31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 07:00

 

 

Poésie féminine et modernité

 

la crise du vers chez Louise Labé 

 

 

Ouattara Gouhe

Université de Bouaké

République de Côte d'Ivoire

 

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/68/Louise_Labé.png

 

Crédit photo : Louise Labé (1524-1566), Gravure  (1555) de Pierre Woeiriot (1532-1596), Wikipédia

 

Résumé

 

L’expression « crise de vers » est de Mallarmé et garde tout son sens dénotatif d’attaque en règle contre toute sorte d’institution en opposition à la nouvelle conception de l’écriture poétique. La vision poétique, sous ce signe, reflète l’anarchie, le désordre langagier dans le seul but de réinstaurer l’ordre supposé absent. Mais lorsque la modernité est hantée par le cri de la poésie féminine, la crise se singularise et prend la forme polémique ayant tendance à éclipser l’art qui se manifeste. Or, par-delà la controverse, la recherche de la vérité doit rester en permanence l’idéal de tout poète épris de modernité. En la matière, Louise Labé aura été une pionnière dont la franchise de la parole viendrait bousculer des normes préétablies.

 

Mots clés : crise de vers, métaphore, modernité poétique, poésie féminine, versification

 

Summary

 

The term « crisis of verse » is from Mallarmé and retains its denotative meaning of attack against any kind of institution in opposition to the new conception of poetic writing. The poetic vision, under this sign, reflects anarchy and disorder in language just to reinstate the order assumed absent. But if modernity is haunted by the cry of women's poetry, the crisis stands out and takes the form controversy tends to overshadow the art that manifests itself. However, beyond controversy, the search for truth must always remain the ideal of every poet in love with modernity. In the matter, Louise Labe has been a pioneer whose frankness of speech would disrupt pre-established standards.

 

Keywords : crisisofverse, metaphor, poetic modernity, women's poetry, versification

 

 

Introduction

 

 

Parler de poésie féminine sans le moindre souci d’une discrimination apparente du genre, ni d’une distinction fondamentale entre les productions textuelles, est une gageure encore inactuelle chez nombreux critiques de l’art littéraire. Le constat est, en effet, réel et permet d’affirmer qu’après Christine de Pisan, Louise Labé se trouve être l’une des rares femmes poètes à entrer dans le cercle très fermé, pourrait-on dire, de l’élite française en matière de poésie.

 

À en croire les études passées, comme celles beaucoup plus récentes, les raisons de la faible production féminine sont variées, selon que la femme, depuis lors, a été condamnée au statut social de l’être d’intérieur ou que, devenue poète, elle a été confrontée pendant longtemps à diverses hostilités de ses ″coauteurs″ masculins et des maisons d’édition. À cela, il convient d’ajouter les limites des hommes poètes qui se sont attardés, la plupart des cas, sur la représentation mythique de la femme, l’enfermant ainsi dans une sorte de passivité impropre à la créativité. La prise de conscience, une fois amorcée depuis l’ère christinienne renforcée par le labeur de Louise Labé1, les femmes littéraires et poètes modernes ont à prouver leur appartenance à l’évolution du langage poétique dénué de tout a priori. Il faut diriger donc le regard vers l’absolu de l’art considéré comme vérité immanente à toute production textuelle.

 

Tel se voudrait le contenu de cette autre « crise de vers » orientée fondamentalement vers la modernité ″gynécographique″ labéenne. En fait, quelle est la caractéristique fondamentale de l’écriture poétique de Louise Labé : une modernité simplement féministe ou profondément universelle ? Le ton est donné et permet à la présente approche d’infléchir la réflexion dans la perspective d’une investigation du langage particulièrement féministe et empruntant sa voie au mystère poétique, au sens de sacré essentiel.

 

 

1- Une crise personnelle : le lyrisme féminin masculinisé ?

 

 

L’allusion à la masculinisation pourrait s’expliquer aisément, en référence à la biographie de la Lyonnaise Louise Labé, par l’engagement viril et exceptionnel de la femme dans le combat réservé d’aventure aux hommes. Magalie Wagner soulignera à ce propos :

 

La légende veut d’ailleurs […] que le frère de Louise Labé, François, lui aurait enseigné l’escrime, et qu’elle se serait illustrée, en tenue militaire, lors de tournois, ainsi qu’au siège de Perpignan, sous le nom de « Capitaine Loys »2.

