Image : The Dance of Apollo with the Muses (Baldassarre Peruzzi)
ISSN = 2116-1046
Revue féministe de poésie
électronique et apériodique
©www.pandesmuses.fr
numéro consultable depuis votre mobile à l'adresse suivante :
Image : The Dance of Apollo with the Muses (Baldassarre Peruzzi)
ISSN = 2116-1046
Revue féministe de poésie
électronique et apériodique
©www.pandesmuses.fr
numéro consultable depuis votre mobile à l'adresse suivante :
Sommaire
Nelly Taza
♦ Éditoriaux
Dina Sahyouni
Nelly Taza
I- Hors-zone ou Bémol
Bémol
Poésie, Danse & Genre
en spectacle
Leïla Da Rocha & Patrick Dupond invitéEs de la revue
[présentation inédite]
Leïla Da Rocha & Patrick Dupond invitéEs de la revue
[exposition inédite]
II- Zone des articles
Dossier majeur
Poésie, