Megalesia 2020 | Littérature & poésie de jeunesse
Épître à ma fille
au moment de sa
naissance (1770)
Poème choisi, transcrit et remanié par Astartê
Crédit photo : Image de livres anciens dans une bibliothèque, domaine public, Wikimedia.
Ce poème est reproduit du recueil Un pan de poèmes pour Toutes à l'école (coll. Flora, PAN DES MUSES-Éditions de la SIÉFÉGP, Grenoble, 2015) avec l'aimable autorisation de la maison d'édition et de l'écrivaine Astartê (nom de plume de Dina Sahyouni).
Oui, le destin a couronné mes vœux ;
Oui, je l'obtiens ce tendre nom de mère,
Ce nom sacré, ce nom que je préfère
À tout l'éclat des titres fastueux.
Ô cher objet, dont la naissance aurore
N'offre à mes yeux qu'une faible lueur,
Ma voix t'appelle, et tu ne peux encore
Ouïr mes sons, ni répondre à mon cœur.
Enveloppé d'un ténébreux nuage,
Le tien se tait ; le tien ne connaît pas
Du sentiment la force et le langage ;
Mais je te vois, je te presse en mes bras,
De mes baisers je couvre ton visage.
Eh ! Quel sujet plus digne de mes vers
Que ces transports dont j'éprouve l'ivresse ?
Tout s'embellit au feu de ma tendresse ;
Je ne vois rien dans ce vaste univers
Qui ne me flatte ou qui ne m'intéresse.
J'aime ces bois, j'aime ces prés riants :
Ils t'offriront leur ombre et leur verdure ;
J'aime à compter les trésors du printemps :
Ils serviront un jour à ta parure ;
Cet air, ce ciel a plus d'attraits pour moi,
Et ce soleil qui luit sur la nature,
Dieux ! Qu'il me plaît ! Il brille aussi pour toi.
Ah ! Si l'instant qui commence ta course
De tant de biens m'ouvre déjà la source,
Que l'avenir me promet d'heureux ans !
Que mon destin sera digne d'envie,
Quand, de tes bras faibles et caressants
Flattant le sein où tu reçus la vie,
Tu souriras à mes embrassements !
Quand tu feras par tes jeux innocents
L'amusement de ta mère attendrie !
À ces plaisirs un plus parfait bonheur
Succédera : le temps les fera naître
Ces jours si beaux, mais si lents à paraître,
Où la raison éclairera ton cœur, Où, moins frivole et digne de son être, Ton âme enfin connaîtra sa grandeur.
Jours précieux, empressez-vous d'éclore...
Mais, qu'ai-je dit ? Où tendent mes souhaits ?
Ma fille, hélas ! Par ces vœux indiscrets,
C'est ton malheur peut-être que j'implore !
Dans ce berceau que n'habita jamais
Le noir soupçon, la sombre défiance,
Tu dors sans crainte ; une heureuse ignorance
Te fait jouir des charmes de la paix.
Tu dors ; le ciel protège ton asile ;
Là, ton repos aussi doux que facile
Des soins amers fut toujours respecté,
Et quand tes yeux s'ouvrent à la clarté,
Comme ton cœur ton regard est tranquille.
Tu ne vois pas le funeste concours
Des maux cruels qui déjà t'environnent ;
Tu ne sais point quels dangers empoisonnent,
À chaque pas, nos déplorables jours ;
Des passions la triste connaissance
N'a point encor troublé ton innocence :
Tu ne verras que trop tôt leurs effets ;
Trop tôt, hélas ! En butte à leur puissance,
Tu donneras d'inutiles regrets
Au calme heureux dont jouit ton enfance.
Et si jamais d'un charme impérieux
Le faux prestige égarait ta faiblesse !
Si, quelque jour, tu condamnais mes yeux
À d'autres pleurs que ceux de la tendresse !...
Ô dons des cieux ! Ô vertus ! Ô talents !
Loin de ma fille écartez ces tyrans !
Protégez-la ; préservez sa jeunesse
Et des écueils et des pièges trompeurs !
Puisse cette âme innocente et timide,
Libre par vous des communes erreurs,
Croître à l'abri de votre heureuse égide !
Et toi, l'objet de mes soins les plus chers,
Tandis qu'au ciel dont tu vois la lumière
En ta faveur mes vœux seront offerts,
Commence en paix ta naissante carrière ;
Et que le temps, dont la rapide faux
Moissonnera ces tranquilles journées,
En t'apportant de nouvelles années
N'offre à ton cœur que des plaisirs nouveaux.
Je l'avouerai : ce vieillard implacable
À trop souvent excité ma frayeur ;
J'ai redouté son aile infatigable
Qui, chaque jour, enlève quelque fleur
À mon printemps : mais si son inconstance
Fane mes jours pour embellir les tiens,
Si son pouvoir, aidant ma vigilance,
En t'éclairant sur les maux et les biens
Forme aux vertus ta fragile existence,
Si, pour tout prix de ce travail si doux,
Je puis enfin jouir de mon ouvrage,
De ses rigueurs loin de craindre l'outrage,
Il peut frapper : je bénirai ses coups.
Référence bibliographique :
VERDIER-ALLUT, Suzanne, Les Géorgiques du midi poème en quatre chants suivi de diverses pièces de poésie, avec une notice sur Mme VERDIER-ALLUT par Madame FORNIER de CLAUSONNE (sa fille), ouvrage édité par FORNIER de CLAUSONNE Gustave (président à la cour impériale de Nîmes et Petit-fils de l'auteur), Paris, Librairies-éditeurs Michel Lévy frères, 1862.
Référence bibliographique numérique :
─ VERDIER-ALLUT, Suzanne, Les Géorgiques du Midi : poème en poésie, avec une notice sur Mme VERDIER-ALLUT, édité par FORNIER de CLAUSONNE, Gustave (1797-1873), Paris, Michel Lévy frères, Librairie nouvelle, 1 vol., 252 p., 1862, in-18, url : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k 6472578d. Poème « Épître à ma fille au moment de sa naissance (1770) », p. 175-181 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6472578d/f191.image, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6472578d/f192.image, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6472578d/f193.image, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6472578d/f194.image, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6472578d/f195.image, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6472578d/f196.image, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6472578d/f197.image.
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Pour citer ce poème
Suzanne Verdier-Allut, « Épître à ma fille au moment de sa naissance (1770) », poème reproduit du recueil Un pan de poèmes pour Toutes à l'école, transcrit et remanié par Astartê, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020, mis en ligne le 8 mai 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/epitre-naissance
Mise en page par David Simon
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