4 novembre 2020 3 04 /11 /novembre /2020 16:10

Hommage poéféministe | Articles, pensées, réflexions lettres ouvertes & témoignages

 

 

 

 

 

Du gouvernement appelé

 

 

le règne de la terreur

 

 

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Germaine de Staël

 

Poème choisi, transcrit, remanié & mis en français moderne pour cette revue par Dina Sahyouni

 

 

 

Le texte reproduit ci-dessous provient des Œuvres complètes de Madame de Staël, tome XIII. Considérations sur les principaux événements de la Révolution Française, tome II, IIIème partie, publiées par son fils ; précédées d'une notice sur le caractère et les écrits de Mme de Staël, par Madame NECKER de SAUSSURE, Bruxelles, Louis Hauman, et Ce, Libraires, M DCCC XXX (1830), « Chapitre XVI. Du gouvernement appelé le règne de la terreur », pp. 79-85. Cet ouvrage est tombé dans le domaine public.

 

 

 

    On ne sait comment approcher des quatorze mois qui ont suivi la proscription de la Gironde, le 31 mai 1793. Il semble qu'on descende, comme le Dante, de cercle en cercle, toujours plus bas dans les enfers. À l'acharnement contre les nobles et les prêtres on voit succéder l'irritation contre les propriétaires, puis contre les talents, puis contre contre la beauté même, enfin contre ce qui pouvait rester de grand et de généreux à la nature humaine. Les faits se confondent à cette époque, et l'on craint de ne pouvoir entrer dans une telle histoire, sans que l'imagination en conserve d'ineffaçables traces de sang. L'on est donc forcé de considérer philosophiquement des événements sur lesquels on épuiserait l'éloquence de l'indignation, sans jamais satisfaire le sentiment intérieur qu'ils font éprouver.

 

 

    Sans doute, en ôtant tout frein au peuple, on l'a mis en mesure de commettre tous les forfaits ; mais d'où vient que ce peuple était ainsi dépravé ? Le gouvernement dont on nous parle comme d'un objet de regrets, avaient eu le temps de former la nation qui s'est montrée si coupable. Les prêtres, dont l'enseignement, l'exemple et les richesses sont propres, nous dit-on, à faire tant de bien, avaient présidé à l'enfance de la génération qui s'est déchaînée contre eux. La classe soulevée en 1789 devait être accoutumée à ces privilèges de la noblesse féodale, si particulièrement agréables, nous assure-t-on, encore, à ceux sur lesquels ils doivent peser. D'où vient donc que tant de vices ont germé sous les institutions anciennes ? Et qu'on ne prétende pas que les autres nations de nos jours se fussent montrées de même, si une révolution y avait eu lieu. L'influence française a excité des insurrections en Hollande et en Suisse, et rien de pareil au jacobinisme ne s'y est manifesté. Pendant les quarante années de l'histoire d'Angleterre, qu'on peut assimiler à celle de France sous tant de rapports, il n'est de période de comparable aux quatorze mois de la terreur. Qu'en faut-il conclure ? Qu'aucun peuple n'avait été aussi malheureux depuis cent ans que le peuple français. Si les nègres à Saint-Domingue ont commis bien plus d'atrocités encore, c'est parce qu'ils avaient été plus opprimés.

 

 

    Il ne s'ensuit certes pas de ces réflexions, que les crimes méritent moins de haine ; mais, après plus de vingt années, il faut réunir à la vive indignation des contemporains, l'examen éclairé qui doit servir de guide dans l'avenir. Les querelles religieuses ont provoqué la révolution d'Angleterre ; l'amour de l'égalité, volcan souterrain de la France, agissait aussi sur la secte des puritains ; mais les Anglais alors étaient réellement religieux, et religieux protestants, ce qui rend à la fois austère et plus modéré. Quoique l'Angleterre, comme la France, se soit souillée par le meurtre de Charles 1er, et par le despotisme de Cromwell, le règne des jacobins est une affreuse singularité, dont il n'appartient qu'à la France de porter le poids dans l'histoire. Cependant on n'a point observé les troubles civiles en penseur, quand on ne sait pas que la réaction est égale à l'action. Les fureurs des révoltes donnent la mesure des vices des institutions ; et ce n'est pas au gouvernement qu'on veut avoir, mais à celui qu'on a eu longtemps, qu'il faut s'en prendre de l'état moral d'une nation. On dit aujourd'hui que les Français sont pervertis par la révolution. Et d'où venaient donc les penchants désordonnés qui se sont si violemment développés dans les premières années de la révolution, si ce n'est de cent ans de superstition et d'arbitraire ?

