21 novembre 2016 1 21 /11 /novembre /2016 15:58

 

Poèmes

Parution imprimée dans le numéro spécial 2016

Avant-première

 

Miroirs & Oriflammes

 

 

 

Mokhtar El Amraoui

 

 

Miroirs

 

À ces songes de la mer dont les vagues colportent la rumeur

 

Ô miroirs !

Engloutissez, donc, ma mémoire,

Dans vos veines de tain et de lumière.

Là-bas,

Dans le jardin des échos,

Arrosé des plaintes des vagues,

Je dévalerai la plaine de l’oubli

Où j’ai laissé fleurir un coquelicot,

Pour ma muse

Qu’un peintre agonisant a étranglée.

D’elle, me parvient

Le parfum ensanglanté

De toiles inachevées.

C’est dans le lait de ses rêves

Qu’ont fleuri le cube et la sphère.

Ô interstices du monde !

Laissez-moi donc percer

Ses inaudibles secrets !

 

***

Oriflammes

 

Comme des feuillets d’almanach,

Tes sourires vacillent dans le vent d’automne.

Glorieux, le train meuglant

Décapite la marguerite.

Je ne peux, de mes plaintes,

Déposer sur ton autel

Les ouragans des grands naufrages.

Cette olive diamant

Ton essence, ta flamme, ton âme,

Bruit en adieux pressés

Sous le soleil mégot de crépuscule.

Les mouchoirs des mères,

Au verdict des sirènes,

Deviennent oriflammes

Et les guêtres dures rapetissent, se ramollissant

Pour s’en aller crever en moues gamines,

Dans les boues chaudes des derniers cris,

Dans le duvet rapace de l’oubli.

 

 

Biographie

Mokhtar El Amraoui est né à Mateur, en Tunisie, le 19 mai 1955 d'une mère tunisienne et d'un père algérien. Il a enseigné la littérature et la civilisation françaises pendant plus de trois décennies, dans diverses villes de la Tunisie. Il est passionné de Poésie depuis son enfance. Il a publié deux recueils ; le premier s'intitule Arpèges sur les ailes de mes ans (en 2010) et le second Le souffle des ressacs (en 2014). Il a publié plusieurs de ses poèmes sur le net et des revues-papier. En outre, il tient un blog « Poèmes de Mokhtar El Amraoui et autres voyages » où figurent des poèmes de ses deux recueils.

 

***

 

 

Pour citer ces poèmes

  

Mokhtar El Amraoui, « Miroirs » & « Oriflammes », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°9 (publication partielle de nos derniers numéros imprimés de 2016) [En ligne], mis en ligne le 21 novembre 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/miroirs.html

 

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Le Pan poétique des muses - dans La Lettre de la revue LPpdm Numéros
21 novembre 2016 1 21 /11 /novembre /2016 15:48

 

Critique & réception

 

Le paradis des livres :

 

ReLIRE FeniXX la SOFIA & l’ ÉDEN

 

 

 

Camille Aubaude

Rédactrice de la revue LPpdm, membre de la SIEFEGP

responsable de la rubrique en ligne Chroniques de Camille Aubaude

Sites officiels : http://www.camilleaubaude.com/

& www.lamaisondespages.com/

Blog officiel : https://camilleaubaude.wordpress.com/

 

 

 

L’être humain qui ne dort ni ne rêve meurt.

Que faire d’une vie sans idéal ?

La Bibliothèque nationale de France (BNF) est dépositaire des rêves des auteurs publiés. Leurs livres dorment dans les tours en forme de livres ouverts du nouveau quartier de Bercy. Ils dorment comme une belle femme dans un bois grâce au dépôt légal instauré en 1974. Un système voulu au départ comme une protection des auteurs vient d’être inversé pour devenir une commercialisation.

Après un demi-siècle, le dispositif s’écroule. La plupart des auteurs n’ayant pas le génie du cabotinage, leur livre est rangé sur le rayonnage de l’oubli. La Maison des Livres explose sous la pression de ses trop nombreux locataires.

