|
|
- Morts tous deux !.. Malgré moi, je les cherche, j'appelle ;
- Et cependant je vis emporter mes trésors !
- Mon bonheur les suivit… Oh ! Mon culte est fidèle ;
- Laissez couler mes pleurs, car c'est l'encens des morts !
- Ils m'aimaient tant !… ma mère avait mille caresses
- Pour sécher une larme ! Au coin du feu joyeux,
- Mon père, en la raillant de ses douces faiblesses,
- Me grondait de la voix, me caressait des yeux.
- Enfants au front riant, au regard qui flamboie,
- Vous avez vos parents, ces célestes appuis ;
- Leurs baisers du matin, qui font les jours de joie,
- Et leurs baisers du soir, qui font les douces nuits !
- Tenez, je suis jalouse !.. Oh ! tout brille et s éclaire :
- Le matin, le soleil fait entrouvrir la fleur ;
- Moi, je n'ai plus, hélas ! cet amour d'une mère,
- Qui faisait au réveil épanouir mon cœur !
- Ô Dieu, que j'ai cherché leurs figures aimées,
- Que j'ai frappé de fois à leurs portes fermées !..
- Quand la mort me les prit, tout en pleurs au foyer,
- Moi, j'appelai ma mère avec des cris d'alarme ;
- Mais ce fut la première larme
- Qu'elle ne vint pas essuyer !
- Je regardais partout avec des yeux avides ;
- Mais plus rien d'eux ! leurs lits, leurs fauteuils étaient vides.
- Rien, pas même leur ombre !.. Et folle de douleur,
- Je courais demandant ces amis invisibles ;
- Il restait sur les murs deux portraits insensibles,
- Deux portraits vivants dans mon cœur.
- Je me sentis mourir… À mon lit de souffrance,
- On venait me soigner avec indifférence,
- Des mains, jamais de l'âme ! Où te cachais-tu donc,
- Toi qui laissais tomber, pour apaiser ma fièvre,
- Une goutte d'eau sur ma lèvre
- Avec un baiser sur mon front ?
- Puis il fallut quitter cette maison sacrée,
- Tous ces meubles empreints de leur trace adorée ;
- La chambre où j'essayai mes pas, faible roseau ;
- Ce foyer de famille, où s'asseyait mon père ;
- Ces échos tout remplis de la voix de ma mère
- Et des chansons de mon berceau !
- Mon Dieu ! ces étrangers qui sous leur toit nous gardent
- Froidement, sans amour, dont les yeux nous regardent
- Et ne nous aiment pas ; c'est presque l'abandon !
- Des étrangers, ce sont des âmes sans faiblesses,
- Des cœurs secs, des mains sans caresses,
- Ce sont des lèvres sans pardon !
- Hier on me mena dans le grand cimetière ;
- On me dit : « Ils sont là, froids, muets sous tes pas ;
- Ces fronts que tu baisais vont tomber en poussière,
- Car tout s'anéantit. » Je ne comprenais pas.
- Puis, me montrant les cieux, on dit : Fais ta prière :
- Ils t'attendent là-haut, dans ces pays de feu,
- Où remonte l'amour, d'où descend la lumière. »
- Alors je compris, ô mon Dieu !
- Je regardai le ciel qui prend ce qui succombe,
- Et conserve du moins, quand la terre détruit…
- Ô mon Dieu, que c'est beau le ciel sur une tombe !
- Comme un second soleil l'espérance y reluit !
- Là j'aurai leurs baisers, leur tendresse suprême,
- C'est mon foyer divin, c'est mon toit paternel :
- Le ciel c'est maintenant la demeure où l'on m'aime,
- Laissez-moi regarder le ciel !
- Ségalas, Anaïs, Paris, Veuve L. Janet, 1845, 1 vol, 271 p.), portrait rapporté, in-18, domaine public, Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, YE-33096, url : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5688401x
http://www.pandesmuses.fr/2016/10/orpheline.html |