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Eugène Green
L’inconstance des démons
aux éditions Robert Laffont, 2015
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ISBN : 2-221-15965-9. Paru le 20 Août 2015. Format : 135 x 215 mm. Nombre de pages : 234 p.
Prix : 18,00 €. Lire les premières pages
Page du livre chez l'éditeur :
http://www.laffont.fr/site/l_inconstance_des_demons_&100&9782221159651.html
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L’inconstance des démons (Robert Laffont, 2015) est le dernier roman d’un écrivain, cinéaste, érudit parfaitement atypique, Eugène Green. Son regard sur l’univers se partage entre les images et les mots de sa création. Son éclairage est différent. L’inconstance des démons est une merveille d’écriture, à une époque qui crée si peu de livres affranchis de la culture majoritaire, des livres essentiels pour le respect et le renouvellement des règles esthétiques et de l’imaginaire.
Preuve s’il en était besoin que L’inconstance des démons est essentiel : il hante à sa façon l’imaginaire par une pensée fondée sur le langage. Une pensée soutenue par le cœur, plus des pleurs, et des crises de mélancolie, indispensables pour comprendre cette essence. Celle que, par exemple, les paroles léguées par Les tables tournantes de Jersey ne font qu’appréhender à demi. Victor Hugo tenait ces « révélations » pour la « base d’une religion nouvelle », mieux encore, « à l’époque où mes ouvrages posthumes paraîtront », pensait-il avec un sérieux qui l’éloigne de nous.
Amour véritable, deuil, perte, haute magie, folie, karma, métempsycose suggérée, crimes les plus atroces, qu’est-ce qui est le plus important dans l’étrange vie de Nikolau ? Les niveaux de ce récit ne doivent être hiérarchisés. Ce n’est pas une pensée, c’est là. L’effet personnage est admirable, les dialogues, les descriptions, irréprochables. La profondeur, perceptible dès le début, fait entrer la magie. D’emblée, une profondeur envoûtante. Plus haut que le sacré, nous sommes dans l’Inconnu. On arpente le Mystère à l’état réel. Il est capté et délivré. J’aurais pu être déçue par les techniques trop visibles du roman policier qui mènent à des scènes hyper violentes qu’en général je rejette. Là, l’interrogation métaphysique qui soutient l’auteur — et son personnage —, annihile la violence extrême. C’est une représentation maîtrisée de la violence sociale, dans les rites et les procès. La conscience du mystère est prégnante dans ce qui ressortit à l’art d’écrire, la sapience.
Ce roman épuise l’action et le désir. Sa trame narrative est si manifeste que l’on peut regretter qu’elle ne serve pas une cause. D’où ma déception que le titre ne soit pas de l’auteur ! Alors que L’inconstance des démons est un titre qui ne fixe rien, on découvre qu’il est fixé dans un livre du passé. Est-ce que les démons de nos âmes peuvent s’accommoder d’un lieu fixe ?
L’errance est-elle démoniaque ? Il serait facile de voir dans ce mouvement un des apanages de la nourriture spirituelle de toute âme placée en des situations extrêmes, consciemment crées ou prises dans la répétition de souffrances générationnelles. Ce roman d’inspiration religieuse et esthétique génère cet univers shakespearien : « Voici le moment où les hurlements des loups éveillent les dragons qui traînent la nuit tragique et mélancolique, caressant de leurs ailes indolentes, molles et flasques, les sépulcres des hommes, et exhalant de leurs gueules brumeuses dans l’air l’affreuse contagion des ténèbres » (Henry VI).
De cette vaste vie qui ne peut se dérouler sans la littérature surgissent les ténèbres du passé peuplées d’ombres divines. De leur nuit considérable jaillit la clarté.
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Eugène Green, L’inconstance des démons aux éditions Robert Laffont, 2015 http://www.pandesmuses.fr/2016/03/inconstance-des-demons.html |