1 juin 2013 6 01 /06 /juin /2013 07:00

 

Poèmes

La Maison des Pages,  

 

 

La mêlé, Le Papillon d’Or,  

 

 

 

L’être maison &  Ô Toi, ma Terre !

 

Camille Aubaude

Textes  reproduits avec l'aimable autorisation

de la poétesse et de sa maison d'édition

  

 

 

  http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c5/Falero_Luis_Ricardo_Lily_Fairy_1888.jpg

Crédit photo : La fée Lily par Luis Ricardo Falero (1851–1896) 


La Maison des Pages

 

 

 

Puis j’ai enseigné le Mystère des fées

Régénérée par un fleuve d’ambre :

Qui peut m’entendre quitter ma chambre

À Minuit dans la Maison des Pages ?

 

Près de ma sœur endormie, je m’éveille.

Et j’appelle le Sommeil à grand cri.

Il vient à sa guise ; muet, il veille

Sur la nuit de la Maison des Pages.

 

Tendre secret d’une habitation

Partagée où la respiration

D’une Âme coule sur les marches

De pierre de la Maison des Pages.

 

Fantasia de papiers et de livres

En des pièces de matière en fusion.

En bas, dans la cuisine, le café

Parfume l’entière Maison des Pages.

 

J’inscris l’étrange maison sur une île,

L’île de mes cahiers aux plages

Où courent les chiens noirs. J’écris le flux

Des orages de la Maison des Pages.

 

De jour et de nuit, les vagues soulèvent

Une femme seule et humble attachée

À des ombres, espoir de rencontres

Près des autels de la Maison des Pages.

 

Têtes de morts aux yeux éclairés

De bougies ; là, des tables sont dressées

Près d’un vaste squelette posé contre

L’acacia de la Maison des Pages.

 

Des crânes jaillissent d’un coffre,

Volètent vers le miroir qui réfléchit

Le désordre de choses étrangères

Au calme de la Maison des Pages.

 

Ah ! comme cette maison est mienne.

Les décorations funèbres, les chandelles

Du jardin et l’autel des sacrifices

Me ramènent à la Maison des Pages.

 

Cèdres, tilleuls et marronniers s’élèvent

Contre le mur érigé par le Poète

Pour le malheur de trois générations

Nées en prison dans la Maison des Pages.

 

Papiers découpés mauves et blancs, squelettes

En carton-pâte jouant de la guitare

Fleurs safran et portraits d’êtres absents

Sont les images de la Maison des Pages.

 

Deux jeunes mariés très amoureux

Lèvent l’un vers l’autre leurs crânes dénudés.

Je peux croire au bonheur parfait.

Charmant augure en la Maison des Pages.

 

Rites, vibrations, terres dévastées,

Puissiez-vous conjurer les supplices

Quand hagards et voûtés, nous porterons

Les Poètes dans la Maison des Pages.

 

Offrandes déposées par les vivants

Au goût des revenants, bijoux complices,

Rires trémoussant de la plénitude

Des trépassés de la Maison des Pages.

 

Fantasmagorie mêlant mort et vie ;

Terre druidique aux temples endormis ;

Regards acérés des carcasses en carton,

Veilleurs sacrés par la Maison des Pages.

 

Viens, réchauffe-toi, anime la passion !

Toutes les portes s’ouvrent sans raison,

Quand des milliers d’ombres violettes

Balaient les sols de la Maison des Pages.

 

Seule face aux diplômes, aux articles

Et photos jaunis suspendus aux murs,

Pour souffler au loin les pensées faciles,

J’expire l’air de la Maison des Pages.

 

Les murs suintent, enserrant la paresse,

M’empêchent de quitter la Forteresse.

Ils assiègent les visions marcescibles

Qui fusionnent dans la Maison des Pages.

 

Vision émaillée de matins d’été

Où l’Amour naît d’un visage enchanté,

Se relève dans le regard embrumé

Du visiteur de la Maison des Pages.

 

Ames tendues, courbées, corps autrefois

Embrasés, vos sourires irradient,

Vos esprits ensemencent les arcures,

Points cardinaux de la Maison des Pages.

 

Ô mon âme vivace ! l’orbe de ton chant

Élargit les voûtes de la chambre,

Vient sculpter la pierre d’absence

Dès Minuit dans la Maison des Pages.


 

 

 

 

 

 

La mêlée

 

 

 

La Poésie éveille la risée

tel le péché d’originalité.

Les bannis de talent sont bouche bée

Si, impavide, rayonnante Beauté

elle rit au-dessus de la mêlée.

 

Quand elle descend dans l’arène,

elle attire sur ses arbres la foudre.

Piétinée, massacrée, elle peine

à aider ceux dont il faut découdre

les marchands au sourire amène

qui se rient du talent.

 

 

 

 

 

Le Papillon d’Or

 

 

 

Souviens-toi des papillons bleus, jaunes et blancs,

Des sphinx aux yeux de pourpre voltigeant

Dans le parfum des joncs du jardin d’enfance.

 

Souviens-toi de l’âge voué à la chrysalide

Où les filets taraudent les chenilles,

Éclats furtifs sur le trèfle d’émeraude.

 

Les astres révulsés bondissent sur ton corps.

Sur l’herbe noire, des iris bleus, jaunes ou blancs

Défient le ciel pour défendre le roc éventré.

 

Toi qui meurs, vois éclore le Papillon d’Or !

Il est seul ; il cisaille de son vol dégingandé

La cime qui voulait danser avec le soleil.

 

Je rêve ses courbes ouvertes pour l’aulnée,

Un jour glissant dans l’ondoiement des nymphes.

