1 juin 2013 6 01 /06 /juin /2013 07:00

 

Poème

  

La vérité

 

  Anne-Marie Désert

Poème reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteure

 

 

Rivière d'arbres Acrylique 1978

©Crédit photo : Rivière d'arbres Acrylique 1978 par Anne-Marie Désert

    

   

Présentation

 

 

 

Voici un long poème qui commence dans un jardin, le jardin primordial, le jardin des jardins... Publié pour la première fois dans mon recueilQuatre Saisons dans l'Arbre Transparent, il a été repris, légèrement modifié, dans mon romanLa Belle Porte.

 

 

 

 


 

    

« Je voys, et viens aux ventz de la tempeste

De ma pensée incessamment troublée…

Parquoy durant si longue phrenesie,

Ne povant plus, je fais plus que ne puis. »

Maurice Scève (XVIème siècle) Délie (CCCXCIII)

    

 

  

Depuis un temps immémorial

j'aime d'amour la vérité.

C'est elle qui m'a mise au monde

et toujours je pensais lui dire

la vérité, la vérité.

 

C'est toi, je me souviens de toi,

tu es la fleur de ma mémoire.

 

Au commencement du monde,

dans un jardin persan,

tu étais cette source

aux yeux de pierre précieuse,

et moi sur ton épaule

oiseau de paradis.

 

Rivière,

tu portais ma soif et mes fardeaux.

 

 

 

Ou bien peut-être

cet arbre

ocellé des yeux de mille fleurs,

et moi au fond des branchages

j'étais ce petit loir

qui dort parce que le ciel est trop beau.

 

Dans le jardin d'orient,

tu étais mon âme libre et fière,

et ton pelage zébré

d'herbes transparentes

et constellé de signes arborescents

faisait des fleurs qui regardaient le ciel.

 

Et moi, sous les épées des arbres,

j'écoutais ta voix

d'une oreille lointaine et fine

en jouant dans les mares

avec les reflets trompeurs.

 

 

 

Mais la jungle a changé le ciel,

je me réveille : ici

pas un oiseau ne chante

au jardin clos,

car la source est tarie,

les pierres se taisent

et tout est défleuri.

 

Voilà maintenant que je n'entends plus

ta voix ruisselante,

et même l'écho m'en est refusé.

 

 

 

Toi, vérité que j'aime,

dépose au moins pour moi

le son crépitant de ta voix

au fond d'un simple coquillage,

que je l'écoute sans fin

comme on écoute la mer.

 

Laisse encore cette fragile douceur,

le murmure ténu de ta voix,

à mon caprice d'enfant,

avant de me quitter

jusqu'à la fin du monde.

 

Au fond d'un coquillage

rejeté par la mer,

moi je t'entendrais bien,

tu sais.

 

 

 

J'ai demandé au vent si tu m'aimes,

mais il a dit : la vérité

aime le vent plus que tout.

 

J'ai demandé à la pluie si tu m'aimes,

mais elle a dit : la vérité

aime la pluie par-dessus tout.

 

J'ai demandé au feu si tu m'aimes,

il a dit que c'est lui seul

l'amour de la vérité.

 

J'ai demandé à la terre si tu m'aimes,

mais elle ne m'a pas répondu.

 

 

 

Sur quel toit descendras-tu ?

Dans quelle forêt éliras-tu domaine ?

Dans quel jardin bâtiras-tu maison ?

Il y a tout le long du fleuve

des bateliers qui savent tes secrets.

 

Les bêtes m'ont parlé de toi,

et même les pierres quelquefois,

et j'écoute l'herbe chanter

et les arbres se parler,

et je suis seule à ne pas savoir

la vérité.

 

Bien des soirs où je rentrais fatiguée,

j'ai rêvé te trouver chez moi,

lumière et parfum à ma table

et sur les murs de ma maison.

 

Je t'aurais nourrie,

toi et tes petits,

tous les petits que tu m'aurais confiés.

 

 

 

Mais de maison, je n’en ai pas,

et au creux des chemins de terre

tu ne parfumes que le vent

et tu n'éclaires que la pluie.