Auteurs écoutez bien : 15 à 20 000 livres sont numérisés chaque année. Les exploitants ont fait voter la loi du 1er mars 2012, affichant un « projet patrimonial d’envergure ». La face visible de l’opération est constituée par le site ReLIRE (notez les majuscules) et la société FeniXX (notez l’orthographe moderne) qui gère l’exploitation technique et commerciale. Ils ont en outre pensé à la protection des intérêts des auteurs en créant la SOFIA, Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit (199bis bd Saint Germain, 75345 Paris Cédex 07) pour reverser les droits d’auteur. La sage décision commerciale mène à l’ÉDEN livres, une plateforme de diffusion, le rêve pour les auteurs.

Pour les morts, pas de problème, le nouveau dispositif protège si bien l’exploitation que la moindre notice est protégée par le copyright ÉLECTRE.

Quant à ceux qui ne sont pas encore morts, il n’est pas possible de tous les informer de la reprise de leur travail, qui renaît de ses cendres, défendu par ÉLECTRE.

Soulevant le rideau de fumée, j’ai cherché à savoir qui a fabriqué la copie de mon Mythe d’Isis, format dit opt-out, avec les notes et les passages qu’il faut recopier à la main. Est-ce mon propre document qui appartient à ReLIRE ? Réponse : « Les détails nous tuent ! »

Les prédateurs nous rassurent. On peut lire : « Nos ebooks, d’une qualité de numérisation optimale, sont accessibles à tous et interopérables, sans DRM. En attendant notre catalogue en ligne, retrouvez nos ebooks dans notre large réseau de librairies en ligne. »

Selon la technique de Maître Renard, ils nous appâtent en s’occupant de nous : « Vos livres ne sont plus diffusés, on va les sortir de l’oubli ». Ils flattent l’auteur : « Votre livre est partout ».

J’ai répondu qu’il y avait deux livres, Le Mythe d’Isis et Le Voyage en Égypte de Gérard de Nerval, ce qui a déconcerté mon protecteur. L’éditeur de 1997 a jugé « plus vendeur »  un volume à moins de cent francs, Le Voyage en Égypte. Il a été volé par un fan à la Bibliothèque Publique d’Information (BPI) de Beaubourg, tandis que le volume à cent cinquante francs censé se vendre moins a dépassé les mille trois cents euros, peu avant que l’exploitant technique et commercial, qui est aussi protecteur, prenne un des exemplaires remis gratuitement à la BNF pour le vendre à 7,99€ dans « plus de 160 librairies en ligne ».  Le protecteur fuit devant les arguments de l’auteur, négligeant la vérité du détail au profit de la stylisation massive.

« Le catalogue FeniXX comprend des milliers d'ouvrages numériques destinés à un très large public ». Estampé « ReLIRE », avec une notice copyright ÉLECTRE, pour protéger le travail de celui qui a passé moins d’une heure à écrire la notice pour la librairie en ligne, mon Mythe d’Isis reste un livre spécialisé. Douze ans d’études portées à leur plus haut degré, invention d’un nouveau mythe littéraire, et que le contenu ne doit pas déranger les lois mortifères du marché, je comprends pourquoi mon premier article de recherche littéraire s’intitulait « L’exaltation après l’effondrement » : la cause de la dépression déclenche l’émerveillement, après des situations d’endurance extrême.

Un mot sur la « malédiction de l’idéal d’Isis ». Vilains, législateurs, marchands font tout ce qu'ils peuvent pour sabrer les auteurs. L’auteur a l’obligation de vivre dans un rêve car la société ne prend pas en charge les victimes de sévices. Octroyer aux victimes un statut est une ambition presque folle. Il reste la création littéraire, facile d’accès. Elle pallie autant aux amnésies qu’aux inaltérables reviviscences des traumatismes. Nous sommes loin d’un système favorisant la réappropriation de soi pour sortir de l’humiliation. Ce type de vécu correspond à la volonté des tortionnaires, que je me suis employée à détourner en écrivant Voyage en Orient, Impression inimaginable et La Malcontente, à l’heure où la légende d’Isis bat de l’aile. Elle ne peut s’incarner. J’ai fait éclater les cadres de l’œuvre littéraire en élaborant la « transpoésie » pour désavouer le système qui a pour but de réduire les personnes maltraitées à néant, bien que ce soit celles qui ont le plus besoin de réparation.

