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Voir aussi : http://www.billetreduc.com/144346/evt.htm
Les petites filles s’habillent en rose…
Le rose, c’est pas la vie d’une femme. Dans son spectacle très juste et poignant, « Femmes en danger », Marie Ruggeri décline cette couleur comme un motif proustien qui épouse les faits réels en douceur. Le « rose » ne limite pas mais donne à réfléchir. Le public comprend qu’il a accès à un questionnement de l’amour à travers le personnage d’une actrice. Rose du ménage, de la vie commune chaotique où la femme rêve d’amour mais est agonie de mépris et d’insultes. Une belle chanson sur le ménage communique un climat conjugal pesant, la femme étouffant pour que la maison soit « bien tenue » : « pourquoi serai-je l’infirmière d’un homme malade », « pourquoi ne pas partir » ? On nous a tellement dit que l’amour, c’était la vie en rose. « Sois belle et tais-toi ». Sans oublier : « Chérie, ça y est je gagne bien ma vie, tu pourrais arrêter de travailler ». L’homme rentre, frappe sa femme, l’entraîne à boire, et lui fait vivre un véritable enfer, mais c’est de sa faute à elle, qui voyait la vie en rose, et continue d’habiller les filles en rose.
« Femmes en danger » ! une femme montre le danger, taille dans le vif la face noire du sexe par la lecture très réussie de faits réels qu’on nomme « divers », tel une prostituée massacrée par un client. Le manque d’empathie, la quête narcissique, la recherche de puissance fondent ce grand gâchis de la vie des femmes, jalonnée de faits inadmissibles. La lecture d’un témoignage d’excision nous met en face de la réalité de ces faits atroces. Ce texte devrait être affiché dans toutes les écoles, ai-je pensé, au lieu de comprendre qu’il n’a pu être écrit par celle qui dénonce ce supplice, et qui a fait exciser ses filles pour qu’elles appartiennent à la communauté incarnée par le mari. Les faits d’agression ne doivent pas être dissociés du chantage permanent qu’exerce la meute des hommes violents. On sait que toute femme qui a été agressée retourne facilement auprès de l’agresseur, telle une proie fascinée par le serpent. L’inhumanité de traitement de la femme dans nos sociétés est une norme. Toutes les femmes sont en danger.
Est-ce la grâce des chansons écrites et interprétées par Marie Ruggeri, son ton cristallin et ses mots sans esbroufe, la question fort ancienne de la violence institutionnelle exercée contre les femmes revêt une forme plaisante, donnant envie d’en construire d’autres sur un pareil exemple. La culture de l’impunité ne doit pas triompher. On connaît trop, vraiment trop, le silence imposé à toutes les « Malcontentes ». Un silence meurtrier dont nous devons explorer les connexions profondes avec la faible présence féminine dans l’Art. Il faut parler, il faut le dire, favoriser les témoignages qui brisent la loi du silence. La mémoire des femmes agressées est tellement torturante qu’on ne peut que les écouter sereinement. Elles ne sont pas affabulatrices !
La mise en scène transcende le message de la dénonciation en procurant au spectateur un sentiment subtil qui pousse à applaudir. Comment applaudir à de tels sujets, qui ne sont pas des thèmes de spectacle ? Il faut se retenir d’applaudir et en parler. Continuer cette grande œuvre en construction, qui semble trop courte quand les lumières s’éteignent. On garde en tête la présence de Marie Ruggeri, son interprétation exigeante et solitaire qui nous a fait vivre un moment d’exception.
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Femmes en danger de http://www.pandesmuses.fr/2016/02/Femmes-en-danger |
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