1 décembre 2016 4 01 /12 /décembre /2016 10:51

 

Poèmes

Parution imprimée dans le numéro spécial 2016

Avant-première

 

Aimer l’amour & Adieu homme

 

 

Dina Sahyouni

 

Membre de la revue LPpdm et de la SIEFEGP

Blog officiel : pan...

 

 

Aimer l’amour

 

 

Je viens aimer l’amour qui transpire de tes lèvres,

Je viens aimer l’amour qui soupire dans tes yeux,

Je viens d’oublier mon corps endormi dans tes mains,

Troubler tous les destins, autant que les chagrins,

Qui m’éloignent de toi.


 

Aime-moi maintenant, aime-moi encor/en corps.

Dors dans mes yeux, là où le printemps se perpétue.

Dors dans mon cœur, là où l’été embrase les mers

De l’univers.


 

Dors dans mes cheveux, là où les jardins de Jasmin

Fleurissent, et remplissent ton quotidien de leurs beautés

Éphémères : je suis l'être-poussière.

Aime-moi maintenant, aime-moi encor/en corps.


 

Je viens nicher dans ton être, aime-moi.

Je viens rimer ton corps de mots forts,

Aime-moi maintenant.. encor/en corps

Lorsque le soleil se couche et lorsque la lune s’endort,

Aime-moi maintenant, aime-moi encor/en corps.


 

Je viens les mains vides mais avides de ton bord.

Aime-moi au-delà des mots, de la mort,

N’oublie pas mes rimes: mon visage sonore

Que je t’offre en mélodies lointaines de l’Âge d’or

Aime-moi maintenant, aime-moi encor/en corps.


 

Je viens aimer l’amour qui respire par tes lèvres,

Je viens renverser toutes les Minerve

De ton ancienne vie, et vivre en toi, en pluie,

Durant des mille et une nuits.

 

Je viens t’aimer comme au beau vieux temps maudit

Où l’amoureux était pour toute la vie.

Je viens avide de ta lumière, en lanières

Me déposer sur tes joues.

Et au creux de ton cœur,

En douceur, préparer mon nid.

Aime-moi maintenant, aime-moi encor/en corps.

© DS, 2010

***

 Crédit photo : Saint Eulalia (1885) de John William Waterhouse. Domaine public, image trouvée sur Commons

 

 

Adieu homme

 

Adieu terre promise, pensées sauvages, et rêves enfantins

Dieu des contemporains lui pardonnera tous ses pêchés d'être volage

Immanent ou transcendantal, Cosmos et dieux païens...

Eulalie de tous les temps, Eulalie des cieux miroirs de Téthys

Ursule se plaint encor dans sa tombe lointaine…

© DS, inédit 2016

 

***

Pour citer ces poèmes

  

Dina Sahyouni, «  Aimer l’amour » & « Adieu homme », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°9 (publication partielle de nos derniers numéros imprimés de 2016) [En ligne], mis en ligne le 1er décembre 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/adieu.html

 

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Le Pan poétique des muses - dans La Lettre de la revue LPpdm Numéros
30 novembre 2016 3 30 /11 /novembre /2016 16:25

 

Article du numéro spécial 2015-2016

Parution imprimée le 31 décembre 2016

 

 

La poésie incantatoire d'Aimé Césaire

 

 

Françoise Urban-Menninger

Membre de la revue LPpdm et de la SIEFEGP

Responsable de la rubrique Lettres & Arts

Blog officiel : L'heure du poème

 

 

 

Pour évoquer ou essayer d'invoquer modestement et de manière totalement informelle avec ma seule intuition poétique l'écriture flamboyante et cosmogonique d'Aimé Césaire, j'ai choisi de m'appuyer sur la lecture d'un extrait du poème « Les pur-sang » tiré du recueil « Les armes miraculeuses ». J'espère vous faire vibrer avec cette lecture qui donne corps aux mots, qui fait fusionner l'âme et le cosmos. Car Aimé Césaire affirmait lui-même dans une lettre adressée à Lylian Kesteloot que « la poésie surgit du vide intérieur comme un volcan émerge du chaos primitif ». Il ajoutait dans sa missive que « c'est notre lieu de force ; la situation éminente d'où l'on somme ; magie ; magie ». Avant de poursuivre, voici la lecture de l'extrait annoncé…

 

[...] Le dernier des derniers soleils tombe.

Où se couchera-t-il sinon en Moi ?

À mesure que se mourait toute chose,


 

Je me suis, je me suis élargi – comme le monde – Et ma conscience plus large que la mer ! Dernier soleil. J'éclate. Je suis le feu, je suis la mer. Le monde se défait. Mais je suis le monde

[...]

Et nous voici pris dans le sacré

tourbillonnant ruissellement primordial au recommencement de tout. La sérénité découpe l'attente en prodigieux cactus. Tout le possible sous la main. Rien d'exclu. Et je pousse, moi, l'Homme stéatopyge assis en mes yeux des reflets de marais, de honte, d'acquiescement

pas un pli d'air ne bougeant aux échancrures de ses membres – sur les épines séculaires je pousse, comme une plante sans remords et sans gauchissement vers les heures dénouées du jour pur et sûr comme une plante sans crucifiement vers les heures dénouées du soir La fin ! Mes pieds vont le vermineux cheminement plante mes membres ligneux conduisent d'étranges sèves plante plante et je dis et ma parole est paix et je dis et ma parole est terre [...]

 

Dans ce magnifique extrait tiré des « pur-sang », la magie indubitablement opère. Il y a fusion entre le poète et la terre qu’il personnifie. L’homme devient plante, ses membres « conduisent d'étranges sèves » tandis que la terre est « accroupie dans ses cheveux d'eau vive ». L’âme végétale pousse dans le corps du poète, le traverse, transcende son esprit, explose dans la magnificence des mots. Le poète est ce « passeur » qui dit haut et fort le monde, la vie qui le portent : « et je dis et ma parole est paix et je dis et ma parole est terre et je dis et la joie éclate dans le soleil nouveau ».

Une fièvre, un embrasement s'empare du lecteur de ce poème et provoque une contagion joyeuse car le lecteur est invité sans préambule à entrer dans un rythme incantatoire qui le porte au bord de lui-même. Chacun se reconnaît dans ce « Moi » que le poète Aimé Césaire nomme et auquel il met une majuscule. « Le dernier des derniers soleils tombe. Où se couchera-t-il sinon en Moi ? » Comme tous les grands poètes, Aimé Césaire est « un rêveur de monde ». Il s’ouvre au monde et le monde s'ouvre à lui. Le philosophe Gaston Bachelard a merveilleusement évoqué dans « La poétique de la rêverie » cette « rêverie cosmique » où une seule image cosmique donne une unité de rêverie, une unité du monde.

Gaston Bachelard nous le confie « L’image cosmique est immédiate. Elle nous donne le tout avant les parties ». Et le philosophe de nous offrir en une seule phrase cette clé essentielle : « Les grands rêves de cosmicité sont garants de l'immobilité de la terre ».

Cette immobilité se mue alors en sérénité et c'est bien Aimé Césaire qui écrit « La sérénité découpe l'attente en prodigieux cactus », et plus loin dans le poème, il associe « l’Homme stéatopyge » à une immobilité qui renvoie à un ordre, un savoir séculaire, voire millénaire enfoui dans nos archétypes ». C'est cette poésie surgie des profondeurs telle la lave d'un volcan qui s’apparente à une rêverie cosmique primitive, elle nous permet de renouer avec notre inconscient collectif, avec des mythes où le monde était corps humain, regard humain, souffle humain, voix d'homme. La figure du soleil, essentielle dans le poème que je vous ai lu, est souvent reprise dans d’autres écrits d'Aimé Césaire. Ainsi dans le poème intitulé « Soleil serpent », il associe son œil et le soleil dans ce vers asyndétique : « soleil serpent œil fascinant mon œil » et témoigne ainsi de ce que Bachelard appelait « le théorème de la rêverie de vision ». À savoir que « tout ce qui brille voit ». Et cette rêverie du rêveur solitaire n'a d'autre fin que de s'ouvrir à tous les êtres du monde. Bachelard résume ainsi le propos « Le rêveur parle au monde et voici que le monde lui parle ». Dans le poème que j'ai lu tout à l'heure, l'homme devient une plante, il renoue avec son âme végétale qui le prolonge et le met en phase dans son dialogue avec le cosmos. Aimé Césaire déclarait à ce propos : « Le motif végétal est un motif qui est central chez moi, l'arbre est là , il est partout, il m'inquiète, il m'intrigue, il me nourrit ».

Je voudrais m'arrêter sur cette magnifique image de l'Homme-plante pour évoquer la figure de Suzanne Césaire, son épouse, la femme aimée, la muse qui lui a inspiré de splendides poèmes. Cette femme exceptionnelle, belle de corps, d'âme et d'esprit, nous a laissé elle aussi de somptueux écrits pour la plupart publiés dans la revue littéraire martiniquaise « Tropiques » que le couple avait animée entre 1941 et 1945.

Dans « Le grand camouflage », l’édition établie par Daniel Maximin, créateur du spectacle « Fontaine solaire » élaboré autour des textes de Suzanne Césaire, on trouve un article où elle évoque la théorie du philosophe Leo Frobenius qui pense que « L'homme est l'instrument de la civilisation ». Suzanne Césaire écrit : « L'homme n'agit pas, il est agi, mû par une force antérieure à l'humanité, une force assimilable à la force vitale elle-même, la Païdeuma fondamentale ». C'est dans ce même texte qu'elle nous parle de l'Homme-plante, thème que l'on retrouve dans la poésie d'Aimé Césaire. Et d'ajouter, admirative de l’œuvre de Leo Frobenius : « Il retrouve le sens des cosmogonies et des mythes perdus depuis Anaxagore et Platon ». Cette pensée rejoint celle du grand physicien Hubert Reeves qui dans son livre « Dernières nouvelles du cosmos », nous explique que l'image d'un monde antique baignant dans le chaos n'est pas neutre, elle restitue, écrit-il l'être humain dans ce vaste mouvement d'organisation de la matière à l'échelle cosmique » et de poursuivre en concluant « ...nous ne somme pas étrangers à l'univers. Nous en sommes les enfants ». Voilà comment la pensée scientifique rejoint l'intuition poétique mais cela nous le savions déjà grâce à Platon, à Bachelard et aujourd'hui à Hubert Reeves. Cette intuition de notre appartenance à la terre qui nous porte, Suzanne Césaire l'a exprimée avec force et beauté. Il n'est pas superflu de reprendre la quatrième de couverture du grand camouflage où Daniel Maximin qualifie son écriture de « flamboyante » et déclare qu'elle est « l'initiatrice d'une importante lignée d'écriture féminine aux Antilles ». Mais si, comme je l'ai déjà souligné, « Les mots cosmiques, les images cosmiques tissent des liens de l'homme au monde », il est temps de parler de la langue employée par Aimé Césaire. L'écrivain n'a de cesse dans ses multiples écrits de célébrer la langue française qui, pour reprendre une expression de Guillevic, « le met au monde », il affirme qu’elle est devenue « la langue du pays » et la qualifie « d'atout magnifique » tout en précisant qu'en tant que poète martiniquais « il a un devoir d'originalité ». Dans la poésie d'Aimé Césaire, c'est la langue française qui flamboie, irradie, vibre tout comme chez St John Perse. Personnellement, j'y retrouve le même rythme litanique, une fois embarquée dans le poème. Ce rythme, c'est celui du sang qui roule tambour dans nos artères, celui qui traverse notre nuit depuis nos origines jusqu'à notre finitude. Les métaphores, les chiasmes, les hyperboles génèrent une écriture proprement ensorcelante tout en exubérance qui fait écho aux plus grands poètes. On entend dans les vers d'Aimé Césaire, les voix de Lautréamont, de Baudelaire ou de Rimbaud. Le verbe prolifère telle une plante luxuriante qui envahit le terreau du poème, pousse sur les décombres de la mémoire, pour fleurir et s'ouvrir toujours plus haut dans la pleine lumière d'une liberté qui n'a plus besoin des mots pour se dire, se crier, se chanter. C'est le surréalisme, détaché « des termes conventionnels », selon une expression que Suzanne Césaire emprunte à André Breton, qui permet à « la liberté de se faire chair et de se recréer sans cesse dans le verbe », écrit-elle en 1943 dans Tropiques. Elle ajoute que l'activité surréaliste est une activité totale, la seule qui peut libérer l'homme en lui révélant son inconscient et de mettre en exergue de son article cette phrase belle et lumineuse : « Surréalisme, corde raide de notre espoir ». La poésie d'Aimé Césaire, « libérée de toute entrave » transcende ainsi toutes les frontières, frontières géographiques mais aussi celles qui font référence aux couleurs de la peau, aux croyances religieuses. Car sa poésie est une musique qui touche l'âme universelle, cosmogonique. En 1945, Aimé Césaire écrivait dans la revue « Tropiques » : « En nous l'homme de tous les temps, en nous les hommes. En nous l'anima, le végétal, le minéral. L'homme n'est pas seulement homme, il est l'univers ». J'ajouterai pour conclure que l'usage de la langue française portée aux cimes de la splendeur par Aimé Césaire ainsi que par d'autres grands poètes tels Léopold Sédar Senghor, Léon Gontran ou Daniel Maximin a contribué à faire rayonner la francophonie. Aimé Césaire se plaisait à définir la francophonie comme « un humanisme intégral qui se tisse autour de la terre ».