Le monde livresque virtuel est en expansion accélérée, tel le monde réel. La folie des grandeurs l’étouffe. Le public est « large » : voilà pourquoi les librairies en ligne relayées par la plateforme ÉDEN ont cassé le prix mirobolant du livre « rare » en mettant leur document virtuel à 7,99€... L’autrice a tenté de réagir en créant un site où l’on peut se procurer ce Mythe d’Isis, ce « livre monument », disait Geneviève Laporte. Aucun client.

© Photos fournies par Camille Aubaude*

Le plus grand paradoxe du système marchand se résume en cette phrase : « Où trouver nos livres » ? Les livres du dépôt légal, dont la contrefaçon numérique devenue légale est vendue au paradis (ÉDEN).

Contemplons, restons en dehors ! Fuir, c’est vivre. ReVIVRE est le système d’édition qui s’emploie à faire échouer ce qu’une femme échafaude contre le déni des violences.

Est-ce utile de réagir ? Un poète ne peut se transformer en marchand.

Chut, ne pas troubler le rituel ! Il incite les rêveurs à être auteurs.

 

* Pour agrandir les photos, clic droit de la souris puis choisir "Afficher l'image"

***

 

Pour citer ce texte

  

Camille Aubaude, « Le paradis des livres : ReLIRE FeniXX la SOFIA & l’ ÉDEN », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°9 (publication partielle de nos derniers numéros imprimés de 2016) [En ligne], mis en ligne le 21 novembre 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/livres.html

 

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Le Pan poétique des muses - dans La Lettre de la revue LPpdm Numéros
21 novembre 2016 1 21 /11 /novembre /2016 12:37

 

Annonce de parution

 

Barbara Polla (dir.)

 

Éloge de l’Érection

 

œuvre collective suivie de

 

Lycaon ou l'apologie du désir

 

texte inédit de Dimítris Dimitriádis

 

aux éditions Le Bord de l'eau, coll. La Muette, 2016

 

© Crédit photo : 1ère & 4ème de couverture de l'éditeur

 

Présentation de la maison d'édition 

 

Livre collectif par Paul Ardenne, Vincent Cespedes, Dimítris Dimitriádis, Maria Efstathiadi, Rodolphe Imhoof, Maro Michalakakos, Elisa Nicolopoulou, Dimitri Paleokrassas, Elli Paxinou, Barbara Polla & Denys Zacharopoulos.

Les textes de l'Éloge de l'érection sont suivis par le texte inédit  Lycaon ou l'apologie du désir de Dimítris Dimitriádis avec pour toile de fonds la création contemporaine. Cet ouvrage porte sur « les liens entre l'érection et la vision du monde. L'érection est comprise ici comme une manifestation première du désir, de la joie, de la fertilité ; comme un événement sacré, une conquête et une fierté, y compris d'un pays tout entier ». Cette œuvre s'inspire du texte prémonitoire de Dimitris Dimitriadis « Je meurs comme un pays » (1978) dans lequel l'auteur y dépeint un pays où les femmes ne conçoivent plus d'enfants, où les soldats déposent les armes et désertent, un pays en involution dans lequel même la langue se meurt ». À partir de ce texte, les auteurs envisagent l'érection comme une antithèse à la mort. Dans Lycaon, une apologie du désir,  l'homme, voué à l'alternance insurmontable de la potentia et de l'impotentia, de la position debout et de la position couchée, [...].. L'architecture aura été, de tout temps, l'une des grandes consolatrices de la détumescence et de la mort. L'architecture est une incarnation de la puissance, de la dignité, des visions qu'une ville, voire un pays, ont d'eux-mêmes. [...].  Toute création se réalise comme substitut de jouissances autres, l'érection chez l'homme, d'autres jouissances chez les femmes. Les artistes femmes parlent d'ailleurs elles aussi d'orgasmes créatifs, d'accouchements  et parfois d'éjaculations.

