Poème |
La vérité |
Anne-Marie Désert Poème reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteure |
©Crédit photo : Rivière d'arbres Acrylique 1978 par Anne-Marie Désert
Présentation
Voici un long poème qui commence dans un jardin, le jardin primordial, le jardin des jardins... Publié pour la première fois dans mon recueilQuatre Saisons dans l'Arbre Transparent, il a été repris, légèrement modifié, dans mon romanLa Belle Porte.
« Je voys, et viens aux ventz de la tempeste
De ma pensée incessamment troublée…
Parquoy durant si longue phrenesie,
Ne povant plus, je fais plus que ne puis. »
Maurice Scève (XVIème siècle) Délie (CCCXCIII)
Depuis un temps immémorial
j'aime d'amour la vérité.
C'est elle qui m'a mise au monde
et toujours je pensais lui dire
la vérité, la vérité.
C'est toi, je me souviens de toi,
tu es la fleur de ma mémoire.
Au commencement du monde,
dans un jardin persan,
tu étais cette source
aux yeux de pierre précieuse,
et moi sur ton épaule
oiseau de paradis.
Rivière,
tu portais ma soif et mes fardeaux.
Ou bien peut-être
cet arbre
ocellé des yeux de mille fleurs,
et moi au fond des branchages
j'étais ce petit loir
qui dort parce que le ciel est trop beau.
Dans le jardin d'orient,
tu étais mon âme libre et fière,
et ton pelage zébré
d'herbes transparentes
et constellé de signes arborescents
faisait des fleurs qui regardaient le ciel.
Et moi, sous les épées des arbres,
j'écoutais ta voix
d'une oreille lointaine et fine
en jouant dans les mares
avec les reflets trompeurs.
Mais la jungle a changé le ciel,
je me réveille : ici
pas un oiseau ne chante
au jardin clos,
car la source est tarie,
les pierres se taisent
et tout est défleuri.
Voilà maintenant que je n'entends plus
ta voix ruisselante,
et même l'écho m'en est refusé.
Toi, vérité que j'aime,
dépose au moins pour moi
le son crépitant de ta voix
au fond d'un simple coquillage,
que je l'écoute sans fin
comme on écoute la mer.
Laisse encore cette fragile douceur,
le murmure ténu de ta voix,
à mon caprice d'enfant,
avant de me quitter
jusqu'à la fin du monde.
Au fond d'un coquillage
rejeté par la mer,
moi je t'entendrais bien,
tu sais.
J'ai demandé au vent si tu m'aimes,
mais il a dit : la vérité
aime le vent plus que tout.
J'ai demandé à la pluie si tu m'aimes,
mais elle a dit : la vérité
aime la pluie par-dessus tout.
J'ai demandé au feu si tu m'aimes,
il a dit que c'est lui seul
l'amour de la vérité.
J'ai demandé à la terre si tu m'aimes,
mais elle ne m'a pas répondu.
Sur quel toit descendras-tu ?
Dans quelle forêt éliras-tu domaine ?
Dans quel jardin bâtiras-tu maison ?
Il y a tout le long du fleuve
des bateliers qui savent tes secrets.
Les bêtes m'ont parlé de toi,
et même les pierres quelquefois,
et j'écoute l'herbe chanter
et les arbres se parler,
et je suis seule à ne pas savoir
la vérité.
Bien des soirs où je rentrais fatiguée,
j'ai rêvé te trouver chez moi,
lumière et parfum à ma table
et sur les murs de ma maison.
Je t'aurais nourrie,
toi et tes petits,
tous les petits que tu m'aurais confiés.
Mais de maison, je n’en ai pas,
et au creux des chemins de terre
tu ne parfumes que le vent
et tu n'éclaires que la pluie.
Si tu réponds, c'est un murmure,
tu dis : il faut croire en moi.
Comment croirais-je en toi
si je ne te connais pas,
vérité ?
Tu dis : à demain,
mais que sais-tu du jour qui vient ?
sais-tu seulement l'heure de ma mort
et l'heure de ma naissance,
t'en souviens-tu,
vérité ?
Si je connais ton nom,
toi, connais-tu le mien,
sais-tu celui que je viens de trouver
et celui que je vais te donner,
vérité ?
Sais-tu où je m'avance,
sais-tu si je te fuis
ou si je vais te trouver,
vérité ?
Mes élans, un à un,
tu les as faussés,
jusqu'à les rendre plus étranges
que des grimaces,
toi, vérité.
Plus étrangère à moi-même
qu'à toi,
j'ai vu ton regard sur moi,
vérité,
se poser sans se reposer.
Tu as crié à l’imposture :
chacun de mes pas, disais-tu,
chavirait vers le mensonge,
mais c'était vers toi, vérité,
que je tombais.
Et voici, maintenant :
toutes les étoiles des mares,
et toutes les fleurs du ciel,
les précieuses pierres de ton visage
se taisent quand je les regarde.
Si peu que je me tourne
vers ton image claire,
ta lumière me saisit
se donnant toute entière,
ta lumière me frappe
en plein visage
et je pleure.
Plus douce que toi-même
ton image, ton image
pourtant me frappe au visage
et me rejette à terre
sans force ni langage,
vérité.
Ainsi nous sommes,
oiseaux de mensonge
et de lâcheté,
vérité,
ainsi tu m'as faite et tissée
de tes mains promptes et précieuses,
vérité.
Ta voix tranche,
ta voix brise,
qui suis-je donc
pour te répondre,
mes longues oreilles tremblent
dans le vent.
Où sont mes pieds,
où est ma main ?
Là-bas dans les branches des arbres,
parmi les bandes de corbeaux.
Ta voix a tranché
et brisé.
