Poésie & théâtre
Chronique d’Edmond
au Théâtre du Palais Royal
http://www.camilleaubaude.com/
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portrait de Rosemonde Gérard à la Villa Arnaga (pays basque),
image fournie par Camille Aubaude
Le poète Edmond Rostand revit dans l’univers du théâtre, porté par le grand acteur de l'époque, le célèbre Coquelin, superbe matamore. On est littéralement happé par une mise en scène qui donne sa place à l’ivresse d’écrire, qui montre le créateur, Edmond, assis à son bureau pour écrire Cyrano quand il a le couteau sous la gorge. À la différence de Cyrano, Edmond ne s’attaque pas à l’hypocrisie et aux fausses valeurs. Le spectacle se déploie comme un sortilège où se drapent d’excellents comédiens, dont une jeune Roxane très sensible à la poésie d’Edmond Rostand, une « fan », en somme, qui admire sans écrire.
Rosemonde Gérard, la femme d’Edmond Rostand, est dépossédée de son génie poétique. Une technique dramatique ou un oubli ? Même s’il s’agit d’un univers de fantaisie, on est si loin de la réalité que c’en est agaçant. Dans un simple respect de véracité, le talent merveilleux et la grande beauté Rosemonde Gérard devraient être représentés dans la pièce d’Alexis Michalik, qui, à 32 ans, peut ignorer une poétesse du XXe siècle que je n’ai même pas réussi à publier sur la Toile, car ses poèmes ne sont pas libres de droits. Mais peut-il la traiter de la sorte en présentant une pièce sur son époux ?
De plus, en 2017, il n’est plus possible d’imposer la domination masculine. Je n’ai pas été la seule à trouver stéréotypé le rôle de l’épouse du « grand homme ». N’est-ce pas maladroit dans une pièce fort bien menée ? Je ne suis pas la seule non plus à avoir lu Rosemonde Gérard, primée à 24 ans par l’Académie française pour Les Pipeaux (1889), alors qu’Edmond Rostand était inconnu.
Voir ainsi humiliée, jalouse de Roxane, Rosemonde Gérard qui, avec Lucis Delarue Mardrus et Amélie Murat était une grande créatrice du XXe siècle accrédite le mouvement actuel qui veut séparer l’art des « mascus » de celui des femmes. J’entends le nom de Rosemonde déformé par Sarah Bernard, dans une scène où l’admirable poétesse est montrée en bonne femme qui donne la bouillie aux enfants. Wikipédia indique que Rosemonde Gérard a interprété Roxane de Cyrano de Bergerac, avec Sarah Bernhardt lui donnant la réplique en « Cyrano ». Comble d’éreintement de la créatrice, l’actrice qui endosse le rôle de Rosemonde endosse à la fin celui d’une prostituée du bordel « Aux Belles poules ». Ce n’était pas suffisant, voilà qu’elle caquète !
Nurse, femme au foyer jalouse, pute, poule sans langage, j’ai cru que l’éviction de la créatrice était portée à son comble. Eh bien non ! je vous réserve d’écouter le mot de la fin qu’en 2017, toujours, cette pièce met dans la bouche de Rosemonde Gérard quand son mari connaît enfin la gloire. C’est lamentable !
Je ne suis pas seule à admirer cette poétesse dont chaque poème est une épure. D’autres que moi pensent qu’éteindre la gloire d’une créatrice d’une extrême élégance est assez choquant. Dira-t-on dans quelque temps qu’elle révèle l’inconscient mascu... ? Question…
La pièce ayant un grand succès, demandons à Alexis Michalik d’y apporter des retouches pour ne pas condamner au silence une poétesse.
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Camille Aubaude, « Chronique d’Edmond au Théâtre du Palais Royal », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°10, mis en ligne le 6 avril 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/edmond.html
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