 

Cependant, il s’agit de porter l’intérêt, particulièrement, sur le simulacre du langage poétique qui a tendance à métamorphoser le réel en ″sur-réel″, c’est-à-dire en ce quelque chose qui, de façon analogique, se superpose symboliquement à l’objet et lui assigne un sens. Voilà donc le présupposé permettant d’affirmer, par exemple, que la poète3 médiévale, Christine de Pisan, comme sa consœur de la Renaissance, Louise Labé, est d’abord lyrique au travers de la souffrance et la douleur de la solitude exprimées; par la suite, elle s’évertuera à singulariser son poème dans une forme d’écriture tout aussi bien revendicative, combative que philosophique.

Avec Christine de Pisan, les tourments de la solitude sont à leur plus forte explosion langagière dans ses Cents Ballades4 :

 

Seulete suy et seulete vueil estre,
Seulete m'a mon doulz ami laissiée,
Seulete suy, sanz compaignon ne maistre,
Seulete suy, dolente et courrouciée,
Seulete suy en languour mesaisiée,
Seulete suy plus que nulle esgarée,
Seulete suy sanz ami démourée.

 

L’intensité de la douleur et la sincérité du ton de la complainte révèlent, à l’évidence, la personnalité féminine encline le plus souvent à la résignation face à la force destructrice de la souffrance. De plus, l’anaphore « seulete suy », l’allitération en [s] et les occurrences de [e] à la rime témoignent de l’intention de l’écrivaine à exposer, de manière patente, l’objet de son érosion intérieur. L’impression qui se dégage de la « dure » solitude est pourtant la solide formation d’une force de caractère identique à celle de l’engagement masculin. Ainsi se voit radicalisée la personne christinienne infortunée qui « de femelle devins masle »5 consécutivement, avec, sous la plume, une écriture dont la saveur renferme la satire tant sociale que littéraire, la morale et la philosophie.

La toute première invective de Pisan va à l’encontre du second Roman de la Rose6 où l’accent est mis sur la discrimination des sexes et le rabaissement honteux de la femme. Elle rétablit une sorte de vérité morale quant aux mauvaises conduites :

 

Et, quant je di homs, j'entens famme

Aussi, s'elle jangle et diffame;

Car chose plus envenimée

Ne qui doye estre moins amée

N'est que langue de femme male

Soit acertes ou par gale

Mesdit d'autrui, moque ou ramposne;

 

Au travers du Dit de la Rose7, Christine de Pisan prend ainsi le contre-pied des préjugés masculins au détriment de la femme, avec en appui, la mise en exergue de son identité de mâle et l’égalité dans les mœurs chez tous les êtres. À l’évidence, le lyrisme douloureux se transforme en un combat où la poète tente de moderniser son écriture par sa volonté de symbolisation du langage (« langue de femme male »). La convocation de quelques textes christiniens constituent un bref aperçu des mutations qu’opère la poésie, dès ses origines, sous la plume de la femme.

 

À la double tâche, consistant à la fois à méditer sa condition de femme et à innover dans l’art d’écrire, Louise Labé se consacrera volontiers, avec pour armes uniques  « Amour ([qui] inconstamment [la] mène) »8 et la plume. Il s’agit de convenir à l’idée plutôt généralisante de la pratique de l’engagement poétique qui n’a ni couleur ni sexe, mais provenant du souffle simplement inspirateur et créatif. De ce fait, l’on admettra que Louise, comme Maurice Scève ou certains contemporains de la Renaissance, a du recourir aux mêmes sources mythiques de l’écriture poétique et humaniste. Pierre Servet semble confirmer cette option dans une de ses analyses en affirmant :

 

C’est par le recours aux mythes les plus ordinaires de l’écriture poétique et humaniste de la Renaissance que L.L. [Louise Labé] parvient à faire entendre sa voix, mythes aussi bien antiques […] que contemporains […]9.

 

 

Si les références de Labé ont donc partie liée avec le mythe commun à tous les fonds lyriques de son temps, il ne faut tout de même pas renier sa touche originale en tant que poète aspirant à la modernité. D’un tel postulat, il est bien aisé d’examiner les lignes particulières de l’écriture qui n’engendre point seulement une passion naïve, mais dérive de la passion supérieure et éternelle. C’est à juste titre, pourrait-on dire, qu’« au réalisme serein du Débat Enzo Giudici oppose le caractère passionné des poésies »10. La référence allégorique de l’auteur à « Amour », en dépit de la pestilentielle saveur érotique (ce que voudraient faire croire certains critiques), garde l’élan d’un féminisme où la femme n’est plus l’objet mais le sujet de la création. À ce titre, l’écrivaine s’emploierait plutôt à la tâche consistant en la transfiguration d’un genre d’expression limitant la femme aux seules présences esthétique et mythique.