N'oublions pas pour terminer cette modeste intervention que bon nombre d'auteurs comme Emile Cioran ou Albert Camus ont déclaré « Nous habitons une langue », et affirmé que « Notre vraie patrie est notre langue ». Pour clore mon sujet, je laisse la parole à Aimé Césaire qui définit la poésie tel un cri « jailli des profondeurs ». La fulgurance de ce cri, à n'en pas douter traverse notre nuit, nous ramène au bord de nous-mêmes pour faire chanter en nous cette âme du monde dont nous sommes des fragments, peut-être même des « poussières d'étoiles » comme se plaît à nous le répéter Hubert Reeves.

Écoutons une dernière fois la voix d'Aimé Césaire dans un court extrait de son poème « Le grand midi » tiré du recueil « Les armes miraculeuses ».

 

Je pars, je pars. Mer sans ailleurs, ô recreux sans départ je vous dis que je pars : dans la clarté aréneuse, vers mon hostie vivace, se cabrent des centaures. Je pars. Le vent d'un museau dur fouine dans ma patience Ô terre de cimaise dénuée terre grasse gorgée d'eau lourde votre jour est un chien qui jappe après une ombre.

Adieu !

Quand la terre acagnardée scalpera le soleil dans la mer violette vous trouverez mon œil fumant comme un tison.

Fournaise, rude tendresse, salut !

Les étoiles pourrissent dans les marais du ciel mais j'avance plus sûr et plus secret et plus terrible que l'étoile pourrissante.

 

***

Pour citer ce texte

  

Françoise Urban-Menninger, « La poésie incantatoire d'Aimé Césaire », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°9 (publication partielle de nos derniers numéros imprimés de 2016) [En ligne], mis en ligne le 30 novembre 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/cesaire.html

 

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Le Pan poétique des muses - dans La Lettre de la revue LPpdm Numéros
24 novembre 2016 4 24 /11 /novembre /2016 17:09

 

Poème inédit

Parution imprimée dans le numéro spécial 2016

Avant-première

 

À fleur de paume

 

 

Françoise Urban-Menninger

Membre de la revue LPpdm et de la SIEFEGP

Responsable de la rubrique Lettres & Arts

Blog officiel : L'heure du poème

Photographie par Claude Menninger

 

 

© Crédit photo : "Pommes" sublimées par le regard du photographe Claude Menninger

 

Poème inspiré de la photographie "Pommes" de Claude Menninger

 

 

sur ma peau l’automne

à fleur de paume

caresse le velouté des ombres

où s’incarnent mes souvenirs

 

 

pomme pomme t’es-tu fait mal

interrogeait le poète

quand sur la tête de Newton

une pomme s’écrasait


 

mais c’est dans un panier d’osier

que dorment mes pensées

petites pommes de l’enfance

déposées sous l’escalier de la mémoire


 

petites pommes rouges avec lesquelles

Ève jonglait sur le chemin des écoliers

petites pommes jaunes que je croquais

en dévorant mes premiers livres

 

 

petites pommes vertes encore et toujours

qui roulent sous ma paume

et qui ont mêlé leur âpreté

au temps qui me défait

 

 

 

***

Pour citer ce poème

  

Françoise Urban-Menninger, « À fleur de paume », poème inspiré de la photographie "Pommes" de Claude Menninger, Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°9 (publication partielle de nos derniers numéros imprimés de 2016) [En ligne], mis en ligne le 24 novembre 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/paume.html

 

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Le Pan poétique des muses - dans La Lettre de la revue LPpdm Numéros
24 novembre 2016 4 24 /11 /novembre /2016 14:35

 

Article du numéro spécial 2015-2016

Parution imprimée le 31 décembre 2016

Dossier "Les hommes en poésie"

 

 

Le fils-de-la-femme-mâle

 

de Maurice Bandaman, à la recherche des traces

 

d’une poésie de l’imaginaire narratif

 

 

 

Emmanuel Toh Bi

Université de BOUAKÉ Côte d’Ivoire

 

 

 

Introduction

 

Le fils de-la-femme-male-mâle1, de toute évidence, est une écriture romanesque instable, débauchant le profil sacerdotal du genre. C’est, peut-être, à dessein que le texte de Maurice BANDAMAN porte, en page de garde, l’insigne "conte romanesque", label générique suintant l’originalité. En effet, le texte nommé comporte une diégèse, avec personnages, espaces et temps, un point initial et une clôture narrative. En plus, l’énonciation en est conforme à la structure profonde de la phrase grammaticale (sujet-verbe-complément), feignant un prosaïsme consubstantiel à la communicativité vraisemblable. Toutefois, en s’immergeant dans l’univers de Le fils-de-la-femme-mâle, on s’aperçoit, progressivement, d’un texte littéraire dont la particularité n’a d’égale que la souveraineté de l’invraisemblance. L’imaginaire y est vertigineux, gardant, sans démordre, son souffle continu ; l’incantatoire, doublet du rituel, y est manifeste, l’épique et le légendaire se le disputent pour produire le tissu du merveilleux, l’univers mythique, connecté au fantastique, meuble l’ambiance de la surréalité, nature et surnature se superposent, le temps de l’invraisemblance défie le temps de la lucidité et s’y confond, le monde des vivants et le monde des morts entretiennent une perméabilité communicante, les épreuves initiatiques insupportables s’invitent « impunément » dans l’espace du monde sensible ordinaire, la gravitation des espaces par les personnages s’inscrit dans une labilité déconcertante, le décor mirifique exubérant fait ombrage au sobre décor du quotidien, des durées de vie à faire dérailler l’entendement, des aptitudes humaines non mathématisables...

 

Décisivement, la littérature n’est pas une parole scientifique, certes. Sa vocation ne réside pas dans les concepts de causalité, de déterminisme, de vérification, de méthodologie qui consisterait à retracer la vérité historique ou sociale. C’est peut-être avec logique qu’elle ne se conçoit pas ou qu’elle ne s’élabore pas dans les grands laboratoires de sciences exactes. Si tel était le cas, l’on se rapprocherait quelque peu d’un certain naturalisme comme tentaient de le faire Émile ZOLA et Claude BERNARD, au nom du concept du roman expérimental. Certes, la littérature n’est pas une prédication fondée sur des faits réels d’enseigne existentialiste, accomplis par un peuple qui ferait le bilan d’une vie récente en vue d’envisager l’avenir. À la vérité, ce qui justifie cet état d’esprit de la littérature, c’est son statut de fiction, c’est-à-dire, statut d’œuvre de l’esprit, non constituée du vrai mais, plutôt, du semblable au vrai. Même le roman naturaliste ou expérimental, dont Germinal peut être une figure représentative, n’y échappe pas. En d’autres termes, la littérature est interchangeable au vraisemblable, une illusion, certes, mais une illusion référentielle. Bref, la littérature n’est pas le calque ou la reproduction mécanique de la réalité vécue mais, plutôt, en donne l’impression. Le roman et le théâtre en sont, notamment, la contrepartie dans la création littéraire. Dans le cas précis de Le fils de-la-femme-mâle, on a quitté le domaine du vraisemblable, qui serait plus ou moins appréhensible et utile à l’entendement humain, pour sombrer dans la sphère de l’invraisemblable. Même si le vraisemblable n’est pas totalement absent dans le texte de l’écrivain ivoirien, il est, à tout le moins, larbin ou surplombé par l’invraisemblable qui irradie majestueusement son œuvre. S’il peut paraître aventureux d’inférer que l’invraisemblance n’est pas beaucoup prisée en littérature, en général, du moins, sous le rapport du reflet de l’engagement, c’est peut-être, dans ce sens, la vraisemblance qui a fait la grandeur des peuples de tradition littéraire. Pour sa part, Le fils de-la-femme mâle, notoirement investi par l’invraisemblance, et en vertu d’une certaine animation textuelle, a tendance à basculer dans un autre genre littéraire : la poésie. Cette invraisemblance, donc, même si elle est véhiculée dans du narratif, au regard de l’énonciation et des techniques narratologiques, semble faire le joint avec la poésie, la plus « oiseuse » présumée des créations littéraires.

 

Tout comme Le fils de la femme mâle, la poésie est sublimation du fait linguistique et idéalisation du fait vécu. Mieux, le fait linguistique idéalise le fait vécu, c’est-à-dire que le premier arrache le second à la lucidité existentielle pour le convertir en une forme d’irréalité. La poésie est une incursion dans l’onirique, du fait d’un angle de vision du mot qui, subissant la pesanteur de l’émotion et des rêveries de l’artiste-locuteur, s’auréole de relent métaphysique, établissant un réseau de correspondances avec la verticalité. Ce faisant, le sémantisme du mot, se subvertissant à une espèce d’ambiance carnavalesque, procède à un « maquillage corrupteur » de démultiplication de sens, nouveaux, du reste. Le corollaire de cet état de fait lexicologique, c’est la défiance de l’évidence, la déstabilisation de l’ordre des choses, la remise en cause du fondement de l’existence telle qu’enregistrée dans le psychisme humain ou dans la conscience rationnelle. Tout comme la poésie, Le fils de-la-femme-mâle déstabilise l’ordre des choses et détruit le fondement de l’existence, mettant ainsi en déroute la conscience rationnelle. Le mot poétique, donc, s’auto-sacrifiant sémantiquement, se déconnecte de la matérialité corruptrice et inscrit un monde abstrait, un monde virtuel, celui de la suggestion des sens infinis et enseignements symboliques sans borne. Cet élitisme littéraire qui est synonyme d’élection de symboles, d’images et de rythmes, n’est que le résultat de la subversion sémantique du mot, épicentre et manivelle actionneuse des canons structurels cités.