 

 

    Il semblait, en 1793, qu'il y eût plus de place pour des révolutions en France, lorsqu'on avait tout renversé, le trône, la noblesse, le clergé, et que le succès des armées devait faire espérer la paix avec l'Europe. Mais c'est précisément quand le danger est passé, que les tyrannies populaires s'établissent : tant qu'il y a des obstacles et des craintes, les plus mauvais hommes se modèrent ; quand ils ont triomphé, leurs passions contenues se montrent sans frein.

 

 

    Les girondins firent de vains efforts pour mettre en activité des lois quelconques, après la mort du roi; mais ils ne purent faire accepter aucune organisation sociale : l'instinct de la férocité les repoussait toutes. Hérault de Séchelles proposa une constitution scrupuleusement démocratique, l'assemblée l'adopta ; mais elle ordonna qu'elle fût suspendue jusqu'à la paix. Le parti jacobin voulait exercer le despotisme, et c'est bien à tort qu'on a qualifié d'anarchie ce gouvernement. Jamais une autorité plus forte n'a régné sur la France ; mais c'était une bizarre sorte de pouvoir ; décrivant du fanatisme populaire, il inspirait l'épouvante à ceux-mêmes qui commandaient en son nom ; car ils craignaient toujours d'être proscrits à leur tour par des hommes qui iraient plus loin qu'eux encore dans l'audace de la persécution. Le seul Marat vivait sans crainte dans ce temps ; car sa figure était si basse, ses sentiments si forcenés, ses opinions si sanguinaires, qu'il était sûr que personne ne pouvait se plonger plus avant que lui dans l'abîme des forfaits. Robespierre ne put atteindre lui-même à cette infernale sécurité.

 

 

    Les derniers hommes qui, dans ce temps, soient encore dignes d'occuper une place dans l'histoire, ce sont les girondins. Ils éprouvaient sans doute au fond du cœur un vif repentir des moyens qu'ils avaient employés pour renverser le trône ; et quand ces mêmes moyens furent dirigés contre eux, quand ils reconnurent leurs propres armes dans les blessures qu'ils recevaient, ils durent sans doute réfléchir à cette justice rapide des révolutions, qui concentre dans quelques instants les événements de plusieurs siècles.

 

 

    Les girondins combattaient chaque jour et à chaque heure avec une éloquence intrépide contre des discours aiguisés comme des poignards, et qui renfermaient la mort dans chaque phrase. Les filets meurtriers dont on enveloppait de toutes parts les proscrits, ne leur ôtaient en rien l'admirable présence d'esprit qui seule peut faire valoir les talents de l'orateur.

 

 

    M. de Condorcet, lorsqu'il fut mis hors la loi, écrivit sur la perfectibilité de l'esprit humain un livre qui contient sans doute des erreurs, mais dont le système général est inspiré par l'espoir du bonheur des hommes ; et il nourrissait cet espoir sous la hache des bourreaux, dans le moment même où sa propre destinée était perdue sans ressource. Vingt-deux des députés républicains furent traduits devant le tribunal révolutionnaire, et leur courage ne se démentit pas un instant. Quand la sentence de mort leur fut prononcée, l'un d'entre eux, Valazé, tomba du siège qu'il occupait ; un autre député, condamné comme lui, se trouvant à ses côtés, et croyant que son collègue avait peur, le releva rudement avec des reproches ; il le releva mort. Valazé venait de s'enfoncer un poignard dans le cœur, d'une main si ferme, qu'il ne respirait plus une seconde après s'être frappé. Telle est cependant l'inflexibilité de l'esprit de parti, que ces hommes qui défendaient tout ce qu'il y avait d'honnêtes gens en France, ne pouvaient se flatter d'obtenir quelque intérêt par leurs efforts. Ils luttaient, ils succombaient, ils périssaient, sans que le bruit avant-coureur de l'avenir pût leur promettre quelque récompense. Les royalistes constitutionnels eux-mêmes étaient assez insensés pour désirer le triomphe des terroristes, afin d'être ainsi vengés des républicains. Vainement ils savaient que ces terroristes les proscrivaient, l'orgueil irrité l'emportait sur tout ; ils oubliaient, en se livrant ainsi à leurs ressentiments, la règle de conduite dont il ne faut jamais s'écarter en politique : c'est de se rallier toujours au parti le moins mauvais parmi ses adversaires, lors même que ce parti est encore loin de votre propre manière de voir.