Elle construit un autre idéal d’absolu que manifeste l’être subtil figuré par l’amour dans ses élégies et sonnets. Louise Labé propose, en effet, un modèle poétique dans lequel l’esprit de l’amante, loin de se figer ou se résigner au sort, expérimenterait de lui-même l’élévation vers l’idéal qui est le « bien » :

 

Mon triste esprit, hors de moi retiré,

S'en va vers toi incontinent se rendre11.

 

De plus, le suprême bien dont il est question peut même s’obtenir dans le « mensonge », c’est-à-dire la faute :

 

ET si jamais ma pauvre âme amoureuse

Ne doit avoir de bien en vérité,

Faites au moins qu'elle en ait en mensonge.

 

Cette logique de l’art qui s’instaure savamment aboutit à la pratique d’une poétique dévoilant la sincérité et la franchise dans les vers rythmés à la mesure du microcosme humain en action, comme exprimé dans le morceau suivant :

 

Baise m'encor, rebaise moy et baise :
Donne m'en un de tes plus savoureus,
Donne m'en un de tes plus amoureus :
Je t'en rendray quatre plus chaus que braise12.

 

Il faut y noter, de prime abord, l’audace et la violence du lexique tombant comme une massue sur l’édifice langagier courtois et pudique du Moyen Age. Louise Labé devancerait ainsi Mallarmé et tous les symbolistes anarchistes dont l’intention première sera de porter un coup « aux mots de la tribu »13. Au lieu peut-être d’un « sens plus pur » à réserver au langage commun, la part est plutôt faite à l’élan de révolte et de cruauté profonde propice à la libération du verbe. Consécutivement, la crise personnelle amorcée chez Pisan s’opère désormais, avec Labé, selon une poétique prenant en compte la même force passionnelle et énonciative rencontrée chez ses confrères Scève ou Marot, dans la perspective d’un dépassement.

En seconde lecture, d’approche un peu plus stylistique, l’on imagine une femme non comblée par l’Eros (attribut du dieu Amour) et célébrant, à travers l’écriture poétique, la nouvelle victoire d’être aimée. La modernité pointe ainsi du nez chez Louise Labé avec un travail particulier sur le rythme qu’Henri Morier désignera, beaucoup plus tard, « rythme pur »14, en référence à la poésie symboliste à vers libre.

La rapidité du souffle émanant du désir se note, en effet, dans la ligne mélodique proposée par l’artiste et dont la mesure décasyllabique pourrait être dénombrée selon l’emplacement de l’hémistiche. Une brève analyse détaillée de chaque vers synchroniserait dans ce cas les points de vue sur le rythme moderne labéen :

 

bƐzә mǎ kɔR//RәbƐzә mwa /e bƐz

4//4 + 2

dɔnә mǎ ǣ//dә tƐ plY /savuRӨ

4//3 + 3

dɔnә mǎǣ//dә tƐ /plYzamuRӨ

4//2 + 4

Ʒә tǎ RǎdRƐ katRә//plY /ʃo kә/bRƐz
6//1 + 2 + 1

 

De l’agencement rythmique l’on aperçoit une forte concentration de syllabes de part et d’autre de l’hémistiche, comme si la poète désirait montrer au lecteur cette rafale, aussi rapide que violente, engendrée par la passion naturelle de la chair. L’art évocateur de dynamisme se trouve ainsi manifesté dans l’écriture poétique, afin de faire reculer ou même voler en éclat les limites contraignantes du mètre poétique à forme fixe. Rimbaud et ses contemporains auront eu le mérite d’assoir les théories d’une telle liberté de composition et de l’expérimenter, en rapport avec la profondeur du sentiment. Cependant, il convient d’accepter théoriquement Louise Labé comme figure, non seulement majeure, mais initiatrice, sans distinction de genre, d’une versification digne d’un mouvement de révolte, plutôt que d’apparence simplement féministe ou érotique. En plus, il s’agit d’admettre que le cri poétique de la femme n’est pas plus viril qu’humain et qu’à ce titre il conserve toute sa place sur le chemin de la modernité, en termes d’évolution continuelle des pratiques artistiques.