 

Le nœud de la question, c’est que, Le fils- de-la-femme-mâle, sous sa facette de récit ("conte romanesque") , est narrativement ancré, au point de friser, par endroits, le substantialisme lucide par une diégèse narratologiquement débitée. Clairement, si sous la dénomination de l’animation créée par l’invraisemblance extrême, le texte de Maurice BANDAMAN peut, dans une certaine mesure, s’identifier à une poésie, il faut bien que, par abstraction, cette originalité littéraire digético-narratologique puisse afficher des symboles, images et rythmes, identifiants stylistiques majeurs de la poésie. Et ce, non par un traitement particulier réservé au mot, mais, de préférence, par le récit lui-même en tant que substance littéraire communicative de l’ambiance du quotidien vécu. En un mot, il serait bien curieux de savoir comment, sans trahir le sens de base des mots de sorte à traduire un fait relaté, le récit lui-même peut être, à la fois, symbole, image et rythme.

 

 

I – L’art du référentiel, une didactique féconde et créatrice

     

    Un chasseur nommé Awlimba part un jour en forêt pour accomplir la tâche de subsistance quotidienne. L’expédition se transforme en des fresques merveilleuses qui, entre autres, lui font changer de cadre d’existence (le souterrain), lui firent expérimenter des épreuves, scènes et personnages tout aussi mythologiques qu’ahurissants. Au bout d’une initiation achevée, il rentre de la chasse, donc, revient dans son monde usuel des vivants, le monde de la normalité, avec un butin des moins ordinaires, un enfant mystérieux, à l’issue d’une partie de chasse qui dura trois heures, selon le monde du commun des mortels, équivalant à vingt et un mois, selon l’estimation ou le train temporel du monde initiatique. Un accouplement singulier eut lieu entre Awlimba et sa femme N’juaba déjà enceinte depuis sept mois, mu par le projet inédit de communiquer aux entrailles de N’juaba, l’enfant mystérieux entré comme par enchantement, quelque temps plus tôt, dans l’urètre du chasseur. Après vingt et un mois de grossesse, l’enfant, doté des deux sexes, sortit du ventre de sa mère pendant qu’ Awlimba mourait.

    Cet enfant d’une race rare, décida d’aller à la quête de la connaissance et de la vertu pour édifier et servir le monde. Le texte se termine sur la radieuse vision d’une société équilibrée, juste, heureuse et harmonieuse, sous la houlette du roi Awlimba Tankan.

     

    Le fils –de- la- femme- mâle est un texte qui brille, non nécessairement par l’art du mot, mais, essentiellement, par l’art du référent, comme c’est le cas des littératures initiatico-ancestrales négro-africaines. Et le propre de tout texte de profil initiatique, c’est d’être didactiquement fécond, c’est-à-dire, infiniment riche en enseignements et, donc, propice à l’épanouissement de l’esprit. Ici, ce n’est pas le mot qui s’illumine de symbolisme, mais, c’est, au contraire, le référent qui, dans une structure linguistique commode, pourtant, se mue en référent symbolique, produisant inépuisablement plusieurs autres petits référents, donnant ainsi à des interprétations sans fin et hissant l’esprit humain à un haut étage de compréhension abyssale des choses. Pour y parvenir, ce référent d’entrain prosaïque, teinté d’initiatique et fusionné au sacré, se démarque de l’ordinaire et ouvre la vanne à l’imaginaire. En guise d’illustration, nous recourons aux pans du texte suivants : la description de l’itinéraire de chasse d’Awlimba au début du récit, le processus de mutation de la vieille femme repoussante en jeune fille romantique puis en vieillard, la scène de l’accouplement entre Awlimba et sa femme N’ juaba jusqu’à l’accouchement au terme d’une grossesse étrange, et le témoignage de l’enterrement d’Awlimba.

    Un jour, contre les appréhensions pas très rassurantes de son épouse enceinte, Awimba s’entête à aller à la chasse. Cette occasion, superlativée des quotidiens monotones flétrissant l’intellect, fut l’instant initiatique se sa rencontre, mieux, de sa fusion au monde des mystères. Voici comment le relate le narrateur :

     

    « La nuit était calme. Awlimba traversa le cimetière, eut des frissons, prit un sentier, s’enfonça dans le plus profond de la gigantesque et monstrueuse forêt, marcha, marcha, marcha. La brousse devenait de plus en plus silencieuse ; on aurait même dit que le vent s’était tu et que les arbres s’enfonçaient dans le sol. Soudain, un grand souffle. Un souffle venant du plus profond de la terre. Puis tout se mit à frémir, à glousser. Une grande lumière fendit la nuit et la terre ouvrit son ventre. C’est donc dans le ventre de la terre qu’Awlimba marchait son fusil sur l’épaule, inconscient du changement d’univers. Le ventre de la terre était large, profond, spiralé, stratifié. Awlimba traversa une première strate de sept niveaux dont les trois premiers étaient blancs et les quatre autres nacrés. Puis vint une deuxième strate également de sept niveaux, de même couleur que les premiers. Enfin, une troisième strate de sept niveaux, aux couleurs de l’arc-en-ciel. Quand Awlimba eut traversé le vingt et unième niveau, le ventre de la terre se referma sur lui, il se retrouva sur une berge que baignait un fleuve écumeux, tumultueux, coléreux. Un soleil gros comme la terre flottait à quelque distance au-dessus du fleuve et si l’on avait voulu la mesurer, il aurait suffi de hisser sept hommes, les pieds des uns au-dessus de la tête des autres, pour caresser, de la main, le ventre et le visage de ce soleil. » (voir pp. 17-18)

     

    Tout ce phénomène effarant se déroule en un moment symbolique du jour : "la nuit", laconiquement lâchée dans la phrase brève « La nuit était calme. » La nuit, en Afrique noire, est l’instant de la méditation et de la lumière intellectuelle. C’est l’instant où les esprits du monde invisible font incursion dans le village pour flirter avec les réalités, et seuls les initiés ressentent ou captent leur présence. La nuit, en Afrique noire, est le moment privilégié de l’affranchissent des néophytes, consistant à les faire passer de l’état de cécité spirituelle à celui de dialectique intellectuelle, en vue de leur pleine participation à la vie sociale. En effet, l’intérêt de l’intégration de la société à servir semble être la vocation, ainsi que le soutient N.MILLER, de tout rite initiatique2. La nuit, donc, ce moment de distinction à relent de déconnexion matérialiste, n’a pas échappé à la verve artistique du poète SENGHOR, chantre de la Négritude et lévite avéré de la culture noire : « Nuit d’Afrique ma nuit noire, mystique et claire, noire et brillante. » (Ethiopiques, p. 142). C’est tout naturellement, peut-être, que Awlimba, de la caste des chasseurs, caste des initiés, choisit cet instant hautement mystique et métaphysique pour expérimenter les mystères de l’existence, comme peut en témoigner le florilège de phrases issu du passage rapporté : "…s’enfonça dans le plus profond de la gigantesque et monstrueuse forêt", "les arbres s’enfonçaient dans le sol", "Une grande lumière fendit la nuit et la terre ouvrit son ventre", "C’est dans le ventre de la terre qu’Awlimba marchait, son fusil sur l’épaule, inconscient du changement d’univers", "…il aurait suffi de hisser sept hommes, les pieds des uns au-dessus de la tête des autres, pour caresser, de la main, le ventre et le visage de ce soleil". Ainsi, nous sommes en présence d’un monde qui s’effondre, celui de la mystique du rêve, où le Néophyte Awlimba change inconsciemment d’univers. C’est seulement sous le postulat de l’onirisme qu’on peut admettre qu’un individu et ses paramètres environnants s’engouffrent profondément dans le sol sans que ce dernier ne se sente interpellé outre mesure. L’atmosphère décrite constitue tout un souffle, celui du mot poétique qui, mutilant son sémantisme propre, fait s’ébranler les fondements du monde scientifique changeant impunément, ou avec désinvolture, de cadre structurel ou de contexte linguistique. Ce profil du mot poétique amène le Professeur Bernard ZADI Zaourou à le qualifier de mot en aventure, du fait qu’il déserte son isotopie initiale jusqu’à se retrouver dans une isotopie étrangère où il provoque un inconfort et est lui-même victime d’inconfort sémantique. C’est la rançon de l’irradiation intellectuelle et spirituelle cachée aux non-initiés qui, eux, y voient une nuit, symbole de non visibilité, instant choisi par Awlimba pour s’engager sur le chemin de l’initiation. D’ailleurs, le mot poétique, du fait des frictions et malaises d’indispositions sensationnelle et idéelle qu’engendre son irruption dans le décor littéraire nouveau, étend une sorte de voile nocturne dans l’esprit du sujet non averti. Ici, par la didactique du texte de BANDAMAN, la mise en scène, copie du substantiel expérimental, se met au service de l’abstrait, pour instruire cumulativement sur l’exégèse et l’art de la poésie.

     

    La féerie qu’inscrit le nouveau monde d’Awlimba inspire, à l’esprit humain, émerveillement, relaxation, évasion ou récréation, parfois, peur, toute une ambiance d’apocalypse, suggérant la poétique du 7eme art, où l’image, le son et le mouvement, ont valeur de dogme religieux ; on y trouve de l’émotion d’envergure cathartique ("Awlimba eut des frissons"), du son et de la vibration("Un souffle venant du plus profond de la terre, puis tout se mit à frémir, à glousser"), de la couleur et de la lumière ( "Une grande lumière fendit la nuit", "une troisième strate de sept niveaux aux couleurs de l’arc-en-ciel", "un soleil gros comme la terre flottait à quelque distance au-dessus du fleuve"), du mouvement ("les arbres s’enfonçaient dans le sol", "Awlimba traversa", "…sur une berge que baignait un fleuve écumeux, tumultueux, coléreux", "le ventre de la terre se referma"), des personnages et des langages ("Awlimba : quel est ce monde étrange dans lequel je me trouve ?", " sept hommes", "la vieille femme", "pour caresser de la main le ventre et le visage de ce soleil"), un temps("la nuit"), un espace ("le souterrain") et toute une organisation par stratification, témoin d’un scénario bien ficelé. Même Jules VERNE, le scientiste fictionniste de l’écriture, n’aurait pas fait mieux, fussent-ce avec son Voyage au centre de la terre, Ses Mille lieues en-dessous de la mer et De la terre à la lune. En réalité, Maurice BANDAMAN, tout comme Jules VERNE, nous propose de la science-fiction, à l’effet de délasser l’entendement rouillé par la morosité du quotidien. C’est, entre autres, la vocation de l’écriture poétique, écriture de cure spirituelle. En gros, quelle notion abstraite aux traits de vertu morale ou intellectuelle s’anime ainsi ? Certainement, Le culte de l’esprit humain aspirant aux techniques de méditation profonde, en vue d’échapper à la grossièreté corruptrice des apparences premières ou à la superficialité intellectuelle monotone. La poésie, sacerdoce du mot, est un discours non ordinaire et invraisemblable, offrant un répertoire de significations profondes, transcendant les sens premiers et entretenant l’esprit.

