Peinture, poésie et femmes
Entretien avec l'artiste-peintre Filomena Salley
accompagné d'une exposition de certains de ses tableaux
Réalisé par Cyril Bontron
Parlons un peu de vos sources d'inspiration ? La poésie figure-t-elle parmi elles ?
Pas consciemment. Quand je débute une nouvelle toile c'est d'abord mon regard intérieur qui dirige ma pensée, pas le verbe... qu'il soit prose ou poésie ; le silence m'est d'ailleurs indispensable. Après, l'œuvre finie, le regard que je pose sur elle m'amène effectivement à y apposer des mots... et le peintre, à de rares exceptions dont je ne fais pas partie, ne fait pas d'exposés sur ses œuvres – les critiques s'y emploient déjà assez – je dirais, donc, que ce besoin d'un texte poétique, est un peu le point final à la signature de l'œuvre.
On sait que la peinture est au cœur de la poésie comme c'est le cas dans la poésie (dite) visuelle, peut-on dire la même chose de la poésie dans la peinture (et plus particulièrement dans la vôtre ?)
Je ne me considère pas poète... aussi il faudrait plutôt poser la question aux poètes. Mais, non, je ne le pense pas car la peinture reflète l'indicible... ce qui ne peut s'exprimer en mots... la transcendance de l'intime qui ne se nomme pas... le désir d'abandon qui ne s'avoue pas... le plaisir de l'accomplissement qui n'est jamais rassasié... « l'Idéal » !
Dans la poésie ce sont les mots, eux-mêmes, qui nous renvoient les images... Et il faut reconnaître également que l'évolution des techniques de peinture ne déclenche pas exactement une lecture réellement poétique, ou du moins pas toujours...
Quel est votre sentiment à propos du rôle de la peinture des femmes dans l'évolution de cet art ?
Si l'on se penche sur l'histoire de la peinture, tout au long des siècles, on constate que le nombre de femmes peintres renommées est très restreint. Et les raisons se trouvent dans l'Histoire, avec un grand « H », de l'humain quelques soient les civilisations.
Car la femme a toujours été « brimée » côté disponibilité temporelle – la maternité, l'éducation des enfants, l'intendance de la maison – et ce, paradoxe ironique, même dans les sociétés dites matriarcales... puisque leur reconnaissance leur ôtait encore plus le droit au dilettantisme.
Celles qui ont traversé les siècles restent dans un créneau assez limité « portraits, (les enfants, la famille), jolis bouquets... et étaient issues des couches sociales avantagées ; ou la douleur par manque de ce vécu (atavisme d'une culture millénaire judéo-chrétienne même pour des femmes s'étant émancipées du carcan originel, comme ce fut le cas de Frida Kahlo).
Mais, aujourd'hui, même si la femme manque encore plus de temps, puisqu'à la famille est venue s'ajouter une carrière professionnelle (assez rare dans le passé et surtout pas dans les milieux aisés), sa liberté d'expression donne à sa peinture un langage plus puissant, plus concret que celui de l'homme resté, lui, dans son besoin d'affirmer le monde par la suprématie masculine... Je vois l'art pictural féminin moderne s'inscrire dans la lignée des grands artistes du passé qui ont transcendé la femme et l'amour (toutes époques et toutes écoles confondues, tels Raphaël, Courbet, Klimt...).
D'après vous, comment et en quoi les peintures du corps et du nu féminin réalisées par les femmes artistes peuvent être une nouvelle voie d'émancipation des femmes artistes et de leurs modèles ?
Peut-être que si j'étais un homme je penserais comme ce que je viens de répondre plus haut... mais je suis très heureuse d'être femme et de l'exprimer en essayant de rendre palpable tout ce qu'est une femme : l'amante, l'épouse et la mère. Et je ne pense pas être la seule à le penser.
La femme, malgré qu'ayant eu à se battre pour son émancipation et l'égalité de ses droits, ne ressent pas forcément un besoin de revanche dans son affirmation. Elle savait ce qu'elle valait, elle l'a obtenu, elle avance et l'exprime avec gourmandise. Sa peinture est une transcription instinctive de ce pourquoi elle s'est battue pas de ce qu'elle a acquis... de là une peinture plus gracieuse, plus lumineuse aussi.
L'univers du cabaret vous passionne, quelles images de libération et de jeux avec les représentations du corps vous renvoie-t-il ?
Moi, j'ai besoin de peindre comme je voudrais que soit la vie : légère, belle. A plus forte raison parce qu'elle ne l'est pas toujours. Dans la vie de tous les jours la femme est confrontée à la scène : paraître – forte au travail et à la maison ; et aux coulisses : l'être effectivement. Par le milieu il y a les accrocs, la maladie qu'il faut (quand on le peut, évidemment) surmonter. J'ai la chance de pouvoir exprimer tout cela sur la toile... il est là, le jeu ! Exactement comme dans la vie. Sauf que je n'aime ni la triche ni me complaire dans le malheur, aussi j'essaie de me maintenir au plus proche de la vérité.
Et la vérité dans la vie c'est qu'une fois les difficultés ou les malheurs surmontés ils perdent de leur importance (c'est ce qui fait que la vie puisse continuer, d'ailleurs). L'univers du cabaret sous-entend toujours une face triste, voire sordide et solitaire, et l'autre lumineuse voire généreuse et opulente. Disons que dans ma malle à accessoires il n'y a que des beaux atours...
Et vos projets pour l'année 2011-2012 ?
Une nouvelle collection, continuer à promouvoir des artistes peu connus au sein de ma galerie ouverte à tous les arts, participer à des expositions et surtout continuer à me faire plaisir … dans mon métier, dans la vie !
Galerie de l'artiste-peintre Filomena Salley
Pour citer cet entretien
Cyril Bontron, Filomena Sally, « Peinture, poésie et femmes. Entretien avec l'artiste-peintre Filomena Sally accompagné d'une exposition de certains de ses tableaux, in Le Pan poétique des muses|Revue de poésie entre théories & pratiques : « Poésie & Crise » [En ligne], n°0|Automne 2011, mis en ligne en octobre 2011. URL. http://0z.fr/UZPRZ ou
URL. http://www.pandesmuses.fr/article-n-0-peinture-poesie-et-femmes-entretien-et-exposition-de-l-artistedilomena-sally-85930192.html
Pour visiter le(s) site(s) de l'artiste-peintre
Auteur(e)s