 

2- La réunion des corps, écho à la crise du vers

 

 

L’objectif central assigné à ce volet de l’analyse se situe dans l’investigation des figures et des éléments de modernité à travers la composition poétique de l’œuvre labéenne. Le concept de la « réunion des corps » doit s’appréhender ici comme la capacité de l’auteure à créer métaphoriquement des lexèmes dont le rapprochement produirait subtilement l’idée d’une harmonie textuelle. Sous cette perspective analytique, il est tout à fait opportun de recourir à « l’être-ensemble » et au « milieu de la ressemblance », expressions de Michel Deguy désignant le rapport entre l’éthique de la conciliation et les figures du langage qui la véhiculent au sujet engagé dans l’expérience de la parole poétique15. Louise Labé serait, en effet, la poète dont l’androgynie16factuelle constitue le moyen efficace pour révéler les finesses de l’art du ″mettre-ensemble″ figuré. D’ailleurs, une approche de Magalie Wagner semble apporter quelque précision quant à la spécificité mâle/femelle de l’écrivaine :

 

On touche là, probablement, aux intentions profondes de notre poétesse : à la périphérie des discussions visant à désigner lequel des deux sexes est supérieur à l’autre, qui alimentent pendant tout le siècle la fameuse « Querelle des Amyes », son propos ne serait-il pas de faire entendre que l’être « parfait » combinerait qualités féminines et masculines ? Cela, bien entendu, en réaction à ces conceptions communément admises, depuis Aristote et Galien, de la femme comme « mâle mutilé » ou « mâle imparfait »17  

 

L’union mâle/femelle, serait ainsi la perfection imagée suscitant chez Labé la nécessité de recourir à la poésie des figures et des symboles naturels de l’association tels le feu, l’eau, la terre et l’air. Pour établir la clarté à ce niveau, il faut se convaincre d’une forte présence dans les textes labéens d’éléments stylistiques comme l’amphibologie, l’antithèse ou l’oxymore. Or, ces figures qui sont sensées évoquer des rapports d’opposition, en apparences, véhiculent essentiellement l’idée de conjonction et d’harmonie.

À l’évidence, l’antinomie concentrée dans le sonnet VIII dont l’incipit est « Je vis, je meurs », révèle, de façon lyrique, les tourments d’une personne amoureuse en situation de manque à combler, mais se trouvant dans l’impossibilité de réaction. Pourtant, une seconde lecture est possible, nécessitant, pourle fait, la convocation du texte intégral :

 

Je vis, je meurs: je me brûle et me noie,
J'ai chaud extrême en endurant froidure;
La vie m'est et trop molle et trop dure,
J'ai grands ennuis entremélés de joie.

Tout en un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure,
Mon bien s'en va, et à jamais il dure,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur18.

 

Les contradictions évoquées dans ce sonnet ne sont pas sans rappeler curieusement la dualité spleenétique de Baudelaire apparue trois siècles plus tard. Son « Hymne à la beauté »19 porte les stigmates d’une sorte d’idéalité dichotomique :

 

Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme,
Ô Beauté ? ton regard infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.

Tu contiens dans ton œil le couchant et l'aurore;
Tu répands des parfums comme un soir orageux;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.

Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?
Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.

[…]

L’on s’apercevra, par la suite, que l’antagonisme baudelairien n’a de sens que s’il s’inscrit dans un contexte d’union, voire de fusion à un absolu nommé « Infini » :

 

Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
Ô Beauté, monstre énorme, effrayant, ingénu!
Si ton œil, ton souris, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ?

Il poursuit, dans une sorte d’appel à l’universalisme :

De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène,
Qu'importe, si tu rends, - fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! -
L'univers moins hideux et les instants moins lourds.

 

Parler d’influence entre Louise Labé et Baudelaire importe peu, car il convient de saisir chez les deux poètes, par le biais de l’écriture poétique, l’intention de la réunion des contraires en une figure suprême, comparable à celle d’éternité. Le vers subirait ainsi une crise qui passe nécessairement par la tentative de recherche de liens syntaxiques et lexicaux à valeur de totalisation, entendue comme l’assemblage d’éléments supposés opposés dans le creuset de l’harmonie première.

Il serait possible, par ailleurs, d’affirmer que l’interpellation initiale de Labé (« Je vis, je meurs ») est une façon de désigner le rythme cyclique de l’univers dont la réalité s’inscrit dans la dyade vie/mort ou mort/vie.

C’est donc avec l’idée de complémentarité dans l’opposition que la poète aurait écrit son texte saturé par l’occurrence de la conjonction « et », rythmant un vaste champ lexical d’antonymie. En référence au premier point de cette étude, il faut considérer l’importance du rythme chez la Lyonnaise comme expression ontologique de l’univers macrocosmique. D’où l’opportunité d’analyser le symbolisme des éléments primordiaux tels qu’ils apparaissent dans sa poétique sous les formes ignée (feu), fluide (eau), éthérée (air) et terrestre (terre).

