Hommage poéféministe | Textes poétiques
La mort des dieux
Poème choisi, transcrit & remanié pour cette revue par Dina Sahyouni
© Crédit photo : "Première de couverture du poème", capturée par la revue LPpdm.
Dans le ciel vaporeux aux fascinants abîmes,
Au-dessus des brouillards d'argent, de cendre ou d'or,
Sur leurs trônes d'azur siégeaient les dieux sublimes,
Écoutant si vers eux nos chants montaient encor.
Ils étaient là, ces fils de notre immortel rêve.
Unis et fraternels dans leur commun séjour,
Car un même désir les enfanta sans trêve,
Car ils furent aimés du même ardent amour.
Ils étaient là, sans haine et sans amère envie :
Jupiter, Jéhovah, si promets en leur courroux,
Le grand Baal, Ishtar, déesse de la vie,
Et le pâle Jésus sous ses longs cheveux roux ;
Bouddha, dont la pitié s'épanche en flots mystiques,
Vishnou, qui de toute âme est l'éternel amant,
Allah, qu'ont célébré de belliqueux cantiques,
Et le farouche Odin, roi du nord inclément.
Et sur les fronts hautains de la célèbre foule
Régnaient le calme auguste et la sécurité :
Les siècles devant eux passeraient, sombre houle,
Mais sans pouvoir jamais ternir leur majesté.
Car l'homme, qui les fit du meilleur de son âme,
Et qui par leur splendeur s'était laissé charmer,
Quand il douterait d'eux ne serait point infâme
Assez pour les maudire et pour les blasphémer.
Mais, les enveloppant d'un respect doux et tendre,
Il bénirait toujours leurs fantômes puissants,
Qui l'ont fait espérer avant qu'il pût comprendre,
En lui donnant pour but les cieux éblouissants.
Il n'oublierait jamais que, sur sa route amère,
Eux seuls ont soutenu, guidé ses premiers pas,
Et qu'ils l'ont doucement calmé par leur chimère,
Comme on clame un enfant en lui chantant tout bas.
Ainsi rêvaient les dieux au fond du ciel immense,
Quand soudain, les troublant dans leur bleu paradis,
Monta comme un long cri d'insulte et de démence :
L'homme se disait libre... et les avait maudits !
Homme, pauvre insensé que mène un vain mirage,
Maudis donc ton cerveau, ton cœur et ta raison !
Les dieux ne sont-ils pas, réponds, ton propre ouvrage ?
Qui donc les a dressés, hors toi, sur l'horizon ?
Tu brandis contre eux un inutile glaive
C'est ton illusion que menace ta main ;
Si tu crois saluer une aube qui se lève,
Vois, tes propres flambeaux blanchissent ton chemin.
Va donc, poursuis un songe après un autre songe,
Tu ne peux échapper à la loi de ton cœur.
Mais écoute... dans l'ombre où ton blasphème plonge,
C'est de ta seule voix que rit l'écho moqueur.
C'est toi, c'est ton passé, dont ainsi tu te railles.
Soit, tous tes dieux sont morts sous ton bras forcené...
Mais d'autres de ton sein vont naître, et tes entrailles
Demain feront jaillir ton rêve nouveau-né.*
* Le texte reproduit ci-dessus provient de LESUEUR, Daniel (1854-1921 pseudonyme de Jeanne LOISEAU), Rêves et visions, [Titres des volets ou des Sous-titres : Souvenirs, Visions divines, Visions antiques, Sonnets philosophiques, Échos et reflets, Paroles d'amitié, Paroles d'amour], Paris, Alphonse Lemerre, MDCCCLXXXIX (1889), « Visions divines », pp. 28-30. Ce recueil appartient au domaine public.
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Pour citer ce poème
Jeanne Loiseau, « La mort des dieux », extrait de LESUEUR, Daniel pseudonyme de), Rêves et visions, (1889) poème choisi, transcrit & remanié par Dina Sahyouni, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Hommage poéféministe au professeur Samuel Paty, mis en ligne le 4 novembre 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/21octobre/jl-lamortdesdieux
Mise en page par Aude Simon
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