 

 

    La disette des subsistances, l'abondance des assignats, et l'enthousiasme excité par la guerre, furent les trois grands ressorts dont le comité de salut public se servit, pour animer et dominer le peuple tout ensemble. Il l'effrayait, ou le payait, ou le faisait marcher aux frontières, selon qu'il lui convenait de s'en servir. L'un des députés à la convention disait : « Il faut continuer la guerre, afin que les convulsions de la liberté soient plus fortes. » On ne peut savoir si ces douze membres du comité de salut public avaient dans leur tête l'idée d'un gouvernement quelconque. Si l'on en excepte la conduite de la guerre, la direction des affaires n'était qu'un mélange de grossièreté et de férocité, dans lequel on ne peut découvrir aucun plan, hors celui de faire massacrer la moitié de la nation par l'autre. Car, il était si facile d'être considéré par les jacobins comme faisant partie de l'aristocratie proscrite, que la moitié des habitants de la France encourait le soupçon qui suffisait pour conduire à la mort.

 

 

    L'assassinat de la reine et de madame Élisabeth causa peut-être encore plus d'étonnement et d'horreur que l'attentat commis contre la personne du roi ; car on ne saurait attribuer à ces forfaits épouvantables d'autre but que l'effroi même qu'ils inspiraient. La condamnation de M. De Malesherbes, de Bailly, de Condorcet, de Lavoisier, décimait la France de sa gloire ; quatre-vingt personnes étaient immolées chaque jour, comme si le massacre de la Saint-Barthélemy dût se renouveler goutte à goutte. Une grande difficulté s'offrait à ce gouvernement, si l'on peut l'appeler ainsi ; c'est qu'il fallait à la fois se servir de tous les moyens de la civilisation pour faire la guerre, et de toute la violence de l'état sauvage pour exciter les passions. Le peuple et même les bourgeois n'étaient point atteints par les malheurs des classes élevées ; les habitants de Paris se promenaient dans les rues comme les Turcs pendant la peste, avec cette seule différence que les hommes obscurs pouvaient assez facilement se préserver du danger. En présence des supplices, les spectacles étaient remplis comme l'ordinaire ; on publiait des romans intitulés : Nouveau voyage sentimental, l'Amitié dangereuse, Ursule et Sophie, enfin toute la fadeur et toute la frivolité de la vie subsistaient à côté de ses plus sombres fureurs.

 

 

    Nous n'avons point tenté de dissimuler ce qu'il n'est pas au pouvoir des hommes d'effacer de leur souvenir ; mais nous nous hâtons, pour respirer plus à l'aise, de rappeler dans le chapitre suivant les vertus qui n'ont pas cessé d'honorer la France, même à l'époque la plus horrible de son histoire.

 

 

 

***

 

Pour citer ce texte

 

Germaine de Staël, « Du gouvernement appelé le règne de la terreur  »,   texte extrait des Œuvres complètes de Madame de Staël, tome XIII. Considérations sur les principaux événements de la Révolution Française, tome II, IIIème partie (1830), choisi, transcrit, remanié et mis en français moderne par Dina Sahyouni Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiquesHommage poéféministe au professeur Samuel Patymis en ligne le 4 novembre 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/21octobre/stael-gouvernementdelaterreur

 

 

 

Mise en page par Aude Simon

 

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