L'œuvre poétique de Labé, pour ce qui est donné de voir dans les sonnets, est, en effet, un réceptacle d’images et de figures tant cosmiques que naturelles. L’eau se caractérise ici par son abondance liée aux larmoiements des yeux se baignant continuellement dans le liquide qui noie la poète. Le sonnet VIII en fait état : « …Je me brûle et me noie » (v. 1) et « Tout en un coup je ris et je larmoie » (v. 5). Ainsi, « les larmes épandues » depuis le sonnet II inonderont les deux tiers des vingt-quatre poèmes de Louise Labé. Mais, le plus remarquable reste l’omniprésence du feu précédant l’eau depuis « la chaleur » du premier sonnet jusqu’aux « mille flammes ardentes » du dernier.

Le feu de la poétique labéenne est d’abord l’ardente douleur d’un amour vain, mais aussi la flamme incandescente du désir de vivre, comme exprimé lyriquement dans le huitième poème où l’amante a « chaud extrême », même « en endurant froidure »(v.2). Autant dire que l’effectivité de la vie doit se concrétiser chez l’auteure par l’association de l’eau calmante et purificatrice à l’énergie destructrice mais surtout transformatrice du feu. Le résultat de la transmutation alchimique est la création d’un vers particulier dont la franchise déroute au plus haut point. De plus, la noyade dont il est question au sonnet VIII aurait tendance à garder la valeur mythique d’une poésie de la Renaissance, consistant à déifier l’univers de l’amour. L’on n’est alors nullement surpris de voir les sonnets XV et XIX imbibés d’eau par les naïades : « Les nymphes ja en milles jeux s’ébattent » (XV, 3).

Mais en fait, la nymphe, dans la poésie labéenne n’est qu’une transformation de Diane, fée des hauts-bois du sonnet XIX, pour répondre au besoin de renouvellement du vers. Ainsi, la nymphe empoignant la « flêche » (symbole de plume à écrire) de son double rêvassant percerait de part en part le blanc de la page :

 

Et lui jetai en vain toute mes flêches

Et l'arc aprés ; mais lui les ramassant

Et les tirant, me fit cent en cent brêches.

 

Certes, le risque d’érotisation est perceptible à travers ce tercet et l’on sait que toute la poésie de Labé se prête fort bien à cette prémonition. Pourtant, il faut bien convenir à l’idée que tout se passe dans l’imaginaire d’une artiste dont le subterfuge est de jongler avec les images et d’étaler les liens subtiles qu’elles comportent. Dans un tel contexte, le sonnet XV procède admirablement à l’association des quatre éléments dans un même huitain :

 

Pour le retour du Soleil honorer,

Le Zéphir l'air serein lui appareille,

Et du sommeil l'eau et la terre éveille,

Qui les gardait, l'une de murmurer

 

En doux coulant, l'autre de se parer

De mainte fleur de couleur nonpareille

Jà les oiseaux ès arbres font merveille,

Et aux passants font l'ennui modérer

 

L’on pourrait ainsi percevoir la tentative de recherche de l’harmonie poétique non présente dans l’amour concret et vain ; de prime abord, il s’agirait de préserver l’équilibre de la poète s’inscrivant dans celui de l’univers symbolisé par l’union des quatre principes primordiaux, le « Soleil » jouant ici le rôle du feu divin mythologique. Secondement, la mesure opérée doit avoir un impact majeur sur l’organisation formelle du poème et sur la beauté du vers. Il est donc question, par le biais de la jonction des images métaphoriques, de voir dans la poésie de Louise Labé une sorte d’intrications versifiées et calquées sur l’unité cosmique.

 

 

3 - De la crise du vers à la versification de crise

 

L’ultime partie de cette analyse est une tentative d’approche de la métrique labéenne, en vue de déceler les caractéristiques de modernité propres à l’écriture de l’auteure. La finalité d’une telle entreprise réside dans la possibilité de concéder à l’art poétique de Labé le crédit de l’innovation accordé si souvent aux « prouesses » des modernes issus des deux derniers siècles.

Afin de conserver le fil conducteur de notre approche, l’ensemble des vingt-quatre sonnets est encore convoqué pour une investigation des rimes et du lexique labéens. L’objectif fondamental serait, comme l’indique François Rigolot, de mettre en relief le « procédé si moderne du monologue intérieur »20qui s’adresse « intensément à notre sensibilité moderne »21. Or, l’éveil de cette possible émotivité passe nécessairement par l’effet que produisent les éléments rythmés du langage poétique. Ainsi, à l’exception du premier sonnet qui présente une structure dodécasyllabique, tous les autres sonnets sont décasyllabiques et majoritairement rythmés 4/6. L’on pourrait noter d’aventure, que dans le désordre émotionnel, le souci de l’harmonie du vers est toujours ardemment présent chez Louise Labé.

