Megalesia 2020 | Instant poétique avec Ernesto DÍAZ RODRÍGUEZ
À contrevent
par
Ernesto DÍAZ
RODRÍGUEZ
Textes sélectionnés & traduits de l'espagnol par
Poèmes traduits avec l'aimable autorisation de l'auteur et de sa maison d'édition
Crédit photo : Théodore Géricault (1791-1824), "Le Radeau de La Méduse", toile, domaine public, Wikimedia.
Tous ces poèmes sont tirés de « À Contre Vent », préface de Zoé Valdes, Trafford Publishing, 2011.
Né à Cuba en 1937, Ernesto DÍAZ- RODRÍGUEZ a été condamné à 40 ans de prison par le régime de Fidel Castro, libéré le 23 mars 1991 au bout de 22 ans, il réside actuellement à Miami où il prépare un film « Plantado » (Planté) sur son vécu et celui des co-détenus. Il est l’auteur de neuf recueils de poèmes et d’un livre de mémoires sur ses années de bagne intitulé « Rehenes de Castro (Otages de Castro).
Ce recueil qui comporte deux parties, « Libre entre les grille » et « Sur les ailes du vent », est selon l’auteur, « un chant à l’amour, à la foi, et à l’espérance, la première partie a été écrite en 1985 dans la prison de Boniato »
À contrevent
Ici tout est couleur
de boue et de déjection,
de rats qui habitent les égouts
et des chiens errants
et des merveilleuses prostituées
qui urinent leur misère dans le calice de l’aube.
Il ne suffit pas d’assister à l’enterrement
des centaines d’yeux,
des milliers d’oreilles
des milliers de centimètres de peau
magnifiquement tondue :
il faut être au centre même du naufrage,
boire, au moins,
une gorgée grise de ce vin insoluble
qui nous inonde la gorge,
pour arriver à comprendre
pourquoi on navigue à contrevent.
Destin
Ma voix se perd sous l’aile
d’une colombe noire ;
on l’a fondue comme un métal indéchiffrable
au milieu du désert ;
on l’a condamnée à l’oxydation de la quarantaine.
Mais ma voix est plus que cela :
c’est l’envers du crépuscule,
le brin qu’on désigne comme l’œil de la pierre,
le bond du saumon dans la cascade.
Ma voix est l’espace clos,
la rue innomée
le chien poursuivi
(pour être chien à contretemps).
Mais ma voix est plus que cela :
c’est le destin inéluctable
qui me pousse
au-delà de l’instant du poème.
Prisonnier
Verse tes larmes sur ma solitude.
Que je les sente couler dans mes veines.
Puis donne-moi un baiser,
un baiser de ceux qui sont tiens
insondables,
et endors-toi dans mes bras
tandis que je te redis que je t’aime
et caresse la paume de ta main,
où maintenant c’est toi
qui me fais prisonnier.
Ainsi l’ai-je voulu
Mon fils est si petit
que parfois il se perd entre mes doigts.
Ainsi l’ai-je voulu,
pour qu’il puisse atteindre l’arc-en-ciel
par un fil de soie
et courir à travers les tunnels des fourmis
jusqu’au centre même de la Terre
Quand viendra le temps des fleurs,
mon fils s’en ira avec les abeilles
et apprendra à fabriquer des miels
(les abeilles aussi apprendront
à tresser la cire des bougies).
Mon fils est aussi petit
que l’œil d’un merle.
Ainsi l’ai-je voulu,
pour qu’il puisse s’étendre
sur mon épaule
pour compter les étoiles
et marcher sur les mers
avec ses bottes en osier.
Quand viendra le temps des neiges,
mon fils s’en ira avec les écureuils
vivre sur le tronc d’un noyer,
et là on lui apprendra
à dénoyauter les noix
avec ses dents de pluie.
Aïe, mon fils est si petit
qu’il s’adapte dans une goutte de rosée.
ainsi l’ai-je voulu,
pour qu’on ne puisse pas
me l’enfermer derrière les barreaux.
***
Pour citer ces poèmes
Maggy de Coster (sélection & traduction de l'espagnol), « "À contrevent" par Ernesto DÍAZ RODRÍGUEZ », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020, mis en ligne le 21 avril 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/acontrevent
Mise en page par David Simon
© Tous droits réservés
Retour à la table de Megalesia▼