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Une section d’or
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Dr. Georgeta Adam Roumanie |
©Crédit photo : Couverture de l'éditeur- Imaginarul poeziei feminine
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Imaginarul poeziei feminine O secţiune de aur Bucureşti, 2010 |
La présente recherche de l’imaginaire de la poésie féminine contemporaine en Roumanie a tiré profit des études sur la poétique de l’imaginaire réalisées par quelques théoriciens ayant jeté les bases de la méthodologie et de la terminologie du domaine, dont Gaston Bachelard, Albert Béguin, Hugo Friedrich, Gilbert Durand, Mircea Eliade, Jean Burgos et alii. Nous avons étudié et situé dans ce contexte théorique les contributions de tout premier ordre de Mircea Eliade à la structuration de la théorie de l’imaginaire, qui ont été synchrones ou ont précédé celles de Bachelard et Durand. Nous y avons répertorié également les contributions de la linguistique, de la sémiotique, de la sémantique et du structuralisme qui ont apporté des lumières nouvelles sur le texte littéraire moderne interprété dans son intégralité, en prenant appui pour ce faire sur les travaux d’illustres chercheurs tels Leo Spitzer, Dámaso Alonso, William Empson, Jacques Derrida, Cleanth Brooks et alii. Pour la première fois en Roumanie, nous avons analysé les contributions des figures de proue de la gynocritique ayant mis en exergue la spécificité de la féminité dans la littérature: Robin Tolmach Lakoff, Hélène Cixous, Luce Irigaray, Mary Jacobus, Betty Friedan et aliae. Nous avons eu recours également à des théoriciens roumains – esthéticiens, critiques et historiens littéraires – qui ont tracé de nouvelles voies d’interprétation pour la poésie, en synchronisant les perspectives roumaines avec celles européennes: Nicolae Manolescu, Ion Pop, Eugen Negrici, Marin Mincu, Ecaterina Mihăilă, Mircea Cărtărescu, Radu G. Ţeposu, Alexandru Muşina, Al. Cistelecan, Călin Teutişan et alii. Une application pratique et qui saurait, nous l’espérons, être utile aux chercheurs roumains est le tableau synthétique des termes et idées littéraires du domaine de l’imaginaire qui met en valeur la contribution individuelle de chaque chercheur et éclaircit le sens de ces termes. Vu que de par le monde fonctionnent environ 60 (40, d’après autres sources) instituts de recherche de l’imaginaire, nous avons procédé à une systématisation des avis les plus significatifs. Le dictionnaire de termes constitue une recherche à part dans la littérature spécialisée, que nous avons entreprise en envisageant son application à la poésie roumaine moderne et postmoderne. Le chapitre concernant la poésie féminine en Roumanie et les étapes de la prise en compte du genre dans notre littérature insiste sur le suivi exact de la consécration des femmes poètes aussi bien du côté occidental que du côté roumain, où ce filon a eu du mal à rencontrer une bonne réception. La critique littéraire roumaine a longtemps adopté une optique misogyne, exclusiviste, de mise à l’écart qui transparaît même dans les travaux de critiques majeurs tels E. Lovinescu ou G. Călinescu. Le contexte contemporain de l’égalité de genre, favorable à la révélation des différences entre genre et sexe, a fait que la poésie féminine et le féminisme acquièrent leur place méritée dans le monde et en Roumanie. La poésie roumaine des dernières décennies s’est synchronisée avec la lyrique occidentale malgré l’autarcie culturelle promue par le régime totalitaire. C’est bien la raison pour laquelle dans cette partie de notre recherche nous avons insisté entre autres sur la découverte de l’identité de genre, la poésie féminine comme suprathème littéraire, la modernisation du discours lyrique et sa synchronisation avec les évolutions récentes de la lyrique européenne et américaine. Le segment de poésie contemporaine auquel nous avons appliqué la grille de recherche sur les structures de l’imaginaire lyrique comprend des personnalités féminines de la seconde moitié du XXème siècle et du début du XXIème : Ana Blandiana, Ileana Mălăncioiu, Angela Marinescu, Carolina Ilica, Mariana Marin. L’analyse des structures de l’imaginaire lyrique prend toujours comme point de départ l’oeuvre littéraire de ces auteures comme un tout qui propose à la critique et aux lecteurs des trajets impératifs susceptibles de faire découvrir son originalité, expressivité et organicité. La structuration de l’imaginaire lyrique dans