     

    Intéressons-nous maintenant à cette autre séquence du récit ; un acte sexuel conjugal qui, par accoutumance, aurait dû s’inscrire dans le sceau de la banalité ordinaire, devient objet d’émeute, au point de tirer tout le village de sa quiétude douillette. Conséquemment, les riverains pensent à une bastonnade, autrement, à une attaque meurtrière, du genre de l’actualité que nous donnent à vivre les diverses formes d’extrémisme de nos jours. Et ce n’est que l’esquisse musclée d’un présumé secourisme qui dévoile le fait, non divers, d’un acte sexuel hors du commun. Cette scènes de pudeur qui aurait dû embarrasser les consciences pudibondes, suscite plutôt un empressement de solidarité au chevet de N’juaba, la suppliciée. Apprécions cette sélection de phrases qui relatent le calvaire : "L’accouplement ne fut pas aussi aisé que Awlimba l’espérait car son sexe vibrait dans celui de sa femme", "une douleur, aiguë comme une pointe qui traverse un corps parcourut son membre et, quand il éjacula, il embrasa la matrice de sa femme qui hurla, éveillant toute la maison", "Qu’as-tu fait entrer en moi ? Pleurait-elle", "Et elle se contorsionnait, noyée par la douleur, roulait sur les côtés, se débattait tel un animal égorgé, était en transe", "Oh ! je vais mourir ! Quelle douleur ! un incendie brûle en moi !", "La douleur continuait d’embraser les entrailles de N’juaba. Elle gémissait, faisait claquer les dents, frappait ses pieds et ses bras contre le mur", "Qu’est-ce qu’il a introduit en moi ? Qu’est ce qu’il a introduit en moi ? Qu’est ce qu’il a introduit en moi ? répétait-elle", "Quoi qu’on fît pour apaiser la douleur, N’juaba souffrit et hurla pendant sept jours et sept nuits"( pp. 29-31.) L’on se croirait, ici, à une scène de bastonnade d’un récidiviste promis à la peine capitale. La tradition hébraïque, à travers l’exégèse biblique, nous fait part du récit de tels calvaires, à l’exemple patent de la passion ou de la crucifixion du Christ. Trouver de la douleur dans une arène qui, initialement, se prédispose au sacerdoce missionnaire. C’est l’enseignement que nous donne à assimiler le texte poétique, texte missionnaire, de vision abyssale et lointaine, qui, dans le plaisir de l’esthétisme des mots, se heurte à la persécution, au mépris et à l’agressivité des non initiés. La création poétique a souvent déploré ce désastre social dont le genre est l’objet3. Bien à propos, l’acte sexuel décrit est le premier que connut le couple après l’initiation du mâle Awlimba, c’est-à-dire, le premier contact intime quand il est revenu du pays des mystères. Consubstantiellement, Paul VALERY soutient que la poésie est une danse des mots sur place. Il s’agit d’une complaisance lexicologique insouciante, plaisante et jouissive, née du magnétisme entre les mots, dans le pacte significatif de l’interdépendance structurelle, au nom de l’intuition créatrice du poète. De l’entendement des profanes, ce projet linguistique d’initiation est un choc, un blasphème, un anticonformisme, un scandale public, périclitant dans le parjure. L’attitude des curieux et parents d’Awlimba, menaçants, presque, déchaînés et acharnés aux portes du couple en exécution, en dit long sur la question :

     

    « La cour d’Akandan, le père d’Awlimba s’emplit de curieux que les pleurs de N’juaba avaient attirés malgré la nuit noire

    Les interrogations et les commentaires fusaient pendant que, dans sa chambre, le couple

    tentait de garder son aventure secrète. Mais les coups assenés à la porte par Akandan et

    Assoman et les pleurs de N’juaba obligèrent Awlimba à l’ouvrir. Akandan saisit son fils,

    le gifla.» (p. 30)

     

    On assiste, là, à toute une ambiance de scandalisassions de gens outrés par l’inacceptable. La poésie est cette "aventure secrète" pas vraiment acceptée par le grand public qui le boude, au demeurant. La poésie est cette "aventure secrète", ce langage chatoyant et berçant, initiatiquement conçu et dont les techniques de décodage repoussent et provoquent exaspération courroucée chez les non initiés, en raison d’une impéritie pertinente à pénétrer les mystères du texte. Il s’avère que le poète jouit d’un art qui tombe dans le psychisme du profane comme une grotte de pierre enflammée : " Quand il éjacula, il embrasa la matrice de sa femme qui hurla". L’apocalypse de la douleur ici ressentie est celle de toutes les sociétés initiatiques négro-africaines et, peut-être, du monde, où le bonheur, sous sa facette d’élévation, d’affranchissement, d’illumination et d’accomplissement, porte le casque du malheur, sous sa déclinaison d’épreuves torturantes. Et, dans ce cycle d’épreuves, la parole, notamment, la parole sublime et irradiante, revêt une importance de premier plan. Dans la société moré, c’est, essentiellement, ce qui lie le Ben’Naaba, le maître initiateur, à ses disciples. Par allégorie, au plan artistique, donc, « L’Homme et la bête », texte d’ouverture d’Ethiopiques de SENGHOR , peut illustrer la vérité établie :

     

     

    LHOMME ET LA BÊTE

    (pour trois tabalas ou tam-tam de guerre)

     

    Je nomme Soir Ö Soir ambigu, feuille mobile je te nomme

    Et c’est l’heure des peurs primaires, surgies des entrailles d’ancêtres.

    Arrière inanes faces de ténèbres à souffle et mufle maléfiques !

    Arrière par la palme et l’eau, par le Diseur-des-choses-très-cachées !

    Mais informe la Bête dans la bouse féconde qui nourrit tsétsé stegomyas

    Crapauds et trigonocéphales, araignées à poisson caïman à poignards.

     

    Quel choc soudain sans éclat de silex ! Quel choc et pas une étincelle de passion.

    Les pieds de l’Homme lourd patinent dans la ruse, où s’enfonce sa force jusques à mi-

    jambes.

    Les feuilles les lient les plantes mauvaises. Plane sa pensée dans la brume.

    Silence de combat sans éclats de silex, au rythme du tam-tam tendu de sa poitrine

    Au seul rythme du tam-tam que syncope la Grande –Rayée à senestre.

    Sorcier qui dira la victoire !

     

    Des griffes paraphent d’éclairs son dos de nuages houleux

    La tornade rase ses reins et couche les graminées de son sexe

    Les kaïcédrats sont émus dans leurs racines douloureuses

    Mais l’Homme enfonce son épieu de foudre dans les entrailles de lune dorées très tard.

    Le front d’or dompte les nuages, où tournoient des aigles glacés,

    Ö pensée qui lui ceint le front ! La tête du serpent est son œil cardinal.

     

    La lutte est longue trop ! dans l’ombre, longue des trois époques de nuit millésime.

    Force de l’Homme lourd les pieds dans le potopoto fécond

    Force de l’Homme les roseaux qui embrassent son effort.

    Sa chaleur la chaleur des entrailles primaires, force de l’Homme dans l’ivresse

    Le vin chaud du sang de la Bête, et la mousse pétille dans son cœur

    Hê ! vive la bière de mil à l’unité !

     

    Un long cri de comète traverse la nuit, une large clameur rythmée d’une voix juste.

    Et l’Homme terrasse la Bête de la glossolalie du chant dansé.

    Il la terrasse dans un vaste éclat de rire, dans une danse rutilant dansée

    Sous l’arc-en-ciel des sept voyelles. Salut Soleil-levant Lion au- regard-qui-tue

    Donc salut Dompteur de la brousse, Toi Mbarodi ! seigneur des forces imbéciles.

     

    Le lac fleurit de nénuphars, aurore du rire divin4.

     

     

    Ce texte présente un combat des plus palpitants entre un être humain et une bête, non identifiée, sous le rapport de son espèce. Cette imprécision théorique fait de l’entité désignée la conceptualisation des difficultés et adversité de tous genres, rencontrés dans la vie ; la majuscule de la première lettre du mot "Bête", qui, dans toutes ses occurrences, ne se trouve pas en début de phrase, y végète. Cet antagonisme, initiatique, du reste, se présente comme le passage obligé pour l’accomplissement de l’individu. Du vers1 au vers 15, on note le vent en poupe de la Bête, ascendante sur l’Homme. Et du vers 15 au vers 31, c’est l’opération de la dialectique, ponctuée par la victoire de l’Homme. Apprécions les champs sémantico-lexicaux suivants : – Le combat : "choc", " éclat de silex", "Des griffent paraphent d’éclairs", "enfonce son épieu", "la tornade rase ses reins", "poignard", "sorcier qui dira la victoire", "enfonce sa force jusqu’à mi-jambe", "force", "terrasse"… – La cérémonie d’initiation : "pour trois tabalas ou tam-tams de guerre", "rythme du tam-tam", "un long cri", "chant dansé", "danse rutilant dansée", "diseur-des choses-cachées"… – La parole poétique : "Diseurs-des-choses-cachées", "rythme de tam-tam", "clameur rythmée", "un long cri", "sept voyelles", "glossolalie du chant dansé", "étincelle de passion"… À la lecture de ces trois tableaux, le moins qu’on puisse dire, c’est que le texte traiterait d’un combat dans lequel la parole, précisément, la parole initiatique, aurait valeur cardinale. Un constat important, c’est que les deux derniers champs sémantico-lexicaux (la cérémonie d’initiation et la parole poétique) ont un bon nombre de constituants symétriques. L’interprétation peut en être sans ambages ; la cérémonie d’initiation dont il est question, ici, serait la cérémonie d’initiation à la parole poétique elle-même. C’est grâce à cette parole dont l’Homme est intelligiblement doté qu’il est parvenu à triompher de la Bête. À travers les scènes de psychodrame véhiculées dans Le-fils-de-la-femme-mâle, donc, on discernerait que la poésie est cette parole mystérieuse, souvent choquante, jouissive pourtant, qui délivre et aide à la délivrance ; l’enfant mystérieux fantastiquement né des entrailles de N’juaba apportera le sésame de la paix et de la prospérité sociale.

    En outre, le processus de mutation de la vieille femme repoussante en jeune fille romantique puis en vieillard, en apporte à l’exégèse poétique. En effet, un homme parti à la chasse, se retrouve dans un monde étrange où il rencontre, comme par enchantement au bord d’un fleuve, une vieille femme pouilleuse aux contours dégueulasses et navrants, dont la langue trainait jusqu’au sol. Elle lui demande de lui lécher une plaie d’une audience très peu courante, condition pour qu’elle en soit guérie. Quand il finit de s’exécuter, non sans avoir lutté contre lui-même, elle lui intime l’injonction du même exercice sur sa chevelure en guenilles malodorantes. Quand il réussit le test, la vieille femme propose à son néophyte de fermer les yeux puis de les rouvrir par la suite. À la place de cette créature affreuse, il en voit une autre, une jeune fille lumineuse et attirante, contrastant spectaculairement avec la première. Quand après plusieurs péripéties, elle lui livre le secret de l’initiation, elle disparaît et fait place à un vieillard dont il est dit que "la barbe pouvait s’enrouler sept fois autour du monde». Il avait pour tâche de faire traverser le fleuve à Awlimba, dans l’optique de son retour dans le monde normal. Seul un texte échappant au degré zéro de l’écriture, celui de la communication vraisemblable, sensée et conformiste, et occupant un rayon de la poésie, peut prédisposer le lecteur/auditeur à accepter l’équation "vieille femme= jeune fille=vieillard" ou Laideur=Beauté=Sagesse". On objecte, de ces équations singulières, les enseignements qui sont ceux de l’art poétique :

    • Trahir le sens de base des mots, de sorte à n’en tirer que des connotations, significations ou symboles ;

    • Détruire ou déstabiliser l’ordre des évidences, de sorte à rendre perméables les champs lexicaux non fermés, de façon étanche, les uns à l’égard des autres ;

    • Créer des passions folles et sensations fortes, de sorte à se sentir arracher à l’horizontalité pour migrer vers la verticalité.