En dépit de la forte dose de tourment diffuse au sonnet I par le « poison » fatal du « Scorpion », la poète semble maîtriser à la perfection l’alexandrin que le classicisme formalisera un siècle plus tard. Quant aux rimes, l’allure embrassée est prégnante dans les deux quatrains initiaux de tous les poèmes(ABBA) et à la fin de la majorité des vingt-quatre sizains (DEED). En revanche, huit sonnets comportent des rimes croisées aux sizains(EDED) : il s’agit des sonnets VII, XIV, XV, XVI, XIX, XX, XXI et XXIII. De plus, cinq poèmes présentent une structure particulière par le panachage et la ″platitude″ des rimes à la fin des six derniers vers, comme suggéré à travers les schémas suivants :

 

sonnet I : EFGHCC

sonnet III : CDEDCE

sonnet VIII : CDCCDD

sonnet IX : CDECDE

sonnet X : CCCDDC.

 

Cette dernière remarque est de nature à interpeller la conscience sur la manière dont Louise Labé organise le langage poétique ou sur la façon dont les mots de la langue moderne de l’époque s’unissent pour créer l’effet. Le tout ne consiste pas à affirmer, le cas échéant, le caractère béotien22 d’une telle versification pour infirmer ou nier sa valeur d’originalité absolue. Par ailleurs, c’est au-delà du style considéré par certains détracteurs comme ″mal fait″ ou « mal dit » qu’il faut aller chercher l’essentiel du verbe, en s’accordant avec l’axiome de Beckett :

Dire, c’est mal dire. Il faut bien comprendre que ″dire c’est, mal dire″ est une identité essentielle. Il explique son opinion en ces termes :l’essence du dire est le mal dire. Mal dire n’est pas un échec du dire, c’est exactement le contraire : tout dire est, dans son existence même en tant que dire, un mal dire23.

L’intérêt des rimes susmentionnées réside dans l’aptitude de l’artiste Labé à observer la rigueur d’une composition poétique à la recherche d’harmonie, aussi singulière soit-elle. Plutôt que d’infléchir la réflexion dans le sens d’une possible perturbation de langage d’une poète en proie à la douleur et aux tourments, il faut opter pour l’autre versant de la pensée qui conçoit que l’on peut trouver l’ordre dans le désordre, la vérité dans le non-être du langage. L’on pourrait alors convenir à l’idée que la confusion des rimes est voulue et appliquée en toute lucidité à une poésie de la désunion composée par la lyonnaise. Le fait poétique se trouve ramené, dès lors, à cette sorte de crise présentant des figures de rupture dans le spectre de l’écriture. Berriot cautionnerait un tel propos, lorsqu’elle avance ceci :

La poésie ne fait donc que rejouer, semble-t-il, dans le simulacre de l’écriture qui est une forme d’exorcisme thérapeutique, une déchirure affective toujours décrite en termes de chute, d’exil, de séparation […]24

De toutes les façons, la crise de vers labéenne participe de la même clairvoyance dont « les poètes maudits »25 du XIXe siècle se sont prévalu pour imposer leur doctrine symboliste et artistique. Le postulat d’une poétique inscrite dans un « françois nouveau »26 constitue déjà les arrhes d’une modernité que Labé allie au tout du langage, c’est-à-dire au mot et à son autonomie structurelle. Il s’agirait de voir, par exemple, la manière dont l’inversion syntaxique est opérée chez elle, pour se convaincre de cette liberté accordée aux mots de s’organiser à l’image du ″désordre″ passionnel. Le sonnet IV porte les signes de ce qui pourrait être qualifié, à l’époque contemporaine, d’audace stylistique :

 

 

Depuis qu'Amour cruel empoisonna

Premièrement de son feu ma poitrine,

Toujours brûlai de sa fureur divine,

Qui un seul jour mon cœur n'abandonna.

 

Quelque travail, dont assez me donna,

Quelque menace et prochaine ruine,

Quelque penser de mort qui tout termine,

De rien mon cœur ardent ne s'étonna.

 

Tant plus qu'Amour nous vient fort assaillir,

Plus il nous fait nos forces recueillir,

Et toujours frais en ses combats fait être ;

 

Mais ce n'est pas qu'en rien nous favorise,

Cil qui des Dieux et des hommes méprise,

Mais pour plus fort contre les forts paraîtres.