(présentation reproduite partiellement du site de l'éditeur)

***

Fiche technique

Titre :  Éloge de l’Érection

Éditrice scientifique : Barbara Polla

Collectif : Paul Ardenne, Vincent Cespedes, Dimítris Dimitriádis, Maria Efstathiadi, Rodolphe Imhoof, Maro Michalakakos, Elisa Nicolopoulou, Dimitri Paleokrassas

Co-auteur : Dimítris Dimitriádis

Illustration :  Shaun GLADWELL, SEVERED HEADS (A CAELO USQUE AD CENTRUM),  photo de Dean  Tirkot, 2015

Éditions : Éditions Le Bord de l'eau

Collection : La Muette

Langue : Français

Date de parution : 21 novembre 2016

Nombre de pages : 160 p.

Dimensions : 17 x 23 cm

Format :  broché

ISBN-10 : 2356874860 / ISBN-13 : 978-2356874863

Prix éditeur : 20 €

Page du livre sur le site de la maison d'édition : http://lamuette.be/fr/books/loge-de-lrection/397/

 

***

 

 

Réception dans les médias :

***

 

Invitation à lire : je recommande avec joie cet essai créatif au lectorat averti et soucieux de comprendre l'une des origines de l'art en général et de la création en particulier. Cet ouvrage collectif donne aussi à voir une verticalité heureuse là où le fameux récit mythique de la « Tour de Babel » dénonce les méfaits du vertical et tente de nous en dissuader...  Dans une période charnière pour la Grèce comme pour d'autres pays et pour des individus désorientés par le pouvoir omniprésent de l'argent, le pouvoir de jouir de sa puissance de créer demeure une valeur sûre qui nous ouvre un espace de pure liberté créative et initiatique aux arts de la vie.

Dina Sahyouni pour LPpdm

Ce livre a été archivé dans le catalogue de la Bibliothèque Cybèle de la SIÉFÉGP.

 

***

Pour citer ce texte

  

LPpdm, « Barbara Polla (dir.), Éloge de l’Érection œuvre collective suivie de Lycaon ou l'apologie du désir, texte inédit de Dimítris Dimitriádis aux éditions Le Bord de l'eau, coll. La Muette, 2016 », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°9 (publication partielle de nos derniers numéros imprimés de 2016) [En ligne], mis en ligne le 21 novembre 2016. Url :

http://www.pandesmuses.fr/2016/11/barbara-polla.html

 

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Le Pan poétique des muses - dans La Lettre de la revue LPpdm Numéros
14 novembre 2016 1 14 /11 /novembre /2016 11:43

 

Critique & réception

 

 

Lettres à Anne (1962-1995), éd. Gallimard, 2016

 

 

 

Camille Aubaude

Rédactrice de la revue LPpdm, membre de la SIEFEGP

responsable de la rubrique en ligne Chroniques de Camille Aubaude

Sites officiels : http://www.camilleaubaude.com/

& www.lamaisondespages.com/

Blog officiel : https://camilleaubaude.wordpress.com/

 

Quel est l’intérêt véritable des études de genre liées aux fortes mutations technologiques ? Leurs conséquences humaines et artistiques ne sont pas quantifiables ; soit nous gardons l’esprit des êtres de l’Antiquité, soit le monde se renouvèle*, sans racines, au prix d’un lavage de cerveau permanent.

Le grand changement semblait installé jusqu’au soir où j’ai entendu sur une radio d’État la voix d’une femme : Anne Pingeot. Elle offrait sa voix « nue » pour parler de ses rapports intimes avec l’ancien président de la République française, François Mitterrand, fort courtisé et fort plaisanté durant son double septennat, et que l’on surnommait familièrement « Tonton ».

Entre Anne et Tonton s’est élaborée une correspondance « privée » que l’édition française juge opportun de rendre publique, sans crainte du double emploi, car paraît en même temps un livre à couverture cartonnée présenté comme le « journal » de l’homme d’État. Personne ne parle des remaniements, personne ne dit pourquoi ni comment les lettres de la femme ont disparu, selon la pratique des Lettres à Sophie Volland et tant d’autres. Le lecteur en mal de croyance supposé adhérer à la « tonton-manie » ne décèlera pas les stratégies commerciales pour préparer un « énorme succès ».