     

    Ferdinand de SAUSSURE a peut-être sujet de dire que le signe linguistique unit, non une chose et un nom, mais un nom et une image acoustique. Et Aristote de renchérir que « Le mot chien ne mord pas. »5 C’est de ce postulat portant sur l’arbitraire du signe linguistique que nait l’imaginaire de la création poétique ; un mot pouvant, en poésie, désigner une réalité autre que celle qu’on lui reconnaît conventionnellement, de sorte à dégager des unités de signification non ordinairement reconnues à sa réalité initiale ou naturelle, sinon, à son référent conventionnel . C’est l’une des manifestations du creuset de bouleversements inaliénables à l’institution d’une esthétique poétique. En d’autres termes, le nom, en tant que signe linguistique reclus à l’abstraction et à l’arbitraire, peut désigner n’importe quelle réalité, c’est-à-dire qu’il n’est pas mécaniquement ou carcérale-ment captif de la réalité à laquelle la mentalité humaine l’affecte. Et c’est en s’appuyant sur ce point ou, mieux, sur ce pacte initial de la conception théorique de l’acte de nomination que l’imaginaire prend son envol.

    Et que dire de la séquence de l’enterrement d’Awlimba ? Un mort qui, dans le cercueil, est maître de ses porteurs et du cortège funèbre, disparaissant et apparaissant, à sa guise, agitant et apaisant ses porteurs. En Afrique noire, le mort, non seulement, n’est pas mort, donc, fait partie du décor ambiant des vivants, mais, est un vivant de niveau supérieur et qualitatif. En effet, le mot poétique est un mot supérieur. Quand il meurt, par son auto-sacrifice sémantique, il renaît splendidement dans le monde des significations et des mystères où il gagne en animation vitale, gravite, de façon virtuose, l’espace des morts(le monde supérieur de la poésie) et l’espace des vivants, surclassé par le premier dont il est l’exécutant servile, selon ses intérêts intellectuels ponctuels.

    Le schéma suivant peut bien synthétiser tout ce parcours de symbolisation.

     

     

    Selon toute vraisemblance, le mot à l’état naturel, est pauvre. L’état naturel du mot est celui de la locution usuelle, celui où le mot est rivé aux normes ou aux pesanteurs axiomatiques de la langue ordinaire, celle de la communication sociale, se faisant l’écho des besoins que commandent la rationalité et les nécessités existentielles. Pour échapper à cette léthargie linguistico-culturelle et spirituelle, le mot, outil d’œuvre du poète, se sent attiré par le monde de l’initiation auquel est psychiquement lié l’artiste du verbe, être à l’esprit sensible et métaphysiquement lié. L’initiation du mot est interchangeable au conflit ou au malaise structurel vécu dans le contexte linguistique nouveau. Du creuset de l’épreuve, il sort enrichi, métamorphosé, muni de sens nouveaux indénombrables, fertilisant ainsi l’esprit humain. C’est le sort d’Awlimba Tankan, roi prospère, sage et charismatique, retour incarné, produit ou aboutissement personnifié de l’ascendant Awlimba qui, de son état d’existence pauvre et monotone, a vécu, dans l’espérance de voir se bonifier sa situation sociale et intellectuelle, les horreurs et tourments de l’initiation, à la faveur d’une partie de chasse insolite.

     

     

    II – Les images du récit

     

    L’image est un canon structurel essentiel dans l’art d’encodage de l’inspiration poétique. Elle systématise, non, l’être, mais, le reflet de l’être. Elle indique, non, le phénomène, mais, l’aperçu du phénomène, dans l’ordre d’une schématisation sobre et abstraite.  Ainsi, de cette esquisse de configuration, se dégagent trois enseignements sur l’image : le non substantialisme ou abstraction, le facteur économique, la supposition ou le virtuel. En gros, dans la pratique de l’image en tant qu’élan naturel d’un vécu psychosocial, le réel s’offre, non dans sa nudité tangible et exhaustive, mais, plutôt, dans un microcosme didactique et purement intelligible. Ici, le réel se révèle dans un angle processuel quelque peu déformé, et c’est d’ailleurs ce qui en fait un jeu d’esprit prisé des créateurs dans divers domaines d’activité dont le cinéma, la photographie, la peinture, l’art plastique… Nous en proposons, dans cette analyse, l’expérience linguistique. Et c’est le genre poétique qui, du fait qu’il célèbre le langage de création, en est l’archétype. Dans cette discipline de connaissance scientifico-artistique, c’est le mot, outil de création du poète, qui est le réceptacle des dispositions identitaires de l’initiation de l’image comme édictées plus haut. Dans le cadre, donc, de l’image poétique, le mot est creuset d’assimilation ou de transfert sémantique, rançon inaliénable pour la consécration de l’abstraction, de l’économie et de la conjecture, liées au mode d’expression.

     

    Le fait est que le contre-pied semble en être pris dans le cas précis de l’image du récit. sans nier, bien entendu, les fondamentaux de l’acte stylistique développé. La vérité, c’est que, l’esprit du Négro-africain, très peu porté vers les notions abstraites taxées d’accuser une vacuité au plan utilitaire expérimental, s’édifie mieux par les figurations scéniques, connecté qu’il est à la vraisemblance du quotidien contextuel. Dans Le fils -de-la-femme-mâle, cela se perçoit, entre autres, par la traduction littérale de certaines particularités stylistiques tirées du Baoulé, langue d’origine culturelle de l’auteur et de son texte. De façon illustrative, dès l’annonce de la mort d’Awlimba, les amis, parents, connaissances et autres compatissants, se retrouvèrent à la cour du deuil, la nuit. Voici comment le narrateur décrit cette espèce de chorale de pleurs généralisés : "Les pleurs couvrirent la nuit" (p.41). Ainsi, ce propos laconiquement lâché donnerait l’impression , sinon, inspirerait la scène selon laquelle les pleurs qui ne sont que des cris d’abattement psychologique, constituent une sorte de voile animé d’une vie particulière et qui se mouvrait, au point d’envelopper, d’emmailloter ou de draper la nuit qui, elle, est pourtant une entité non tangible, non palpable, parce que non matériellement constituée. Ainsi, la nuit, étrangement devenue corporelle ou matérielle, ici, bénéficierait d’une protection ou d’une couverture, comme des mains bienfaitrices le feraient d’un être corporellement désemparé ou dénudé. La nuit, espace temporel de la soirée qui abrite ce triste événement, en plus de l’incertitude qui lui est inhérente, serait cet être de fiction rendu nu par un sort tragique qui le marque : la mort. Sans pudeur, donc, la mort spolie la nuit de l’une de ses références initiatiques : Awlimba, fils d’Akandan. En outre, il y aurait dans la phrase "Les pleurs couvrirent la nuit", l’idée d’une fortification des états d’âme fragilisés en cet instant de fatalité ; le ton vibratoire des pleurs coordonnés faisant foi, soit d’une étoffe qui, sous le rapport atmosphérique, serait d’une chaleur réconfortante, soulageant un corps engourdi par la fraîcheur. Même si, ici, le réchauffement présenté est d’ordre moral, psychologique, mieux, psychique. En somme, la phrase "Les pleurs couvrirent la nuit", au plan de l’énonciation, donne au narrateur de faire l’économie de la description d’abondants pleurs, certainement, aux allures mouvementées et dramatiques comme il est d’usage en pareil événement dans les contrées traditionnelles négro-africaines. Le narrateur, donc, en faisant cas, tacitement peut-être, de cette vision du monde des Akan, groupe ethnique auquel appartiennent les Baoulé de Côte d’Ivoire, étale des trouvailles stylistiques originales. Par exemple, à la page 43, on découvre un personnage du verbe, Nanan Yablé, bien à propos qualifié par le narrateur de « poète au verbe de feu, dont la magie oratoire enduit de miel le cœur des morts et les décide toujours à partir à Blôlô-la cité des morts. » On eut recours à ce dernier pour persuader l’âme d’ Awlimba à quitter le village. Et comme le dit si bien le narrateur, « les Akans le savent. Ils savent qu’un homme tué dans la force de l’âge ne quitte pas aussi facilement sa cour pour aller derrière les maisons , dans sa tombe. » Ainsi, dans le récit de ses incantations, on peut lire des images toutes aussi intrigantes qu’émotives. Awlimba Tankan, l’ascendant, y est ainsi présenté :

     

    «  Toi Nanan N’san au nom d’homme qui est Awlimba

    Toi qui éteignis le jour pour précipiter la nuit

    Quand tu avais soif de conquêtes amoureuses

    Ou étais brûlé par l’envie de te rendre à la chasse

    Toi qui avalais la nuit quand elle était trop longue

    et crachais le jour pour te rendre dans les champs » (p. 45)

     

    Dans cette stance, des expressions purement idiomatiques et tirées de nos langues africaines interpelleraient tout entendement formaté aux langues occidentales et la civilisation que ces dernières représentent. En effet, les phrases ou membres de phrases "Toi qui éteignis le jour pour précipiter la nuit" , "Toi qui avalais la nuit…", "et crachais le jour"…, dévoilent la démiurgie d’un être aux pouvoirs mystiques particuliers et qui, à volonté, en imposerait au temps, s’il n’en est pas maître ; sans scrupule, il déciderait, cet être, de l’occurrence des différentes phases de la journée (« la nuit », « le jour ») au mépris de la durée naturelle prévue pour chaque phase et dont les concepts scientifiques d’équinoxe et de solstice, donneraient une impression de modification. Cette posture d’autorité inestimable et sans borne renvoie à des propos bien typifiés qu’on lit ordinairement d’enseigne universelle, presque, dans le livre de la Genèse issu de la tradition hébraïque : « Que la lumière soit ! Et la lumière fut », « Qu’il y ait des luminaires dans l’étendue du ciel, pour séparer le jour d’avec la nuit »… De toute évidence, la poésie est créatrice d’images, et le poète, maître des choses et des phénomènes, est initiateur de monde, par le pouvoir de la parole révélée, transcendentalement inspirée. Dans cette verbalisation de la puissance, l’expression phrastique de Nanon Yablé "Toi qui éteignis le jour pour précipiter la nuit" figurerait que le jour, phase de la journée bénéficiant de l’éclat d’un grand luminaire, le soleil, ne serait semblable qu’à une petite flamme, celle d’une bougie, par exemple, qu’on se plairait à éteindre par le biais d’un petit souffle émis de la bouche. En tentant de recouvrer la lucidité, on réalise que le « poète au verbe de feu » nous fait lire ou entendre une incongruité référentielle, de l’ordre du totalement inadmissible. D’objectivité, le jour est une durée de plusieurs heures, s’étendant de l’aurore au crépuscule, soit douze heures. Que cette longue durée de lumière solaire soit interrompue ou supprimée, presque, par la vertu désinvolte d’un petit souffle, inspire un chaos psychique. Patrick BACRY formule un commentaire sensé sur ce genre de procédé stylistique : « Or, tout écart par rapport à la norme attire l’attention(de l’interlocuteur, du lecteur), et a pour but d’être frappant-but souvent poursuivi dans la conversation courante comme dans le cadre littéraire, … D’ailleurs, le côté frappant peut n’être lui-même qu’au service d’une autre recherche, humoristique, par exemple, ou bien encore purement esthétique. »6 Ainsi, le but de toute littérature, poétique essentiellement, qu’elle soit écrite ou orale, est de produire un effet saisissant, effet saisissant sans lequel l’inscription d’une esthétique ne serait qu’un dessein utopique. Opportunément, André BRETON, chef de fil des surréalistes, s’écrie en ces termes, à la fin de son œuvre Nadja : « La beauté sera convulsive ou elle ne sera pas. »7 À la différence que, dans le propos de Nanan Yablé, l’image qui s’assimile au procédé stylistique ici, est assuré, non par le mot, mais se confond à une esthétique créée par un fragment de récit en tant qu’art littéraire de la description d’un contexte de vie ou de civilisation, avec son corollaire structurel ou syntaxique de SUJET+VERBE+COMPLÉMENT. C’est que, dans la mentalité négro-africaine, le jour serait comparable à un éclat ou à une luminosité, comme la flamme d’une bougie, selon la didactique choisie ; la flamme de la bougie (le comparant) et la lumière solaire(le comparé) ayant en commun la claire visibilité et la relative chaleur. L’éclat indiqué ne serait que tributaire d’un être invisible, plénipotentiaire, et qui, s’il veut le supprimer, n’y appliquerait qu’un petit souffle. Corrélativement, le temps du jour qui s’assombrit en prélude à un orage, est comparable à ce souffle mineur reçu par la flamme de la bougie qui, pour cela, serait en voie de s’éteindre. De façon idoine, s’éjectent les expressions suivantes, extraites de la même stance : "précipiter la nuit", "avalais la nuit", "crachais le jour" ; "avalais la nuit" au sens où la nuit serait perçue comme intrusion matérielle obscure, donnant à une vision trouble, et qui aurait indûment assailli une lumière candide. L’avaler, donc, par alchimie, c’est faire apparaître le jour, le libérer, dans un certain sens ; "cracher le jour" au sens où l’apparition de la lumière du jour serait assimilable à l’aboutissement d’un processus consistant à faire passer un spectacle, la vie et ses composantes animées, de l’enfermement du néant à l’ouverture de l’existence, s’offrant ainsi subitement mais distinctement au sens de la vue. En clair, la convulsion, le bouleversement ou l’effet saisissant, rançon de beauté littéraire, est, ici, d’ordre, non lexico-esthétique, mais, plutôt, référentiel.

