Molière témoignent de la faiblesse des hommes quant à leurs inclinations : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir / Par de pareils objets des âmes sont blessées / Et cela fait naître de coupables pensées ».
Sont-ce de « coupables pensées » qui ont traversé subrepticement les esprits du personnel du musée d'Orsay jusqu'à les égarer dans une injonction faite à une jeune femme de cacher les appas d'un décolleté forcément jugé indécent ?
Doit-on annoncer le retour de dévots hypocrites dans le lieu même où l'on nous donne à voir L'origine du monde ou Le déjeuner sur l'herbe ?
Quelle peut en être la mécanique sans doute inconsciente de cet excès de pudibonderie au XXIe siècle ?
Il fut un temps où dans la Grèce antique, les hommes affichaient une préférence pour les poitrines plates alors qu'à la Renaissance, ils considéraient que les femmes aux formes généreuses étaient plus attrayantes.
Quant à certaines tribus africaines où les femmes évoluent torse nu, l'anthropologue Fran Mascia-Lee nous apprend qu'elles ne suscitent pas d'intérêt particulier auprès des hommes.
Crédit photo : Eugène Delacroix, "La liberté guidant le peuple", domaine public, Wikipédia, Commons.
C'est au XXe siècle avec l'avènement de la « libération » de la femme jusqu'alors cantonnée dans son rôle de mère reproductrice et nourricière que le sein devient un lieu de pouvoir et de révolte. Du sein dévoilé de la Marianne à celui dénudé des Femen, la femme se projette hors d'elle-même. Le sein n'est plus un objet désirant, la femme se réapproprie son corps, mettant ainsi à mal les fantasmes autour de l'éternel féminin.
Dans le même temps, le sein soumis aux diktats des apparences et du paraître, devient pour certaines un accessoire érotique indispensable, d'où leur engouement pour la chirurgie esthétique qui devient alors une nouvelle forme d'aliénation….
L'on en oublie la fonction naturelle et première du sein qui n'est autre que l'allaitement pourtant recommandé par l'OMS. Nombre d'incidents ont été relatés dans la presse ces dernières années quant à l'interdiction faite aux femmes de donner le sein à son nourrisson en public, témoignant ainsi d'un mal être de certains esprits incapables de se défaire d'images prégnantes liées sans doute à la pornographie, la publicité subliminale, voire aux apparitions inquiétantes pour eux des Femen…
Il aura fallu une loi pour mettre fin au désordre d'un imaginaire collectif souvent perturbé c'est ainsi que l'Equality Act de 2010 permet dorénavant aux femmes britanniques d'allaiter en dehors de la maison en toute légalité !
Mais si dans l'Écriture sainte, le prophète Jérémie parlait des femmes avec mépris en évoquant celles qui « montraient leur mamelle nue », on rappellera que le Vatican a revu sa position en 2008 en affirmant qu'il fallait mettre fin à quatre siècles de pudeur quant à la représentation de la Vierge Marie allaitant son enfant.
Dans l'Osservatore Romano, le père Enrico de Covolo préconisait même de revenir à des représentations plus charnelles et plus réalistes de cette scène emblématique de la maternité !
Le merveilleux tableau de Joovs van Cleve peint en 1525 nous permet d'admirer une Vierge au sein nu aussi rond et ferme que la pomme que son enfant tient dans l'une de ses mains. Voilà une œuvre emblématique qui devrait faire taire tous les Tartuffe qui ont offusqué la visiteuse du musée d'Orsay en estimant qu'elle avait un décolleté provocant, l'enjoignant à recouvrir une partie de son anatomie pour éviter à tout un chacun « les secrètes surprises du diable »…
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Pour citer cet article féministe
Françoise Urban-Menninger, « "Éviter les secrètes surprises du diable"! », texte inédit, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020, mis en ligne le 12 septembre 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/fum-secretes-surprises
Mise en page par David Simon
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