Vois son aile ruisseler des buées de l’arc en ciel !

 

Je t’aimais papillon fort, tel que moi, morcelé,

Quasimodo d’une architecture brimbalée :

Tu es le ciboire de la Nature bénie d'amour.

 

Danse, danse, papillon blanc, bleu et or,

Danse au seuil du jardin d’enfance,

  Sphinx à l’œil de sang, voilier de l’âme

 aux antennes fossoyeuses de la Terre.

 

 

 

 

 

 

 

L’être maison


 

 

I

 

 

Écoute-moi ! je tombe, disloquée

par la sécheresse, saturée d’errance,

lourde d’intempéries, femme restée

debout qui relève les morts au champs

d’honneur : j’aspire à quoi ?

 

Maison, regarde-moi ! J’enlève tes pierres.

Tes pans de bois glissent de mes doigts.

Et tes briques ? En miettes au pied du rocher.

Qu’en dis-tu ? Je fantasme la nuit,

J’aurais dû, je ferai… le crime parfait.

 

Les murs de ma demeure implorent ton retour.

Entends leur doux appel, toi qui erres, délaissé !

Que ta voix ne trouble pas celle qui aime,

Et cherche à regarder le futur,

Pétrifiée d’enfance.

 

Présence des pierres qu’aucun vent ne frôle,

Craquements de l’ouverture des abîmes,

Prison de silence dans l’espace de l’été.

Je suis lasse, encore vivante.

Je pleure pour exister.

 

 

 

 

 

 

II

 

 

 

Dans les murs, il y a des voix,

les chants légers d’autrefois.

Des algues s’étirent dans l’ombre,

un flot de présences sans nombre.

 

Je t’embrasse dans la maison

et puis je vais dans mon jardin

survivre enivrée de nuages.

 

La lumière ouvre des brèches

dans les pièces emplies de bruit :

c’est la pluie contre les carreaux.

La rue jaillit d’un réverbère.

 

Je t’enlace dans la maison

et puis je dis à mon jardin

de recueillir l’eau des nuages.

 

Les herbes poussent au creux des murs,

Les fleurs se referment le soir.

J’inspire l’odeur des broussailles,

senteurs des chambres dans la nuit.

 

Je t’épouse dans la maison,

telle le lierre du jardin

je m’élève jusqu’aux nuages.

 

Les oiseaux enchantent les arbres

qui respirent dans ma mémoire.

Le corbeau dit : sois immortel !

Nos corps se noient dans la maison.

 

 

 

 

 

Ô Toi, ma Terre !

 

 

 

 

Colombe qui porte le Nom,

sais-tu que je suis faite pour me brûler les ailes

comme les Papillons amoureux de la Flamme ?

 

Je suis bien hors de mon pays

en des Maisons aux langues étrangères

dont j’entends l’Essentiel !

 

Reine de la Paix, tu es Celle qui est.

Il est encor une Mission extrême,

lavée des désirs impurs du fatras catholique

sous l’écorce pleine de vers de notre basse époque

aux émotions déréglées, aux attentes vaines

qui se veulent éblouies mais ne sont que prisons

depuis que le grand capital entretient

un faux rêve.

 

Ah ! la Terre m’étreint

Elle ne dit rien en vain

Terre de Genèse !

Elle donne sa Volupté d’airain

bruissant d’oiseaux et de graines de vie :

 

Quinoa 

Quiwicha

 

et de fruits :

 

Grenada

Passion

 

Le Bonheur est en ce monde pas dans l’autre.

 

Tu le dis, ô Mon Ange

au Visage radieux, si exaltant, qu’il faut le croire !

Parée de nobles Boucliers d’Or

lorsque volètent d’incandescents Papillons,

Tu l’enfouis en mon Âme

pour nous éveiller en Grâce et en Beauté.

 

Je t’aime, oui, comme je t’aime

d’Amour sacré !

     

 

Pour citer ces poèmes

 

Camille Aubaude, « La Maison des Pages », « La mêlé », « Le Papillon d’Or », « L’être maison » & « Ô Toi, ma Terre ! »  (poèmes reproduits avec l'aimable autorisation de la poétesse et de sa maison d'édition), Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Jardins d'écritures au féminin », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°3|Été 2013 [En ligne], (dir.) Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 1er juin 2013.  

Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-3-la-maison-des-pages-la-mele-le-papillon-d-or-l-etre-maison-o-toi-ma-terre--117752875.html/Url.

 

Auteur(e)

Camille Aubaude, née à Paris, est la poétesse française contemporaine la plus invitée et la plus traduite à l’étranger. Son doctorat sur Gérard de Nerval, Le Mythe d’Isis, a posé les bases de ce mythe littéraire. Il a été écrit en même temps qu’un essai d’histoire littéraire innovant un enjeu majeur de la critique moderne: Lire les femmes de lettres(1993). Dans les années 2000, le recueil Poèmes d'Amboise, relié au récit poétique, La Maison des Pages, et à La Sphynge, ont rencontré une audience internationale. Camille Aubaude est connue pour son utilisation des formes poétiques rares, les ballades, les rondeaux, les épyllions, des miniatures épiques. Un des thèmes récurrents de son œuvre est la femme mythique. « Les beaux textes sont une bénédiction. Ceux de Camille Aubaude nous prennent à chaque fois. Lumière, douceur, vérité, plaisir renouvelé, enchantement d’une langue superbe, puissamment subtile, tissée des pieds à la tête par la beauté. » (cf. 
Marie-Hélène BREILLAT)

   

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