     

    L’onomastique, dans Le fils-de-la-femme-mâle , est une autre poche de manifestation de l’image du récit, conformément à la théorisation que nous tentons de lui associer. En effet, l’onomastique s’y appréhende comme un riche ancrage de la catégorie de l’image analysée. On pourrait la concevoir, tout simplement, comme la logique des noms propres, logique culturellement motivée. Contrairement à la civilisation occidentale où le nom est un signe statique, abstrait et inerte, de l’ordre exclusivement d’une étiquette de marque d’identification, dans la civilisation africaine, de préférence, le nom est tout un foyer culturel, un repère évocatoire sociologiquement et historiquement motivé, quand il n’indique pas une ambiance du décor naturel. On passe, donc, du statisme au mouvement, de l’abstrait au concret animé, par ricochet, du mot au récit. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en Afrique noire, le nom offre l’occasion d’une littérature de scène. Il s’agit d’une littérature empreinte d’émotivité et qui charrie les relents et stigmates de la poésie en tant qu’art du langage émotionnel. Le fait est que le nom négro-africain étend ses tentacules jusqu’aux frontières du spirituel au point de déterminer le sort de l’individu qui le porte. L’anthropologue et structuraliste français Claude LEVI STRAUSS, le note, de façon avisée, dans son ouvrage Mythologiques II : « Dans la mentalité négro-africaine, le nom est une métaphore de la personne. »8 Il faut en entendre que le nom négro-africain, non seulement, est pénétré d’enseignements et d’un vécu de tous ordres, mais, en plus, que son contenu sémantique est en relation avec l’aura ou le profil de son porteur. En d’autres termes, la signification du nom négro-africain détermine l’existence de la personne à qui il est attribué. Et la poésie, élan de création de paroles d’émotions allant au-delà des apparences premières, est spirituellement liée et s’harmonise avec quelque notion imbibée de spiritualité. L’onomastique, dans Le fils-de-la-femme-mâle, s’observe sous deux aspects : les mots uniques, d’une part, et les syntagmes constitués par les traits d’union, de l’autre.

     

    Awlimba et Bla Yassoua, personnages essentiels du texte, seront la matière des mots uniques. Awlimba relève du Baoulé ; il signifie, selon que l’auteur le dit en note, " Qui a un cœur de roc et ne recule devant rien." La hargne, le courage et l’opiniâtreté, sont les attributs des citoyens de la caste des chasseurs qui ont coutume d’affronter les bêtes féroces et autres hostilités intempestives de la brousse. C’est sans surprise, donc, que Awlimba, réagissant aux appréhensions de sa femme, affirme avec beaucoup de contenance au sujet d’une panthère qu’il a, à la faveur d’une partie de chasse, neutralisée : " …je l’ai abattue… Et je n’avais pour unique arme qu’une flèche. Avec mon fusil sur mon épaule, aucun animal ne peut se dresser sur mon chemin." (p. 17). La poésie, langage d’exception, se plaît à exprimer ce genre d’exploits, prouesses ou merveilles, devenus banals, pourtant, du fait de la quotidienneté de l’évocation du nom du personnage dans son cercle de vie. C’est est peut-être le signe que la poésie, langage d’élitisme et de navigation aérienne, certes, est incrustée dans la vie de tous les jours. Dans le vocable "Qui a un cœur de roc", se trouve un terme métaphorique, "roc'', relevant de la terre ou, mieux, du minéral, et se substituant au cœur, organe humain vital. Le personnage Awlimba, donc, conformément à son état d’esprit, ses attitudes et agissements, véhicule le sémantisme de l’intrépidité, de l’irrésistibilité, de l’inaltérabilité, de la rudesse ou de la dureté. Lesquels attributs, le hissant au rang d’un être surnaturel, ont permis à Awlimba d’abattre la panthère et d’affronter, à une autre occasion, les mystères de l’initiation. À juste titre, la poésie, aptitude linguistique voguant dans l’onirisme, apparait comme une mythologie. Le mécanisme intellectuel inhérent à la création artistique dans l’acte de nomination, que nous venons d’exposer, est valable pour les personnages dont les noms suivent : Monsieur N’kpétré, « Je tranche les têtes », l’un des multiples courtisans ou soupirants de la belle Atomoli qui fut, plus tard et de façon brève, la dulcinée d’Awlimba Tankan, l’enfant mystérieux. N’kpétré est magistrat et il est dit de lui que ses lèvres sont impitoyables quand il s’agit de prononcer des condamnations à mort. Au nombre des soupirants d’Atomoli, on compte un médecin, le Docteur Awhié, « la mort ». Il semble que des individus aient été ramenés de la mort à la vie par ses soins. (P. 112).

    Enfin, l’on note les syntagmes ou mots composés par la vertu du trait d’union qui réduit tout un syntagme entier en mots uniques. Au plan référentiel, donc, l’être humain, systématisant tout un univers d’émotivité, devient, conformément à l’essence de la poésie, un microcosme vivant, la représentation d’un monde suggéré ou virtuel. Lisons les noms suivants :

     

    "La danse des hommes- pour- qui- la- mort- est- un- frère" (p. 59) ;

    Azamlangangan-le-génie-dont-les-pieds-touchent-le-fond-des-mers-et-la-tête-

    caresse-le-nombril-du-ciel" (p. 97) ;

    "Le- poète- qui- nage- dans- la- conscience- du- peuple" (p.101) ;

    "Le poète qui vit dans le ventre du peuple" (p. 101).

    "Le fils-de-la-femme- né-de-deux-femmes" (p. 184).

    "des- boit-soif"(p. 72).

    "le-chemin-d’où-l’on-ne-revient-jamais" (p. 109).

     

    Il y a, ici, comme une tentative de faire de l’être le reflet animé d’une biodiversité. Le volet économique de l’expression inhérent au mécanisme de l’image peut donner l’impression d’y disparaître, mais il est bel et bien présent, au regard de l’intensité de la situation dramatique, synthétisée.

     

    Résolument, l’image du récit est basiquement une image de construction linguistique, comme on en voit dans les schémas stylistiques de nos expressions ordinaires et bien renforcés par le langage poétique. Sous ce rapport, elle observe les indices qui balisent l’image : sobriété ou économie de l’élocution, transfert ou assimilation du mot à un sens « exotique », abstraction liée à l’imaginaire parfois épique… Seulement, l’image du récit a ceci de particulier que les dispositions énoncées de l’image sont élaborées, non par la virtuosité esthétique du mot, mais, essentiellement, par l’art du récit lui-même avec ses identifiants de vraisemblance dans l’expression, structurellement ressenti dans l’unité syntaxique SUJET+VERBE+COMPLÉMENT, soutenue par la présence des données sémiotique de la narratologie que sont, entre autres, espace, temps, intrigue, situation initiale et dénouement…qui sont, dans le cadre-ci, empreintes de mythologies ou d’imaginaires. Consubstantiellement, l’indice majeur de l’image du récit, c’est la formulation d’une vision du monde.

     

     

     

    III - La rythmique de l’initiation

     

    La rythmique ou logique du rythme assure la vertu de l’animation du texte, en plus d’être interpellatrice et productrice de sens, du fait d’une répétition presqu’agressive et ânonnante, arrachant l’esprit à l’objectivité de la communication ordinaire et utilitaire. Dans les cercles initiatiques, la rythmique, indépendamment même de sa contribution à l’encodage poétique, est d’une qualité pédagogique indéniable. Dans le cadre du langage poétique, il y a que l’envoûtement de l’émotivité, intellectuelle s’entend, se surimpose au présupposé pédagogique notionnel, non négligé, toutefois. Si, dans la conception occidentale, la rythmique se conçoit par l’entremise de phonèmes, soit de rimes, soit syntaxiques, par l’entremise des syllabes et des mots, l’imaginaire narratif négro-africain, en revanche, nous propose une rythmique narrativement liée et ancrée dans l’initiatique. Le sacré qui, évidemment, est corollaire à l’initiatique, est le propre de ce rythme qui, entre autres, rappelle à notre psychisme les préceptes inviolables de la morale naturelle ou de la vie sociale enseignés au néophyte dans l’instant d’une initiation où la parole bien entraînée joue un rôle majeur. Dans ce sens, nous aborderons la rythmo-pédagogie, la rythmique de l’endurance psychique, la rythmique de l’incantation et, enfin, la rythmique à parenté structuraliste.

