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Promenade poétique dans
les jardins d'Hanne Bramness
(biographie, présentation et extraits traduits) |
Anne-Marie Soulier Poèmes extraits reproduits avec l'aimable autorisation de l'auteure et des éditions du Murmure |
©Crédit photo : L'arbre du bonheur image prise en 2007 par Anne-Marie Soulier
Biographie
Née le 3 avril 1959, Hanne Bramness est l’un des poètes norvégiens les plus importants de sa génération. Après un séjour en Angleterre dans les années quatre-vingts, elle vit à présent entre la Norvège et Berlin avec son mari, l’écrivain Lars Åmund Vaage.
Son premier recueil de poèmes, Korrespondanse, publié en 1983, sera suivi d’une œuvre extrêmement riche, puisque sa bibliographie comprend également des recueils et des romans pour la jeunesse, ainsi que de nombreuses traductions d’auteurs très divers (Sylvia Plath, Denise Levertov, Selima Hill, William Blake, l’Indienne Kamala Das, l’Estonienne Marie Under, sans compter plusieurs recueils de poèmes japonais et chinois du passé).
Elle a obtenu en 1996 le Prix du Club de Poésie Norvégien pour ses traductions, et en 2006 le très recherché Doblougspris, décerné par une académie suédoise.
Parmi ses propres recueils de poèmes :
- I sin tid (« De son temps »), 1986
- Nattens kontinent (« Le Continent de la nuit »), 1992
- Revolusjonselegier (« Élégies de la révolution »), 1996
- Regnet i Buenos Ayres (« la Pluie à Buenos Ayres »), 2002
- Salt på øyet (« Du sel dans les yeux »), 2006
- Det står ulver i din drøm (« Il y a des loups dans ton rêve »), anthologie, 2008
- Uten film i kameraet (« Sans film dans l’appareil »), 2010
Présentation
Le vocabulaire extrêmement riche d'Hanne Bramness est comme apprivoisé par sa prédilection pour les formes courtes. La plupart de ses textes tiennent sur une page, beaucoup se contentent de quelques lignes pour délivrer au lecteur un message extrêmement dense, à l’image de ces brefs poèmes extrême-orientaux avec lesquels elle se sent si manifestement en parenté.
« Délivrer » est bien le mot qui convient ici : avant de parvenir au lecteur, les textes semblent avoir mûri longtemps, dans un univers très lointain, essentiellement visuel, où la mémoire semble engagée dans un corps à corps avec un univers fantastique dont elle interroge sans merci les visions tout en le nourrissant de ses propres images. La syntaxe est généralement simple, malgré les phrases hachées par une versification comme dissoute dans le rythme de cette « solitude en mouvement ». Bribes de réalité, présences irréelles se succèdent en d’imprévisibles fondus enchaînés, les lignes dérapent, la typographie semble céder à une émotivité invincible. Les phrases ne se termineront pas nécessairement par un point, mais peut-être par un nouveau retour à la ligne, inauguré malgré tout par une majuscule qui chaque fois imprime au lecteur une petite secousse, comme pour lui rappeler d’être « celui qui veille », celui qui consent à ces turbulences, celui qui, même aux prises avec les loups de ses propres rêves, tout simplement est là.
Que l’écriture puisse se passer de tout autre support qu’elle-même, voilà qui est confirmé dans le dernier recueil à ce jour, Uten film i kameraet. Malgré l’abandon apparent de la poésie pour une technique plus « prosaïque », point n’est besoin de « film dans l’appareil » : images signées de noms prestigieux ou archives de sa propre mémoire, il ne s’agit pas pour le poète de « décrire » des photos, mais bien de les « écrire », de les « développer », de leur servir de « révélateur ». D’un art à l’autre, d’une forme à l’autre, les mots sont les mêmes, les mots ne trompent pas, c’est leur miroitement qui fait battre des cils à celui qui s’éveille.
L’œuvre poétique d'Hanne Bramness est éditée et publiée par Cappelen-Damm, Oslo. Les extraits suivants sont tirés de l’anthologie Trois poètes norvégiens, textes recueillis et traduits par Anne-Marie Soulier, éditions du Murmure, Dijon 2011.
Poèmes extraits traduits du norvégien
Vannliljesorg
Men når isen
legger seg på tjernet
er den svakest
ved kantene av bladene
Chagrin de nénuphar
Mais lorsque la glace
s’étale sur l’étang
c’est au bord des feuilles
qu’elle est la plus faible
Lupin
Når forandres planten til ugress?
Når presses den ut i veikanten
forvist til å vandre?
Det er slutten av juni
og lenge siden lupinen
sto ved solvarme husvegger
og kastet blå skygge
Le lupin
À quel moment une plante devient-elle mauvaise herbe ?