 

Face à un tel étalage d’« anomalies grammaticales », il serait convenable d’observer la prudence de Rigolot qui y perçoit des signes par lesquels l’écrivaine aurait mis en jeu sa différence sexuelle27. Certes, mais l’analyse présente voudrait bien s’écarter d’une possible ″sexualisation″ de l’écriture poétique pour aborder l’aspect insolite de la parole qui commence son ″essentialisation″ avec « la Belle Cordière aux tresses blondes »28. Le langage surchargé (baroque à la limite) de Labé ne serait-il pas géniteur des pratiques poétiques fondées sur l’obscurité du vers ?

Le clair-obscur de Verlaine, appliqué à ses Romances sans paroles, est aussi tributaire des tourments de la passion amoureuse rencontrée chez la poète. Pourtant, le plus essentiel reste la volonté de rendre par l’écriture la profondeur de l’être en proie à la « double vie » évoquée au premier tercet du sonnet XVIII :

Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soy et son ami vivra.

Ainsi en va-t-il du langage labéen, à la fois facile et impénétrable, à tel point que le lexique employé se déploie dans le mythe allégorique comme au sonnet XIX :

 

Diane étant en l'épaisseur d'un bois,

Après avoir mainte bête assénée,

Prenait le frais, de Nymphe couronnée.

J'allais rêvant, comme fais mainte fois,

 

Sans y penser, quand j'ouïs une vois

Qui m'appela, disant : Nymphe étonnée,

Que ne t'es-tu vers diane tournée ?

Et, me voyant sans arc et sans carquois :

 

Qu'as-tu trouvé, Ô compagne en ta voie,

Qui de ton arc et flêches ait fait proie ?

- Je m'animai, réponds-je, à un passant,

 

Et lui jetai en vain toute mes flêches

Et l'arc après ; mais lui les ramassant

Et les tirant, me fit cent en cent brêches.

 

Le mythe vient conférer au discours de Labé une parole de vérité enveloppée dans la chrysalide du mystère qui se voudrait pour autant naturel. Plus qu’une marque d’allégeance à une pratique scripturale ayant cours à la Renaissance, le mythe est pour elle un langage authentique où la nature, dans son acception universelle, non corruptible, prendrait place. Autant dire que, à travers la parole mythique et poétique, la Lyonnaise s’écarte d’une sorte de rhétorique laudative de la femme initiée par les poètes pétrarquistes29, afin de faire prévaloir une poétique plutôt critique. Son Débat de Folie et d’Amour30 est bien le fondement de cette option philosophique qu’elle répercute sur l’univers ″troublant″ des sonnets.

 

Conclusion 

 

La crise de vers labéenne revêt une double nature, à la fois cri féminin ou féministe et écriture de franchise et de vérité. Le second aspect dévoile chez Louise Labé le désir de modernité fondée essentiellement sur un drame personnel qui l’amène à adopter une poétique de transmutation langagière. Le mot prend alors la forme étrange d’un naturel que l’on peut qualifier d’éthique ; étrange par sa tendance à bousculer les normes et les usages littéraires, mais aussi éthique à cause de son opposition ouverte à la morale. Cette disposition fait du vers de la belle cordière une ligne philosophique prônant le non-être des choses, afin d’en appeler à la recherche de la vérité qui s’y trouve subsumée. La poésie de Labé a donc tendance à condamner la lyrique apocryphe de la plupart des poètes de la Renaissance, qui mettent leur art uniquement au service de la louange de la beauté. Aussi, face au subterfuge du langage tendancieux et trompeur de ses pairs, masculins en majorité, la poète apporte l’authentique empreinte de l’amour et de la beauté relevant d’éternité. De Baudelaire à Mallarmé, jusqu’aux auteurs dits postmodernes, la poésie aura eu, sans conteste, une solide source de breuvage grâce à l’écriture labéenne d’étendue métapoétique.

 

 

Notes

1 . Louise Labé, à l’instar de Christine de Pisan un siècle plus tôt, a fait de sa poésie un métier, supposant ainsi un travail sur la langue dans l’expression d’un lyrisme doublement et fermement engagé sur la voie de la libération de la femme et de la liberté de l’art.

 

3 Le féminin direct conviendrait de préférence à un féminin (au masculin) supposé indirect et périphrastique (« le poète femme » ou « la femme poète ») chez la plupart des critiques de la poésie féminine.

 

4 Maurice Roy, Œuvres poétiques de Christine de Pisan I : Ballades, Virelais, Lais, Rondeaux, Jeux à vendre et Complaintes amoureuses, Paris, éd. Firmin Didot, 1891, p. XXVII.

 

6 Le second volet de cette somme poétique et philosophique est composé par Jean de Meung dans la seconde moitié du XIIIe siècle.