    L’on doit à Wêrê Wêrê Liking, dans Une vision de Kaïdara9, l’initiation du concept de rythmo-pédagogie, propre à la parole africaine. La rythmo-pédagogie consiste à s’attarder sur des formules à contenu éthique qui, tacitement peut-être, structurent le texte de quelque façon. C’est, précisément, des genres de refrains ou de formules sentencieuses ou mystérieuses que l’auteur retranscrit fidèlement, du fait qu’elles sont des rhétoriques patrimoniales, sinon, des rhétoriques de la conscience collective ou universelle. Ces propos, donc, laconiques, très souvent, contiennent des principes fondamentaux de la vision traditionnelle du monde. Dans Le Fils-de-la femme mâle, c’est par exemple ce que l’on rencontre à la page 42 dans le discours d’Awlimba s’adressant fatalement à son mystérieux de fils : « Tu nais et moi je meurs.» Au plan de la cadence musicale, cela donnerait 1 2 / 1 2/ 1 2/. Cette structure à relent chiasmatique, au nom du croisement sémantique entre la ligne des sujets et celle des verbes, chaque ligne étant antithétique en elle-même, relate la récurrente vérité naturelle qui rythme l’existence et qui est rappelée ici à l’entendement du lecteur /auditeur ; pendant que des êtres humains naissent, d’autres êtres humains meurent. En d’autres termes, pendant que des êtres humains arrivent au monde, d’autres en partent. Dans le cas précis du texte de BANDAMAN, la réalité édictée est revêtue d’un sentiment tragique. C’est qu’après une pénible grossesse portée par sa femme N’djuaba, grossesse de durée non scientifique, Awlimba meurt concomitamment à la naissance de son fils mythologique. Le propos énoncé, donc, marque la fin d’une séquence et le début d’une autre. Ces formules sentencieuses telles que présentées, prennent souvent l’allure des dictons traditionnels constituant un pouls considérable du récit. On les retrouve dans la voix de N’san, interlocuteur d’Akandan scellant une draconienne accusation à l’endroit d’Afonsou, sur la place publique du village qui grouillait de monde : « Quand un lépreux se décide à livrer une bataille contre un bien portant, convaincs-toi qu’il a la main sur une pierre »P62. En effet, le récit de Maurice BANDAMAN, est marqué, en ses temps forts, de paroles similaires : « Quand un homme aime une femme, il la croit faite à son image ; mais trois fois sur quatre, il se trompe. L’œil qui aime est le plus souvent aveugle » (p. 110), « Il est dans la nature des femmes de courir, leur cache-sexe déjà ôté, leurs cuisses entrouvertes, vers des hommes dont le nom couvre le vent. » (p.123), « Toute beauté féminine est pour tout homme un dilemme. La prendre ou ne pas la prendre. Toute beauté féminine est faite pour être prise et être mangée par l’homme. Et l’homme le sait, la femme aussi le sait. En eux coule cette complicité qui est souvent conflit et guerre, conflit et guerre vains, puisque l’homme, toujours, prend et croque la femme belle. » (pp. 125-126). Le moins qu’on puisse dire, c’est que, dans ces passages qui assurent à la rythmo-pédagogie sa quintessence, la sagesse traditionnelle, la vérité naturelle vertueuse ou vicieuse, la morale sociale ou universelle, conjoignent ou se frottent, pour soumettre l’esprit du lecteur/auditeur ou rendre docile, vraisemblablement, le néophyte à former. En effet, le maître initiateur y a recours pour prendre de la hauteur intellectuelle et fixer l’attention du disciple. Ainsi, les formules de la rythmo-pédagogie, investissant les pulsions psychiques existentielles et cimentant l’entendement, créent un déclic intellectuel, de par leur rencontre dans le texte. En un mot, il s’agit d’un rythme qui anime le cours de l’existence, tout comme la respiration et le balancement des bras rythment la vie biologique. À ce propos, RILKE aurait sujet de dire de dire que la respiration a été le berceau du rythme10. L’enjeu de la rythmo-pédagogie, tel que le vocable l’indique, est purement pédagogique : user du rythme en guise de technique de fixation d’un enseignement dans la mémoire, une sorte de mnémotechnique, pourrait-on dire.

    Une autre catégorie de la rythmique de l’initiation, est celle que nous tentons d’initier et que nous permettrions de désigner par l’expression « rythmique de l’endurance psychique », très particulière, celle-là. La rythmique de l’endurance psychique est l’élan d’une absurdité chronique qui s’étend sur de longues pages, tenant ainsi en haleine le lecteur/auditeur dont l’intellect se trouve suspendu à la soif de découvrir l’issue d’une scène qui échappe aux postulats des sciences sociales, des sciences de la nature, de la chimie, de la physique et des mathématiques. Deux pans du récit illustreront cette théorie : la durée de la grossesse de N’djuaba, d’une part, et, de l’autre, la narration de l’attitude du fils-né qui remet en cause les principes, habitudes et savoirs de l’existence terrestre.

    Le récit de la durée de la grossesse de N’djuaba (vingt et un mois) s’étend de la page 29 à la page42, soit sur treize pages ; on passe des traitements traditionnels formalisés par les soins naturels et les consultations mystico-magiques, à la virée vaine chez le chirurgien en clinique, jusqu’à ce que, sur les injonctions d’Afonsou et d’Akandan, le père de l’initié, Awlimba livre le secret de l’origine occulte de cette grossesse. On peut retrouver dans les propos des patriarches initiés l’étonnement qu’inspire l’étrangéité de la grossesse de N’djuaba : « De mémoire d’hommes, disaient-ils unanimes, nous n’avons jamais vu une grossesse qui a tant duré. » (p. 132). En tout, vingt et un mois. On dut, après l’aveu d’Awlimba, avoir recours à un spécial rituel exorciste sous la houlette du féticheur Adjonou. Il en ressort, après moult embarras en confrérie, que Awlimba et sa femme soient tués pour éviter que cet enfant étrange ne naisse et ne soit une malédiction pour le village. Se désolidarisant, Afonsou conspire plutôt la mort de N’djuaba par une vipère commanditée qui atteignit, malheureusement, Awlimba qui mourut à l’instant où N’djaba se sentait en train d’être délivrée de cet enfant très peu naturel qu’elle portait depuis vingt et un mois, dans une atmosphère tragique, de stupeur magico-sacrée. Sans aucun doute, ce long schéma d’absurdité difficile épuise l’esprit et essouffle le psychisme. Ensuite, quand l’enfant a trois ans, consubstantiellement à la fin de la réclusion de sa mère, il découvre le ciel, la lumière, le soleil. Avec opiniâtreté déconcertante, il demande à sa mère une échelle pour cueillir le soleil qu’il perçoit comme un beau ballon. La nuit, quand la lune et les étoiles se fixent dans le ciel, il manifeste le désir de déguster les étoiles qu’il assimile à des bonbons succulents. À trois ans, il insiste à être scolarisé et, pire, cinq mois après le début des cours, contre les lois et règlements du ministère de l’éducation nationale. Son insistance dramatique lui ouvre les portes de l’école où, dès le premier jour, il remet en cause les conventions des lettres, chiffres et calculs. Et quand, ahuri et excédé, le maître le chasse de la classe, sa mère, à la maison, le bastonne pour lui intimer l’ordre de retourner à l’école. Pour répondre à sa mère, il brûle ses cahiers, livres et tenues. Aussi étrange que cela puisse paraître, il choisit pour maîtres des animaux. Tout ce schéma d’absurdités conglomérées se déroule, mieux, s’enchaîne à un tel rythme, à une telle célérité de succession que le psychisme du lecteur/auditeur s’en trouverait saturé. C’est le principe fondamental de la rythmique d’endurance psychique.

    Pour sa part, la rythmique de l’incantation est inhérente à une phrase ou à un groupe de phrases se répétant dans la profération ou, mieux, dans le débitement d’une incantation en tant que récit cultuel destiné à se mettre en phase avec le monde invisible par l’invocation quelque peu littéraire des esprits fervents ou d’une divinité quelconque. Très souvent, comme c’est le cas en Afrique traditionnelle, les institutions surnaturelles ou spirituelles invoquées, sont interchangeables à des ancêtres illustres ou patriarches fondateurs, passés outre-tombe et béatifiés, du reste. La page 34 nous en offre un exemple :

     

    « – Nanan Atobla Kwagne !

    Toi qui créas cette confrérie

    Prends cette eau et lave-toi !

    Il plongea encore la main dans le canari, puisa une autre quantité d’eau

    chaude, la déversa sur le sol :

    Nanan Kodogoli Kwao !

    Toi qui le premier acceptas de sacrifier ta mère

    Et de boire dans son crâne

    Prends cette eau et lave-toi !

    Nanan Safé Konnan !

    Toi qui, d’une gorgée, but toutes les épidémies qui frappèrent le village

    et mourus pour sauver la postérité,

    prends cette eau et lave-toi ! »

     

    Ce sont là les propos rituels prononcés par le maître initiateur Afonsou lors de l’initiation du « frère Assamoi » pour intégrer la société secrète du village, en remplacement d’Okoundou. On prend acte de deux passages illustrant, ici, la rythmique de l’incantation ; l’un est variable : « Toi qui créas… » et l’autre est stable, fixe et constant : « Prends cette eau et lave-toi.» Ces deux passages rythmiques ont en commun d’être marqués par la fonction conative du langage consacrant l’adresse à une autorité invisible, mystiquement invitée à changer favorablement le cours des choses. Pour le cas échéant, il est question de faire passer Assamoi, d’un degré intellectualo-spiritualiste, a priori inférieur, à un autre, supérieur. Cette fonction conative, très rythmique, du reste, est signe de fusion, voire, de communion avec Nanan Atobla Kwagne, point focal de l’apostrophe et ancêtre de renom incarné en divinité. Ce faisant, la dévotion qu’assure, avec insistance, la fonction conative « Prends cette eau et lave-toi » est une pertinente invitation à l’endroit d’une divinité tant protectrice qu’agissante. Contrairement aux précédentes catégories de la rythmique de l’initiation, la rythmique de l’incantation est visiblement plus proche de la compréhension ouverte du rythme avec sa notion fondamentale qu’est la répétition, symétriquement ou asymétriquement scandée, provoquant dans le texte une cadence musicale ou une sorte de carillonnement psychologique, mieux, psychique. C’est, donc, une rythmique intime et intégrée au texte qu’elle anime manifestement. La rythmique de l’incantation est très proche du rythme profond de Jean CAUVIN ; la première est cultuelle ou sacrée quand la seconde, elle, est profane.

    Enfin, la rythmique à parenté structuraliste est une rythmique qui fait le joint avec l’intertextualité, étant d’ordre comparatiste, donc. Elle consacre l’unité structurale des textes initiatiques négro-africains se rejoignant en certaines de leurs séquences similaires qui, éveillant l’entendement du lecteur/auditeur, font que ce dernier se sent interpellé à une espèce du déjà vu. Il s’agit, donc, d’une rythmique que ne percevrait que l’homme de culture, visage décliné de l’initié, qui se fait un large écho de la presque quasi-totalité des textes initiatiques négro-africains. Le structuralisme, ainsi que l’établit Claude LEVI STRAUSS, a l’art savant de dégager, d’une série de récits appartenant à une affinité quelconque, des formes de base et des principes de composition communs. Dans ce sens, la disposition intellectuelle dévoilée unifie les textes-cible en une parenté littéraire commune. C’est qu’avec Kaïdara, Soundjata et La légende d’Abla Pokou, Le fils-de-la-femme-mâle conserve des connexions parfois étroites.