La courtisanerie des éditeurs se calfeutre d’analyse littéraire négligeant les apports de la théorie des genres. Ils ont mis en place un apparat critique pour glorifier la prose mitterrandienne, en reprenant vaillamment les invariants du genre. Ils « dévoilent », selon un rite galvaudé. Les médias ont rarement aussi bien pratiqué l’exercice. On lit, on écoute. L’ultime buzz est la voix  d’Anne (je reprends le titre du livre) dans la conversation de la série « à voix nue ». Une conversation qui n’en est pas une, à cause du manque de culture, puis d’un rapport entre un homme qui interroge et une femme digne des speakerines glamour des années 1950, des visages que l’on regarde et que l’on n’écoute pas. Avant, les hommes se raillaient de la parole de la femme amoureuse...

Ladite situation d’édition contient tant de modèles caducs sur les privilèges masculins qu’elle donne l’opportunité de (re)lire Luxun : « Il est permis à l’homme mâle de faire usage de sa femme à son gré, chaque fois que cela lui convient, mais elle, de son côté, est tenue d’observer rigoureusement les règles de la vertu » (« L’évolution de l’homme mâle, dans La Vie et la Mort injustes des femmes). Luxun a sapé les bases de la Chine féodale machiste en réclamant la libération des femmes. La France est donc en retard. L’écoute des propos d’Anne, femme publique, rappelle le personnage de Mme Angot des comédies poissardes prisées par l’aristocratie, dont il est judicieux de citer le refrain :


 

Barras est roi, Lange est sa reine

C’n’était pas la peine (bis)

Non pas la peine, assurément

De changer de gouvernement !


 

L’amour secret de Mitterrand remet en mémoire les femmes humiliées, cloîtrées, sacrifiées à des hommes de pouvoir qui pensent que le pouvoir attire les femmes. Non, seulement des Mme Angot, intrigantes, prétentieuses. Son rire me navre. Une image s’impose : la poule qui trouve que le renard est un héros. Su Tong, dans Épouses et concubines met en scène les dites mentalités, circonstanciées et aujourd’hui considérées abjectes, mais pour cela, il aura fallu tant de victimes, Tant de Philomèles en ce monde où l’homme voulu souverain ne cherchera pas à créer une confiance.

Le rire d’Anne retentit à chaque question que pose l’homme, happé par cette ex amoureuse. C’est exaspérant, le rire d’une femme qui creuse l’intimité. En public, répétés à satiété, ces rires-là font nunuche. L’être féminin n’a pas à être démystifié.

Au point de vue de la satiété, la contradiction entre « correspondance confidentielle » et « cible grand public » nous gave plus qu’elle ne nous appâte. Tel Neptune, l’amante féroce, jalouse et exclusive se dessine : « Moi qui garde tout » !

Le public écoute l’information de la soirée. La fille née de cet amour adultère devait avoir un prénom spécifique, afin de ne pas rappeler à la mère une des maîtresses du grand séducteur. Mazarine, le nom pour revenir vers le livre. Quand l’autorité suprême donne naissance, c’est encore la surenchère du grand homme !

La « voix nue » est tellement encombrée de clichés qu’elle fait « grue ». Avec un zeste d’humour, disons que l’oiseau symbole de la sagesse de la Chine ancienne est un avatar de la femme dominée consentante. Dans cette conversation où tout est convenu, on se demande comment des femmes ont pu s’effacer à ce point, en pensant qu’ainsi traitées, leur orgueil triompherait. Tout revient à l’orgueil, aux feux de la vanité, à la prétention. Sans vraie pensée.

Est-il possible que l’on en soit encore là ? À l’heure des études de genre et des fortes mutations technologiques, le sacrifice de la femme pour l’homme de pouvoir fascine, qu’elle soit grue ou parvenue.

Il manquait la Bible ! Anne en parle, pour résumer ainsi son amour : « Moi qui allais toujours à la messe, j’ai perdu la foi ».

Pas d’autodérision. Comme les ambitieux auxquels il incombe de vivre une aventure extravagante, Anne trouve la pitoyable bigamie « extraordinaire », « extraordinaire ».