l’univers de la création de Ana Blandiana confirme les éléments du changement intervenu avec la génération 60 au niveau du discours poétique, si consonant avec celui de Nichita Stănescu ou Marin Sorescu. Nous avons suivi les hypostases du moi lyrique, le rapport réel/imaginaire, la déréalisation du réel, la présence des éléments cosmiques, des états et parcours de l’imaginaire lyrique dont: l’aspiration vers la pureté, l’ocularité universelle de l’espace, l’état de rêve et rêverie, la mémoire de l’être, la structuration des sens poétiques dans l’oeuvre etc. En mobilisant les termes des théories de l’imaginaire qui ont fait ou font toujours carrière dans le langage de la nouvelle critique littéraire contemporaine mondiale, nous avons analysé l’oeuvre lyrique de la poète en prenant comme point de départ l’altérité féminin/masculin, mais également l’omniprésent motif du miroir, les synonymies et différences entre le sommeil et la mort. Nous avons lourdement accentué sur la spécificité de l’imaginaire lyrique à travers lequel poète et lecteur passent pratiquement du monde contingent à un autre monde. Par le pouvoir de l’imagination, précisait Durand, la mort peut être niée, et l’imaginer en tant que repos, sommeil signifie sa destruction, son euphémisation. C’est la démarche de Ana Blandiana, qui utilise cette fonction de l’imagination créatrice en poésie, à travers les images convergentes ayant trait au sommeil et à la mort. Nous avons aussi analysé d’autres éléments de la sphère de l’imaginaire comme le vol, la lévitation, que nous avons considérés comme des valorisations de l’anthropologique, de l’aspiration vers la divinité, de la verticalisation de l’être humain. Dans l’oeuvre littéraire de Ileana Mălăncioiu nous avons suivi la stratégie littéraire complexe de cette voix lyrique qui apparemment raconte, communique, évoque, met en scène des fragments d’histoires archaïques, patinées, rongées par le temps comme une pièce longtemps ensevelie dans la poussière, mais aussi d’histoires récentes, parfois venues d’un immédiat facilement reconnaissable. La plupart du temps le livresque est imperceptiblement incorporé aux visions propres, la transfusion de sang lyrique se fait avec une réussite telle que le coeur du poème bat au rythme de l’imaginaire avec une parfaite régularité. Dans un pareil contexte même les « narrations » de l’espace rural, du souvenir, d’une enfance qui semble ancestrale sont à nouveau racontées et découpées en les intégrant à un monde imaginé, elles semblent venir d’un livre apocryphe, un liber librorum sur la souffrance et l’humiliation, la vie et la mort, l’amour et la haine, l’innocence et la culpabilité, l’existence et le néant. Nous énumérerons juste quelques uns des parcours suivis dans la structuration de l’imaginaire lyrique chez Ileana Mălăncioiu : le rapport Éros/Thanatos fondé sur une incurable crainte de l’amour et une irrépressible aspiration vers celui-ci; le chant, donc la poésie, représente le moyen de transférer ses états dans l’imaginaire; la connexion entre féminité et eau, élément cosmique d’essence féminine; la noce et la mort comme rituels qui se déroulent sous la lumière froide de l’Enfer, l’empire de la mort, où les ténèbres se mêlent au feu; la trace obsessive dans l’imaginaire d’un liant persistent, obsédant, coagulant, visible dans l’oeuvre entière de Ileana Mălăncioiu: la mort en tant que présence dans la vie. La tonalité distincte de la poésie de Angela Marinescu est esquissée par les deux pôles entre lesquels se déchargent violemment, générant des intenses éclats d’arc voltaïque, les tensions du poème. Il y a d’abord un pôle de l’instinct, baigné dans le sang comme un autel de l’expiation et – dans son voisinage immédiat – un pôle de la parole où le rituel «barbar» s’(im)purifie et devient Texte. Nous avons retracé la cohérence de l’imaginaire de Angela Marinescu, visible également dans l’architecture des poèmes, des images qui circulent libres, parfois appuyées par des mots de la sphère sémantique de la fragilité, mais qui mobilisent la force de l’être tendu dans le geste suprême du refus. Pont sur l’abîme entre réel et imaginaire ou (pour reprendre les termes de Jean Burgos) entre « l’univers symbolisé » et « l’univers symbolisant » de la représentation, la poésie de Angela Marinescu témoigne d’une tentative hardie, souvent couronnée de réussite, d’élever la biographie instinctuelle vers l’horizon de l’« autobiographie textuelle » où suinte le « sang des paroles ».