    Kaïdara et Le fils-de-la-femme-mâle entretiennent des traits en commun. Dans les deux textes, on observe une linéarité reposant sur une situation initiale marqué par un manque, lequel manque finit par être comblé en fin de récit ou dénouement. Dans le creuset des épreuves initiatiques, Hammadi et Awlimba, les deux néophytes, font l’expérience d’un passeur de fleuve, sauf que chez BANDAMAN, c’est la pirogue elle-même qui fait office de passeur et s’anthropomorphise : « Monte ! lui dit la pirogue. De l’autre côté du fleuve vivent des animaux beaux et gras… » (p. 18). À la fin de l’initiation, c’est un vieillard qui remplit cette fonction : « Je suis chargé de vous faire traverser le fleuve. » (P. 26). Ensuite, attire particulièrement l’attention dans Kaïdara ce vieil homme pouilleux mi-homme, mi-serpent auquel est confronté Hammadi sur le chemin du voyage initiatique, correspondant chez BANDAMAN à la vieille femme d’aspect exécrable et hallucinant, portant une plaie pestilentielle qu’elle demande au jeune et beau chasseur Awlimba de laper, en guise d’une cure qui inspire, à la créature en guenilles, jouissance intense. Chez BANDAMAN, cette vieille femme se mue en jeune fille attirante qui, à son tour, se mue en vieillard. Hampâté Bâ avait, avant lui, entrepris presque le même processus de mutation symbolique du coq en bélier, taureau puis incendie. Ne passent pas non plus inaperçus ces propos exclamatifs au front de la révélation d’un signe ou d’une épreuve à décrypter : « Ohé, Fils des frères aînés de ma mère ! »11 dans le texte d’Hampâté Bâ, et dans Le fils-de-la-femme-mâle, « Eêêêêh !Beau chasseur du pays des vivants, viens par ici »P18. En gros, de Kaïdara à Le fils-de-la femme-mâle, le parcours initiatique est le même : la quête difficile mais passionnée du savoir, qui se solde par l’acquisition de la royauté non demandée. De part et d’autre, Hammadi et Awlimba Tankan, en sont les héros. Et chaque phase d’apprentissage est ponctuée par une réaction verbale sensée du néophyte, marquant une irradiation de la connaissance et confirmant le processus d’accomplissement évolutif du néophyte ; dans Kaïdara : « Une immense lumière jaillit et Hammadi s’écria » ; dans Le fils-de-la-femme-mâle : « Ö Maître qui m’as consacré ton temps durant une année ; sache que le jour où je serai grand, je ferai dresser une stèle sur laquelle je graverai ton nom et immortaliserai… »

    Dans cette ferveur structuraliste, La légende d’Abla Pokou semble être sollicitée. Un seul et déterminant point nous en convainc : l’offrande, par la femme leader, d’un nouveau-né sorti de ses entrailles, au génie de l’eau pour obtenir la délivrance du peuple menacé de mort par le péril du naufrage : « Bla YASSOUA brandit le nouveau-né, le montra au ciel et le lança entre les mains de Mami Watta qui disparut sous l’océan. Et les vagues se turent, et pour la première fois, peut-être même pour la seule fois au monde, tous les océans de la planète cessèrent de gémir et leur surface devint aussi calme et aussi douce que le visage d’une femme qui fait l’amour. »( pp. 147-148).

    Soundjata ou l’épopée mandingue n’est pas en reste, dans cette atmosphère initiatique intertextuelle. On le voit par les dithyrambes du griot le jour de l’accomplissement tardif d’un geste, d’un signe psycho ou sensorimoteur du personnage qu’on peut appeler « le fils de la promesse. » Chez Tamsir Niane, c’est Balla Fasséké, de la caste des griots, qui s’épanche lyriquement le jour de la marche inespérée de Sogolon Djata, fils de Sogolon Kédjou :

     

    « Dans un grand effort, il se détendit et d’un coup il fut sur ses deux jambes, mais la

    grande barre de fer était tordue et avait pris la forme d’un arc. Alors Balla Fasséké cria

    l’hymne à l’arc de sa voix puissante :

    « Prends ton arc, Simbon,

    Prends ton arc et allons-y.

    Prends ton arc Sogolon Djata.

    Place, place, faites de la place,

    Le lion a marché,

    Antilopes, cachez-vous,

    Écartez-vous de son chemin.»12

     

    Chez BANDAMAN, c’est Kotokoli le poète qui porte le masque du griot le jour où le fils de Bla Yassoua , l’épouse de l’enfant mystérieux, a parlé :

     

    « L’étoile plantée dans le ciel par deux générations d’Awlimba

    Aujourd’hui, la bouche du nouveau jour a retenti

    Les pays de la forêt et de la savane vont entendre

    La voix qu’ils ont toujours attendue

    … » (p. 164).

     

    En définitive, ces quelques rapprochements, parfois intrigants, entre les textes initiatiques négro-africains, comme présentés ici à la faveur de l’étude de la rythmique à parenté structuraliste, ne devraient pas être perçus en termes d’influence d’un auteur sur un autre. En réalité, les séquences similaires ébauchées constituent résolument le profil de l’initiation en Afrique traditionnelle, obéissant à une rythmique structuraliste immuable et reflétant la psychologie rigoureuse d’une civilisation initiatique unifiée.

     

     

     

    Conclusion

     

    Le fils-de-la-femme-mâle est, certes, un récit mais un récit qui, du fait de la pression de l’imaginaire et de l’ambiance linguistique du sacré, finit par perdre de son fonctionnalisme linguistique vraisemblable pour occuper un rayon de la poésie. D’emblée, le label générique « conte romanesque » inscrit en page de garde, semble en être la confession. En réalité, le label générique évoqué a l’air d’avertir le lecteur d’un texte au prosaïsme apparent.

    La poésie est langage ; un langage qui, au décodage, propose des significations ou sens pluriellement supplémentaires, faisant subir à l’intelligence des déclinaisons sans fin. Le terreau fertile à un tel exercice heuristique, c’est une caractérisation linguistique, sinon, un discours littéraire profondément marqué de subjectivité et d’émotivité, et où voguent, à volonté, subversion, onirisme et initiation. Si la poésie ordinaire a toujours suggéré l’état d’esprit sus-décrit par un travail d’orfèvre sur le mot, maillon de base des structures linguistiques de distinction artistico-intuitives, l’imaginaire narratif, type particulier de poésie proposé par la parole poétique africaine, lui, suggère, certes, le même état d’esprit sus-décrit, mais, cette fois, par le jeu de scène interne au récit en tant que calque littéraire de la vie réelle. Si, donc, le récit tente de retranscrire l’animation de la vie réelle avec personnages, temps, espace, intrigue et parole intelligible ou lucide, l’imaginaire narratif, pour sa part, trahit le jeu interne au récit par une invraisemblance des plus débridées. La poésie est invraisemblance ; invraisemblance de l’expression ou invraisemblance du fait relaté, et, très souvent, invraisemblance des deux à la fois. L’imaginaire narratif, génie parolier de l’âme négro-africaine, opte, au nom de sa spécificité, pour l’invraisemblance du fait relaté. Ici, le langage ou, tout simplement, l’expression, ne souffre pas d’une invraisemblance outre mesure. Par cette invraisemblance restrictive au fait relaté, donc, l’imaginaire narratif réussit à se confondre à un discours littéraire qui parvient à déconnecter l’esprit humain de la matérialité ordinaire et à le loger dans la sphère des mystères initiatiques, celle des sens infinis. Au constat, dans Le fils-de-la-femme-mâle, vraisemblance et invraisemblance se frottent. Objectivement, la vraisemblance y sert de marchepied à l’invraisemblance qui, aérienne, recouvre le clair de l’intrigue. C’est pourquoi, tout comme la poésie ordinaire, l’imaginaire narratif produit, lui aussi, les canons structurels classiques de la poésie que sont le rythme, le symbole et l’image, contrepartie stylistique de l’émotivité ou de la métaphysique du discours, et ce, au service d’un continent qui est celui de l’initiation et qui devra son processus de maturation à l’initiation. Et Maurice BANDAMAN, par l’ingéniosité littéraire de Le Fils-de-la-femme-mâle, y contribue de façon très militante.

     

    Bibliographie

     

    BACRY (Patrick), Les figures de style, Belin, Paris, 1992.

    BANDAMAN (Maurice), Le fils-de-la-femme-mâle, Frat mat éditions, Abidjan, 2013.

    BARTHES (Roland), KAYSER.W.C et hamon. PH, Poétique du récit, Seuil, Paris, 1977.

    BENOIST (Luc), Signes, symboles et mythes, PUF, Paris, 1975.

    DELAS (Daniel), Guide méthodique pour la poésie, NATHAN, Paris, 1990.

    GREIMAS (Algirdas Julien), Essai de sémiotique poétique, Larousse, Paris, 1972.

    LEVI STRAUSS (Claude), Mythologiques II, Du miel aux cendres, PLON, Paris, 1966.

    LIKING (Wêrê Wêrê), Une vision de Kaïdara, NEA, Abidjan, 1984.

    NIANE (Tamsir Djibril), Soundjata ou l’épopée mandingue, Présence africaine, Paris, 1960.

    PAVEAU (Marie-Anne) et SAFARTI (Georges Elia), Les grandes théories de la linguistique, Armand Colin/VUEF, Paris, 2003.

    PROPP (Vladmir), Morphologie du conte, Seuil, Paris, 1970.

    ZADI (Zaourou Bernard), La parole poétique africaine, Strasbourg, 1981.

    Notes

     

    1  Maurice Bandaman, Le fils de la femme mâle, Frat mat éditions, Abidjan, 2013.

    2  N. Miller, The child in Primitive society, Brentano’s, New York, 1928.

    3  TOH BI Emmanuel,  Sueur de lune, Éd. L’HARMATTAN, Paris, 2009.

    4  LSS Senghor,  Ethiopiques in Œuvre poétique, Seuil, Paris, 1990, pp. 103-105.

    5  Aristote cité par Luc Benoist, Signes, symboles et mythes, Ed PUF, Paris, 1975, p. 95.

    6 Patrick Bacry,  Les figures de style, Éditions Belin, Paris, 1992, p. 25.

    7 Ibidem.

    8 Claude Levi Strauss, Mythologiques II, Du miel au cendres, PLON, Paris, 1966, p. 294.

    9  Wêrê Wêrê Liking, Une vision de Kaîdara, NEA, Abidjan, 1984.

    10 Rilke cité par Luc Benoist, Signes, symboles et mythes, op. cit, p. 12.

    11 Amadou Hampâté Bâ : Kaïdara, NEI-EDICEF, 1994, p. 18.

    12 Djibril Tamsir Niane, Soundjata ou l’épopée mandingue, Présence africaine, Paris, 1960, pp. 46-47.

     

    ***

    Biographie

    Emmanuel Toh Bi est poéticien et poète, maître de conférences à l’Université de BOUAKE-Côte d’Ivoire. Cette expérience cumulée d’artiste et d’exégète d’un même domaine de connaissance, lui est très enrichissante. Auteur de plusieurs œuvres poétiques publiées à L’HARMATTAN dont Parulies rebelles, Djèlénin-nin pour toi mon Afrique, Sueur de lune, Aurore d’Afrique à Sanoudja, Pages en feu,  Emmanuel Toh Bi enseigne, avec beaucoup de passion, la poésie négro-africaine à l’Université de BOUAKE-Côte d’Ivoire. Il fait partie des poètes les plus en vue actuellement dans le paysage littéraire ivoirien, après la génération d’un certain Bernard ZADI ZAOUROU. Il également l’auteur de plusieurs articles lus et cités dans les Universités d’Afrique. Emmanuel Toh Bi est né le 5 mai 1972 à DABOU, dans le Sud de la Côte d’Ivoire, à 30 Kilomètres d’ABIDJAN.

     

     

    Pour citer cet article

      

    Emmanuel Toh Bi, « Le fils-de-La-femme-mâle de Maurice Bandaman, à la recherche des traces d’une poésie de l’imaginaire narratif », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°9 (publication partielle de nos derniers numéros imprimés de 2016) [En ligne], mis en ligne le 24 novembre 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/fils.html

     

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