 

Si tu réponds, c'est un murmure,

tu dis : il faut croire en moi.

Comment croirais-je en toi

si je ne te connais pas,

vérité ?

 

Tu dis : à demain,

mais que sais-tu du jour qui vient ?

sais-tu seulement l'heure de ma mort

et l'heure de ma naissance,

t'en souviens-tu,

vérité ?

 

 

 

Si je connais ton nom,

toi, connais-tu le mien,

sais-tu celui que je viens de trouver

et celui que je vais te donner,

vérité ?

 

Sais-tu où je m'avance,

sais-tu si je te fuis

ou si je vais te trouver,

vérité ?

 

 

 

Mes élans, un à un,

tu les as faussés,

jusqu'à les rendre plus étranges

que des grimaces,

toi, vérité.

 

Plus étrangère à moi-même

qu'à toi,

j'ai vu ton regard sur moi,

vérité,

se poser sans se reposer.

 

Tu as crié à l’imposture :

chacun de mes pas, disais-tu,

chavirait vers le mensonge,

mais c'était vers toi, vérité,

que je tombais.

 

 

 

Et voici, maintenant :

toutes les étoiles des mares,

et toutes les fleurs du ciel,

les précieuses pierres de ton visage

se taisent quand je les regarde.

 

Si peu que je me tourne

vers ton image claire,

ta lumière me saisit

se donnant toute entière,

ta lumière me frappe

en plein visage

et je pleure.

 

 

 

Plus douce que toi-même

ton image, ton image

pourtant me frappe au visage

et me rejette à terre

sans force ni langage,

vérité.

 

Ainsi nous sommes,

oiseaux de mensonge

et de lâcheté,

vérité,

ainsi tu m'as faite et tissée

de tes mains promptes et précieuses,

vérité.

 

 

 

Ta voix tranche,

ta voix brise,

qui suis-je donc

pour te répondre,

mes longues oreilles tremblent

dans le vent.

 

Où sont mes pieds,

où est ma main ?

Là-bas dans les branches des arbres,

parmi les bandes de corbeaux.

Ta voix a tranché

et brisé.

 

Qui suis-je

que tu me convoques en justice,

que ton regard

ne cesse de me suivre ?

Oublies-tu

que je ne suis qu'un souffle :

ta lumière sur moi

et je m'envole.

 

 

 

Peux-tu cesser de me regarder

un instant, que je respire,

oublies-tu que je vais mourir

sans t'avoir connue, vérité ?

 

Et qui te voit, toi qui t'en vas ?

tu brises là et tu t'enfuis.

Qui te connaît ? tu cries, tu cries,

mais ainsi tu ne réponds pas.

 

 

 

Ta robe est verte dans le soir,

dans le soleil ta robe est noire,

ta robe est rouge sur la mer

et violette au profond de la terre.

 

Qu'un seul s'approche, tu disparais,

le fil de ta voix se dissout,

mais ta beauté navre un par un

tous ceux qui marchent vers la mer.

 

Regarde-moi sans colère.

Je me lève : tu ne me reconnais plus,

tu fuis, plus frêle que le vent ;

ne sais-tu donc rien de ta force ?

 

Et mon reflet, pourtant,

est à ta ressemblance,

infidèle mais complète image

de ton visage,

vérité.

 

 

 

Des hauteurs l'écho me renvoie

mon cri finement taillé dans les lointains.

 

Les oiseaux chantent dans les arbres

mais le vent ne s’est pas levé,

les nuages s'en vont vers le nord

mais rien ne bouge encore.

 

Aux portes de la mer

est dressée ta maison.

Quand la mer monte

le vent se lève.

 

La mer est en haut du talus

et va tomber dans ton jardin.

Les oiseaux s'envolent des arbres

et les allées se mettent à briller.

 

Sous le ciel vert de la forêt

les murs de ta maison fleurissent.

Dans la forêt d'où les miens sont venus,

à mon tour je suis revenue.

