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Réalisé à partir de bribes de textes notés à la hâte au fil des mots et de cette vie qui fut celle de Christiane Rochefort, son journal ainsi composé entre 1986 et 1993 nous invite à « l’entendre penser » et à ressentir jusque dans notre chair battre le cœur de ses émotions les plus intimes.
Cette édition de son journal rendue possible par la transcription de son amie Misha Garrigue Burgess, puis complétée par Catherine Viollet et Ned Burgess, a conservé intact l’esprit de Christiane Rochefort. On y retrouve le style de l’auteure qui signa bon nombre de romans chez Grasset dont « Le repos du guerrier », « Les petits enfants du siècle », « Les stances à Sophie » ou « Encore heureux qu’on va vers l’été ». Ce style qui s’appuie sur "l’écrit-parlé" nous renvoie l’image bien vivante d’une auteure qui, depuis les années 70, s’est toujours engagée pour défendre le mouvement de libération des femmes.
Ce journal témoigne indéniablement de la cohérence qui anime la vie et les écrits de Christiane Rochefort en tentant de réduire l’écart entre les deux. Les doutes, les trouvailles qui émaillent ce livre rédigé de manière sporadique nous donnent à entendre une voix qui « se livre entièrement à l’écriture ». Car l’écriture, n’en doutons pas, reste sa raison d’être : « Les jours où je n’écris pas, je me sens inutile sur la terre », note-t-elle le 25 mars 1986. Et c’est forcément l’écriture qui la fait tenir debout lorsque la maladie, la vieillesse entament leurs ravages… Elle écrit le 18 mars 1991 à Paris : « Je suis une ruine. Ruine de moi. / Je me réveille, ruine. / Épuisée, de plus en plus ruine. / Je ne vais pas faire la liste. »
Mais l’émerveillement devant la beauté du monde, l’éclosion d’une rose, le retour des hirondelles, la détournent pour un temps des contingences physiques et matérielles.
De Paris au Pradet, on suit les déambulations de l’auteure qui tisse une trame des jours éminemment poétique où les mots toujours lumineux nous étreignent parfois telles des épines au vif de notre chair et de notre émoi… Les photographies prises par Christiane Rochefort sont autant d’invitations à approcher au plus près la sensibilité, l’intimité de l’auteure. Et c’est avec une émotion partagée que nous appréhendons avec Christiane Rochefort la mort de sa chatte Machat qui devient alors ce « beau fantôme » qui hante la dernière partie du « journal pré-posthume possible », au titre prémonitoire, qui présage bien évidemment la mort de l’auteure.
Mais Christiane Rochefort est depuis toujours une battante ! Le journal se termine sur une ultime déclaration d’amour à la vie sous forme d’un poème : « Première année où je ne sais pas / si j’en verrai le printemps. / Malgré moi, j’espère que oui. Je voudrais / un / ou plusieurs, printemps. / Je suis insatiable. »
Et c’est cette image que l’on emporte avec soi au sortir de cette lecture, celle d’une femme belle et rebelle jusque dans son dernier combat qui, le cœur au bord des lèvres, nous livre le mot clé de sa vie et de son œuvre… « Insatiable », voilà un mot qui bouleverse l’ordre des choses et nous rend Christiane Rochefort plus vivante que jamais depuis cet autre côté où les hirondelles sont pour toujours de retour.
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