Megalesia 2020 | Critique & réception
Jean-François Blavin,
« Oscillations vagabondes au crépuscule »,
Éditions Unicité, 2020, 94 p., 13€
© Crédit photo : "Première de couverture illustrée du recueil aux Éditions Unicité ".
Ces poèmes rehaussés des beaux dessins de la talentueuse Nicole Durand reflètent les pérégrinations urbaines d'un poète à l’œil affûté. Ils sont aussi chapeautés d’une très longue préface de Laurent Desvoux- D’Yrek intitulée : Les terrasses de la divine comédie humaine ».
Le poème luminaire court mais très parlant décrit l’état d’esprit d’un poète pèlerin parcourant les allées d’un quotidien à géométrie variable:
« Entre extase et accablement
Je chemine ici ou là ».
Et Notre-Dame dans son martyre de trouver une place d'honneur dans le recueil ! Il fallait y penser ! Ainsi peut-on lire :
« Notre- Dame de Paris martyrisée
Mais c’est Paris tout entier qui suffoque »
Et c’est aussi le constat de l’hiver qui saisit la ville et la soumet à son « poignard de gel » car « Ce jour il gèle à pierre fendre » mais le poète courageux et téméraire ne cède pas à la panique: « Pas à pas dans la rue il marche ». « Il », c’est bien lui le poète qui se nomme à la troisième personne car le « je » peut bien paraître ostentatoire, il vaut mieux s’effacer derrière le « il » et c’est bien là son jeu. Il est aussi cet homme mûr qui dans la montée des ans se souvient avec
bonheur de l’enfance et c’est ainsi que :
« Des jeux enfuis il se souvient
De la pêche sur la jetée «
…………………..
» Et les sirènes de sa vie
Voltigent devant l’homme mûr »
La nuit, les songes du poète semblent peuplés « d’oiseaux migrateurs » histoire de penser que ses nuits seraient le prolongement de ses journées de balades enchanteresses :
« Oiseaux migrateurs de mes curieux sommes
Est-ce souvenance au tamis des jours »
Il ne manque pas de faire un clin d'œil à Rimbaud dans le poème sur le très chic restaurant Le Zimmer de la Place du Châtelet à Paris avec de très belles images ou évocations :
« Quand le val n’est point tragique
au dormeur
il est d’étranges escales »
Avec un luxe de détails, le poète nous invite à découvrir le charme de ce lieu feutré et chaleureux :
« Au-dessus des marbres durs
Il y a comme la scène et le promenoir
d’un théâtre
les tentures rouges, les rideaux écarlates
les lettres de flétrissure, les miroirs,
les sièges cossus, les penseurs, les faux-penseurs,
les imposteurs »
Référence est également faite aux héros mythologiques qui veillent sur la Fontaine Médicis dans un poème dédié à Elsa, la fille du poète, comme cadeau d’anniversaire, aussi considère-t-il :
« Polyphème enfouit sa haine
D’Ulysse sous tant de flocons
Quand la neige caresse Acis
Créant l’émoi en Galatée »
Il joue avec les sonorités sans verser dans une rimaillerie insipide et banale. Il a pour particularité d'omettre les déterminants et de forger des locutions verbales comme dans les vers suivants : " Où se ruaient dames affolées", « dresser constat de l’inavouable » (locution verbale) bien d'autres emplois similaires : originalité qui le rapproche du registre classique :
« C’est déjà intrigante mélopée
A ravir pauvres éperdus et blêmes » p. 89
Lancer pelletées : « […]il lance
Pelletées de rimes en rade. »p. 41
Se créer chemins : « Des laves se créent chemins en rigoles »
Poursuivre quête : « Poursuis alors quête de l’oasis » p.48
« Signant clôture d’une vie
Pour l’échoppe de vie vibrante » p.54.
Ici, il y a coexistence d’allitérations et de locutions verbales.
Il a aussi l’art d’adjectiver les substantifs comme dans « monts aventuriers » (p. 89) et dans le dernier poème (à la page 91) qui fait retour au premier vocable du titre du recueil : « Oscillations » qui dénote son amour de la montagne, il récidive en adjectivant le mot « moraine » : « Et ma souvenance est moraine » et tout s’achève :
« Comme une transe poétique
Où se lient malheur et bonheur »
Le champ lexical de l’auteur relève nettement du registre de la langue soutenue et c’est à loisir qu’il emploie des mots comme : « libation », « vaticination » et bien d’autres. De par sa formation de juriste il puise aussi dans le vocabulaire juridique aussi peut-on lire : « invite comminatoire ».
L’auteur s’accorde certaines licences académiques en employant par exemple le mot « ténèbre » au féminin singulier : « Où est le vrai dans la ténèbre » p.45.
Emploi rare, usité dans le langage littéraire comme ce fut le cas pour Léon Daudet dans (Bacchantes, 1931, p. 143) : « La nuit était devenue absolument calme et silencieuse, d'une ténèbre douce et ouatée. »
Nous relevons d’exquis vers enchâssés dans une succession d'allitérations que nous prenons plaisir à lire :
« Et la tornade tordait l’arbre » p.44.
« Le temps si charmant des charmilles » idem.
« Des essaims d’huissiers consignant leurs comptes » p. 46.
« En chaos des courants contraires » p.68.
Grave, il se révèle également en s’attardant sur le sort de ces migrants désespérés qui s’embarquent sur « Ces esquifs précaires dans le tumulte »
Avec lui on comprend que le poète se livre à un « perpétuel travail d’Hercule » par :
« L’effort des mots pour rendre l’indicible
Pari fou à ne point sortir indemne »
C’est dans l’ambiance du Cafés parisiens comme le Hall-1900 du IIIe arrondissement, après avoir savouré son café noir parallèlement aux « Buveurs enflammés de leur vin » et lu son quotidien préféré qu’il se rend disponible à l’accueil des muses.
Promeneur solitaire, il aime également à se retrouver par « Les radieux matins dans les jardins »
C’est la vie dans tous ses aspects qui est consignée dans ce recueil rehaussé d’une belle écriture.
***
Pour citer ce texte
Maggy de Coster, « Jean-François Blavin, "Oscillations vagabondes au crépuscule", Éditions Unicité, 2020, 94 p., 13€ », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020, mis en ligne le 7 septembre 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/decoster-oscillationsvagabondes-blavin
Mise en page par David Simon
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