 

 

 

En haute mer flotte une herbe nouvelle

de douce odeur et de saveur amère

qui peut guérir, dit-on,

le vieux mal qui me point,

et je m'en vais pêcher

ses écheveaux précieux

en haute mer, où volent les oiseaux.

 

Et que le feu Saint-Elme

prenne mes ailes folles

pour les guider bientôt

vers les sources du ciel.

 

 

 

La mer est une page blanche

d'heure en heure plus transparente

où je fais le portrait de la mort

avec cette encre noire

que tu me donnes à boire.

 

La mer est un miroir de glace

d'heure en heure plus dur et plus roide

où l'on suit pas à pas mes traces

aux lueurs de l'aurore boréale.

 

La mer est ton image

aux arêtes tranchantes,

miroir fragile et blanc

où je passe ma rage

à coups de pierres plates.

 

C'est ton image qui me glace

et me saisit si brusquement

qu'elle se brise et qu'elle me brise

en millions d'éclats tranchants.

 

 

 

De grands oiseaux

nous apportent l’hiver,

de grands oiseaux de colère,

de grands oiseaux aux ailes bistres

qui nous apportent un hiver de vent pur

où pleuvent doucement

la blancheur et les larmes.

 

Te voilà,

toi qui laisses

l'arc-en-ciel des jours

enluminer nos habits de semaine,

toi qui jettes

sur nos vêtements de fête

un manteau de blancheur,

toi, vérité.

 

 

 

Mais oui, laisse-moi

dans le noir

et ne dis rien.

Je n'ai pas même un mot d'amour

pour te parler.

Les épines des larmes

me couronnent.

 

Je te regarde

et je ne te vois pas,

vérité.

 

Si je regarde,

Je ne vois

qu'une poupée de porcelaine,

une orpheline aux grands yeux clairs,

toi, vérité ?

Est-ce toi, ces yeux de faïence,

cette bouche close, est-ce toi,

vérité ?

 

 

 

Qu'il me reste en partage,

au bout du compte,

de croire que tu es là,

si près, si loin,

et au sommet des arbres

la frange de ta robe,

sans que j'en sache goutte.

Car tu déchires la douceur du monde

pour une plus grande douceur encore

et tu préfères à toute musique

les silences des marées montantes.

 

Ton visage

est si grand

qu'il passe

ma mémoire.

 


 

Pour citer ce poème


Anne-Marie Désert,  « La vérité » (poème reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteure), poème présenté et illustré par A-M. Désert, Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Jardins d'écritures au féminin », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°3|Été 2013 [En ligne], (dir.) Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 1er juin 2013. 

Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-3-la-verite-117991343.html/Url.

 

Auteur(e)


Anne-Marie Désert, professeur certifié de lettres, née à Paris en octobre 1949, je suis d'une famille de chercheurs. En 1971, une rencontre m'a délivrée de ce destin tout tracé : Patricia Bourke, peintre (1912-2011). Je peignais, et rêvais d'être artiste-peintre, mais l'écriture était depuis toujours mon activité vitale. Après un bref passage dans les métiers de la librairie, je me suis mise alors à enseigner la littérature. Quand on doit en plus assumer une famille, il ne reste plus de temps pour grand'chose... Les enfants grandis, je me suis remise plus assidûment à l'écriture...

Publications : cinq oeuvres, deux recueils de poèmes en autoédition (l'un en 1974 réédité en 1983 : L'arbre transparent, l'autre en 2010 : Quatre Saisons dans l'Arbre Transparent), deux romans (La Belle Porte en 2012 en autoédition chez Atramenta, Les sept jours de l'Arc-en-ciel, qui est un extrait de La Belle Porte,en autoédition en 2010) puis en autoédition chez Atramenta Les Misérables Résumé et morceaux choisis.

Commentaire : J'ai fait de belles rencontres sur Atramenta : Eugénie Steyert, Hervé Léonard Marie, Fialyne Olivès, Agnès Chêne, Jodelle et Bruno Krol, Hélène Ourgant et Michele Angelo Murgia, par exemple. J'espère en faire par le biais de la revue Le Pan poétique des muses (LPpdm).

 

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