 

7 Maurice Roy, Œuvres poétiques de Christine de Pisan II, Paris, Firmin Didot, 1891, p. 29-48.

 

8 Louise Labé, Sonnet VIII. Il convient de souligner que la présente étude prend appui sur les Œuvres complètes de Louise Labé, ouvrage établi par François Rigolot, Paris, Garnier-Flammarion, 2004. De plus, les vingt-quatre sonnets de Louise Labé constitueront le corpus majoritairement exploité au cours de notre analyse.

 

9. Pierre Servet, « Comptes rendus » au sujet des Œuvres complètes de François Rigolot, in Revue Scientifique Persée, url. htt://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhren_0181-6799_1997_num_45_1_2184, p. 138.

 

10. Enzo Giudici, Louise Labé. Essai, Edizionie dell’Ateneo, s.p.a., Roma Librairie A.G., Paris, Nizet, 1981. Cité par Henri Weber, url. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhen_0181-6799_1983_num.

 

11. Louise Labé, Sonnet IX.

 

12. Idem, sonnet XVIII.

 

13. Stéphane Mallarmé, « Tombeau d’Edgar Poe », in Poésies, Paris, Gallimard, 2001, p.60.

 

14 Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, éd. PUF, 1961, p. 370-371.

 

15. Les deux expressions : « l’être-ensemble » et « milieu de la ressemblance » nous sont données en référence au Tombeau de Du Bellay de Michel Deguy, Paris, Gallimard, 1973.

 

16. Du grec andros « homme » et gunê « femme », l’androgynie désignerait ici la possibilité pour le langage poétique à décloisonner les contraires dans le sens de l’unité du verbe artistique. Cette pratique passe à tout point de vue par la métaphore affectionnée par Louise Labé.

 

17. Magalie Wagner, « Quand la femme prend les armes… : Renversement et travestissement dans les Œuvres Poétiques de Louise Labé », magalie-wagner-louise-labe-quand-la-femme-prend-les-armes.pdf-Adobe Reader

 

18 . Louise Labé, Sonnet VIII.

 

19. Charles Baudelaire, « Hymne à la beauté », Les Fleurs du mal, Paris,éd. Librairie Générale Française, 1972, p. 182.

 

20. François Rigolot, Œuvres Complètes, op. cit., p. 18.

 

21. Idem, p. 7.

 

22. De Béotie, nom d’une région de la Grèce antique dont les habitants avaient la réputation d’être sans goût, sans finesse. L’allure désordonnée qu’offrent les sizains de certains sonnets labéens pourrait jeter le discrédit sur la modernité de l’écriture.

 

23. Beckett cité par Alain Badiou in Petit Manuel d’inesthétique, Paris, éd. Seuil, 1998, p.153.

 

24. Karine Berriot, La Belle Rebelle et le François nouveau, Paris, éd. Seuil, 1985, p. 84.

 

25. L’expression peut être considérée ici comme une interpellation du poète Verlaine à ses pairs pour une prise de conscience des exigences de l’art moderne, plutôt qu’à des considérations profanes.

 

26. Cf. La Belle Rebelle et le Françoits nouveau de Karine Berriot.

 

27. François Rigolot, « Quel genre d’amour pour Louise Labé » in Poétique, numéro 55, septembre 1983, p. 303-317. 

 

28. Léopold sédar Senghor, cité à la quatrième de couverture de La Belle Rebelle et le François nouveau, op. cit.

 

29. Allusion est faite ici, notamment à Scève, Ronsard et, dans une moindre mesure, Du Bellay.

 

30. François Rigolot, Œuvres complètes de Louise Labé, op. cit.

 

 

Pour citer ce texte

 

Ouattara Gouhe, « Poésie féminine et modernité : la crise du vers chez Louise Labé », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Poésie des femmes romandes », «  Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir.) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, texte mis en ligne le 31 octobre 2012. Url. http://www.pandesmuses.fr/article-n-2poesie-feminine-et-modernite-la-crise-du-vers-chez-louise-labe-111577614.html/Url. http://0z.fr/eTyJC

 

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Auteur(e)

 

Ouattara Gouhe est  enseignant chercheur. Né le 17 avril 1959 à Kokolopozo dans la région de Sassandra, au Sud de la Côte d'Ivoire, Ouattara Gouhe a fait ses études primaires et secondaires dans cette ville côtière. En 1981, il obtient le baccalauréat série A4, puis il se lance, un an après, dans l'enseignement primaire publique de son pays. En 2010, il soutient une thèse de doctorat en lettres modernes, de spécialité poésie française. Depuis cette date, il exerce depuis son métier d'enseignant à l'université de Bouaké, en Côte d'Ivoire.

 

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