Les hommes d’État ont souvent une face minable, constat qui devrait les pousser à trouver un autre modèle que celui de « la servante et la maîtresse » pour apaiser leur soif d’amour. L’une castrée, car le mâle crispé pense que c’est elle ou lui (Benazir Bhutto a été tuée par son mari, l’actuel président du Pakistan) ; l’autre cachée, puisque le désir sexuel est honteux. Dans les deux cas, des usines à souffrances qui exploitent les femmes incultes. L’homme infligeant ces vaines douleurs se veulent « écrivains ». Ils fabriquent l’exclusion de la femme créatrice, entretenant à outrance le modèle de domination.

À ne pas s’écarter des modèles, on brûle d’un « cancer avec métastases » : « Et là j’ai vu ce que c’était le courage… »

Tout est au premier degré, mais on réduit la distance avec le public pour fabriquer un « document d’histoire » ! Coteries, courtisanerie.

 

« C’est pas moi qu’ai pris la photo sur le lit de mort, pourtant j’aime tellement prendre des photos. »

L’Histoire ne suffit pas. Anne s’émeut au moment de lire les poèmes de Mitterrand. On entend un long froissement : Anne a sorti un poème. Moment hyper intense. Figuration de poète, amours secrètes, Président de la République... 

Elle lit. Est-il possible de lire ainsi la poésie, aussi dévitalisée soit-elle ?

La critique, gendarme de notre expression, considère ces banalités « écrites au plus juste »… « L’amour fidèle » est aussi l’un des thèmes du lancement de ce livre. Amusant, non ?

L’Anne qui lit laisse exploser son émotion, puis donne à cette « poésie » la componction d’une dévotion : dans « la passion de chaque étreinte », par exemple. On donne l’heure d’écriture de la lettre où « ils se sont déclaré leur amour ».

Chroniquer l’oralité, et non l’épistolaire, fait signe : la voix de cette femme est présence, alors qu’elle n’est pas figurée dans cette correspondance qui fut pourtant croisée. À l’oral, le tandem « homme de pouvoir vs maîtresse cachée » révèle ses chimères, rejetons difformes d’une société irresponsable.

Les « pardonne-moi mon Anne » sont si bien lus que l’on entend « âne ». « Pardonne-moi mon âne », la voix répète ces mots comme un refrain, ânonnant des images emphatiques ; inutile d’en citer d’autres, alors qu’il y a de grands poètes télépathes de notre monde méconnus de la critique. Quand on est pris en main par les marchands, il manque l’intuition du génie.

Le livre va-t-il faire fureur, comme tant d’autres issus d’arrangements entre éditeurs pour un succès de librairie, alors que les librairies ferment ? Tonton-écrivain-poète-épistolier contrarié a eu la plus haute fonction sociale en perpétuant les drames des gynécées. Le gynécée est une affaire de régime féodal et d’obscurantisme. Byron en a dépeint les atouts pour les femmes d’un harem albanais, dans Childe Harold, pensant que c’était la meilleure situation pour la femme se devant à la joie d’être mère. Dans un monde opaque, un monde de brutes, où s’épuise la douleur des femmes.

Si le grand changement tient toujours, à l’heure où le respect de la fonction présidentielle touche le fond du fond, pourquoi publier des lettres intimement liées à l’asservissement de la femme ? Les hommes peuvent se défouler quand ils veulent, cela fonctionne, mais n’a-t-on pas au XXIème siècle un public majoritairement féministe ? À ce public-là de donner aux femmes — sans être l’absente, l’autre, le produit consommable, sans être l’égérie ou la muse —, vertu universelle.

 

* S'écrit aussi "se renouvelle", cf. CNRTL : http://www.cnrtl.fr/morphologie/renouveler

***

 

Pour citer ce texte

  

Camille Aubaude, « Lettres à Anne (1962-1995), éd. Gallimard, 2016 », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°9 (publication partielle de nos derniers numéros imprimés de 2016) [En ligne], mis en ligne le 14 novembre 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/lettres.html

 

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Texte mis à jour le 20 novembre 2016

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