À quel moment la repousse-t-on au bord du chemin
exilée, errante ?
C’est la fin du mois de juin,
longtemps après que le lupin
debout contre les maisons tièdes
a jeté ses ombres bleues
Iris
Oppstått i tanken
så rett og slank er den nesten abstrakt
men ikke perfekt
for ingenting perfekt er vakkert
Det nattblå øyet
med gul signatur
L’iris
Surgi dans la pensée
droit et svelte, presque abstrait
mais non parfait
car perfection n’est pas beauté
Cet œil bleu nuit
signé de jaune
Pioner
Vinden feier inn i hagen
med regnet i hælene
Uværet er på vei
vinduer og dører slår
Pionene bøyer de tunge hodene
blussende
mot den våte bakken
Les pivoines
Le vent balaie le jardin
la pluie sur ses talons
L’orage est en route
battent portes et fenêtres
Les pivoines penchent leurs têtes lourdes
rougissantes
vers la pente trempée.
Rose
I alle hager fins en rose
lik den røde munnen til et barn
som former ord for seg selv
og smil av det slaget
som er helt uten ærend
La rose
Dans tous les jardins se trouve une rose
semblable à la bouche rouge d’un enfant
qui forme des mots pour elle-même
et cette sorte de sourire
qui ne s’adresse à personne
Perspektiv
Får du plass til sola
i en skje
kan blåbæret
dekke månen
Perspective
Fais de la place pour le soleil
dans une cuiller
et la myrtille pourra
cacher la lune
Pour citer ce texte |
Anne-Marie Soulier , « Promenade poétique dans les jardins d'Hanne Bramness (biographie, présentation et extraits traduits) » (poèmes extraits reproduits avec l'aimable autorisation de l'auteure et des éditions du Murmure, cf. Trois poètes norvégiens, textes recueillis et traduits par Anne-Marie Soulier, éditions du Murmure, Dijon 2011) , texte illustré par des photos fournies par A-M. Soulier, Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Jardins d'écritures au féminin », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°3|Été 2013 [En ligne], (dir.) Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 1er juin 2013. Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-3-promenade-poetique-dans-les-jardins-d-hanne-bramnes-118225793.html/Url.http://0z.fr/YGWQ7 |
Auteur(e) |
Anne-Marie Soulier, née à Lunéville, elle a d’abord longtemps vécu à l’étranger (Allemagne, Algérie, Norvège, Angleterre…) avant de choisir Strasbourg. Titulaire entre autres d’un diplôme de Sciences Politiques, d’un doctorat sur le théâtre d’Eugene O’Neill, d’un diplôme de langues et littérature norvégiennes de l’université d’Oslo, sa carrière de Maître de conférences d‘anglais à l’université de Strasbourg s’est poursuivie à l’université de Hangzhou (Chine) de septembre 2007 à janvier 2008. Depuis 1989, nombreuses publications en revues françaises et étrangères (Décharge, Friches, Froissart, Jalons, La Revue Alsacienne de Littérature, L’Encrier, L’Arbre à Paroles, Autre Sud, Dans la Lune …). En septembre 2006 elle a été invitée au Festival international de poésie de Trois-Rivières (Québec), en septembre 2007 au Festival international de la Rivière des Perles (Canton) Parmi ses recueils de poèmes - Eloge de l’Abandon, Chambelland, 1994. - Bouche, ris ! recueil de textes sur des huiles de Marie Jaouan, mis en musique pour chœurs d’enfants par Coralie Fayolle, créé en avril 1997 à la Cité de la Musique de Paris. - Patience des Puits, Éditinter, 1998. - Dire tu, éd. Lieux-Dits, 2003. - Je construis mon pays en l’écrivant, et Carnets de doute et autres malentendus, livres d’artiste avec le peintre Germain Roesz, éd. Lieux Dits, 2007. - Entre Temps, textes d’un spectacle musical pour nonette de jazz et 3 voix de femmes, musique de Sylvain Marchal, mise en scène de Chiara Villa, 2009. Nombreuses lectures avec musiciens et dans des ateliers d’artistes. Traductions du norvégien - La Pluie en janvier, recueil de traductions du poète norvégien Øyvind Rimbereid, 2003, éditions “bf” à Strasbourg. - Trois Poètes norvégiens, présentation et anthologie, éditions du Murmure, 2011. - Le Blues du coquillage, poèmes pour petits et grands de Hanne Bramness, PO&PSY 2013. - Dossier « Poètes norvégiens » paru dans Décharge n°154 (juin 2012) Traductions du chinois (en collaboration avec l’auteur) : Dans l’océan du monde, recueil de traductions de Cai Tianxin, L’Oreille du Loup, Paris, 2008. |