En étudiant la manière dont Angela Marinescu organise son imaginaire lyrique à la fois original et paradoxal, nous avons insisté dans la présente thèse sue les modalités d’euphémisation de la mort. La perspective du parcours anthropologique donne de la profondeur à la vision de l’échec de l’être, alors que l’écriture représente le salut à travers lequel on récupère et construit un sens; le combat incessant contre le néant fait partie de la stratégie de l’imaginaire pour repousser le moment de cet impact; le vivant (le sang) s’oppose à l’inanimé et constitue, à côté de la lumière, un élément salutaire, résistant, dans cet univers lyrique ténébreux; les ténèbres font partie du sémantisme du néant, de sa substance, elles constituent son temps; l’espace de l’imaginaire de Angela Marinescu en est un irréel, dont l’implosion est possible à tout moment. Nous nous contenterons de mentionner quelques éléments de l’imaginaire présents dans l’oeuvre de Carolina Ilica que nous avons soumis à des interprétations inédites : l’échelle vers les cieux – motif ascensionnel; le miroir – élément (symbole) de réflexion imaginaire du moi lyrique, de l’univers; le rêve, temps des poèmes oubliés, territoire de la création poétique; l’éros, rempart contre la mort; l’été – saison parfaite, plénière du monde; le motif du double, de l’androgynéité; le retour au primordial et aux archétypes; le retour à l’enfance, état archétypal de l’être; ; l’antithèse masculin/féminin; l’euphémisation de la mort; le sommeil, porte d’entrée dans la mort; la présence à fréquence variable des éléments: feu, eau (élément primordial de la genèse, d’origine féminine), la terre, l’air; la végétation édénique; l’ocularité universelle ; la suspension du temps, comme moyen de repousser le néant, de gagner du temps sur lui. Carolina Ilica se soumet à la tyrannie du rêve. Les poèmes doubles comme moyens originaux d’exposition et d’organisation de l’imaginaire poétique constituent son apport novateur. Uniques dans la littérature roumaine, les poèmes doubles sont un reflet de la pulsation des étoiles doubles (évoquées dans le sous-titre du volume La Tyrannie du rêve: l’Adoration des étoiles doubles). Certains des parcours de l’imaginaire dans la création de Mariana Marin, poète de la génération 80, sont chargés de signification esthétique et la présente recherche les a examinés avec une attention particulière. Nous avons souligné l’ocularité de l’espace, dont l’architecture sous-tend la vision de l’univers entier comme oeil qui regarde; la cohérence de l’imaginaire et son isotopie; l’évocation antiphrastique, mécanique de l’éros correspondant au régime antithétique de l’image. Relevant du sémantisme post-moderne d’un imaginaire multiple et terrifiant, les motifs du double (le frère), du mirroir et de l’aveuglement. Nous avons identifié dans la création de Mariana Marin l’utilisation de véritables constellations d’images qui participent du sémantisme de l’imaginaire de la poète circonscrit au postmodernisme. Dans la lignée de la négation de la mort, de la remise à plus tard du néant, nous avons mis en évidence diverses techniques et stratégies dont : le paradoxe de l’imaginaire, la fonction fantastique de l’imagination, le principe de la mise en sursis, de l’inventaire; le manque d’amour et la mémoire de la mort. La mise à nu dès le vivant des jeux insinuants de la mort représente, à notre avis, un possible stratagème pour consolider la résistance au néant. Notre analyse de la poésie de cette auteure postmoderniste a ménagé une place de choix au pouvoir de l’imagination poétique de déstructurer par l’écriture, d’ériger à travers les paroles du poème une barrière devant le « passage ». |
Pour citer ce texte |
Georgeta Adam, « L’imaginaire de la poésie féminine. Une section d’or », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Le printemps féminin de la poésie », Hors-Série n°1 [En ligne], sous la direction de C. Aubaude, L. Delaunay, M. Gossart, D. Sahyouni & F. Urban-Menninger, mis en ligne le 10 mai 2013. Url.http://www.pandesmuses.fr/article-l-imaginaire-de-la-poesie-feminine-une-section-d-or-117657833.html/Url. http://0z.fr/9b28W |
Auteur/Autrice |
Georgeta Adam |