Qui suis-je
que tu me convoques en justice,
que ton regard
ne cesse de me suivre ?
Oublies-tu
que je ne suis qu'un souffle :
ta lumière sur moi
et je m'envole.
Peux-tu cesser de me regarder
un instant, que je respire,
oublies-tu que je vais mourir
sans t'avoir connue, vérité ?
Et qui te voit, toi qui t'en vas ?
tu brises là et tu t'enfuis.
Qui te connaît ? tu cries, tu cries,
mais ainsi tu ne réponds pas.
Ta robe est verte dans le soir,
dans le soleil ta robe est noire,
ta robe est rouge sur la mer
et violette au profond de la terre.
Qu'un seul s'approche, tu disparais,
le fil de ta voix se dissout,
mais ta beauté navre un par un
tous ceux qui marchent vers la mer.
Regarde-moi sans colère.
Je me lève : tu ne me reconnais plus,
tu fuis, plus frêle que le vent ;
ne sais-tu donc rien de ta force ?
Et mon reflet, pourtant,
est à ta ressemblance,
infidèle mais complète image
de ton visage,
vérité.
Des hauteurs l'écho me renvoie
mon cri finement taillé dans les lointains.
Les oiseaux chantent dans les arbres
mais le vent ne s’est pas levé,
les nuages s'en vont vers le nord
mais rien ne bouge encore.
Aux portes de la mer
est dressée ta maison.
Quand la mer monte
le vent se lève.
La mer est en haut du talus
et va tomber dans ton jardin.
Les oiseaux s'envolent des arbres
et les allées se mettent à briller.
Sous le ciel vert de la forêt
les murs de ta maison fleurissent.
Dans la forêt d'où les miens sont venus,
à mon tour je suis revenue.
En haute mer flotte une herbe nouvelle
de douce odeur et de saveur amère
qui peut guérir, dit-on,
le vieux mal qui me point,
et je m'en vais pêcher
ses écheveaux précieux
en haute mer, où volent les oiseaux.
Et que le feu Saint-Elme
prenne mes ailes folles
pour les guider bientôt
vers les sources du ciel.
La mer est une page blanche
d'heure en heure plus transparente
où je fais le portrait de la mort
avec cette encre noire
que tu me donnes à boire.
La mer est un miroir de glace
d'heure en heure plus dur et plus roide
où l'on suit pas à pas mes traces
aux lueurs de l'aurore boréale.
La mer est ton image
aux arêtes tranchantes,
miroir fragile et blanc
où je passe ma rage
à coups de pierres plates.
C'est ton image qui me glace
et me saisit si brusquement
qu'elle se brise et qu'elle me brise
en millions d'éclats tranchants.
De grands oiseaux
nous apportent l’hiver,
de grands oiseaux de colère,
de grands oiseaux aux ailes bistres
qui nous apportent un hiver de vent pur
où pleuvent doucement
la blancheur et les larmes.
Te voilà,
toi qui laisses
l'arc-en-ciel des jours
enluminer nos habits de semaine,
toi qui jettes
sur nos vêtements de fête
un manteau de blancheur,
toi, vérité.
Mais oui, laisse-moi
dans le noir
et ne dis rien.
Je n'ai pas même un mot d'amour
pour te parler.
Les épines des larmes
me couronnent.
Je te regarde
et je ne te vois pas,
vérité.
Si je regarde,
Je ne vois
qu'une poupée de porcelaine,
une orpheline aux grands yeux clairs,
toi, vérité ?
Est-ce toi, ces yeux de faïence,
cette bouche close, est-ce toi,
vérité ?
Qu'il me reste en partage,
au bout du compte,
de croire que tu es là,
si près, si loin,
et au sommet des arbres
la frange de ta robe,
sans que j'en sache goutte.
Car tu déchires la douceur du monde
pour une plus grande douceur encore
et tu préfères à toute musique
les silences des marées montantes.
Ton visage
est si grand
qu'il passe
ma mémoire.
Pour citer ce poème |
Anne-Marie Désert, « La vérité » (poème reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteure), poème présenté et illustré par A-M. Désert, Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Jardins d'écritures au féminin », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°3|Été 2013 [En ligne], (dir.) Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 1er juin 2013. |
Url.http://www.pandesmuses.fr/article-n-3-la-verite-117991343.html/Url.
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Auteur(e) |
Anne-Marie Désert, professeur certifié de lettres, née à Paris en octobre 1949, je suis d'une famille de chercheurs. En 1971, une rencontre m'a délivrée de ce destin tout tracé : Patricia Bourke, peintre (1912-2011). Je peignais, et rêvais d'être artiste-peintre, mais l'écriture était depuis toujours mon activité vitale. Après un bref passage dans les métiers de la librairie, je me suis mise alors à enseigner la littérature. Quand on doit en plus assumer une famille, il ne reste plus de temps pour grand'chose... Les enfants grandis, je me suis remise plus assidûment à l'écriture... Publications : cinq oeuvres, deux recueils de poèmes en autoédition (l'un en 1974 réédité en 1983 : L'arbre transparent, l'autre en 2010 : Quatre Saisons dans l'Arbre Transparent), deux romans (La Belle Porte en 2012 en autoédition chez Atramenta, Les sept jours de l'Arc-en-ciel, qui est un extrait de La Belle Porte,en autoédition en 2010) puis en autoédition chez Atramenta Les Misérables Résumé et morceaux choisis. Commentaire : J'ai fait de belles rencontres sur Atramenta : Eugénie Steyert, Hervé Léonard Marie, Fialyne Olivès, Agnès Chêne, Jodelle et Bruno Krol, Hélène Ourgant et Michele Angelo Murgia, par exemple. J'espère en faire par le biais de la revue Le Pan poétique des muses (LPpdm). |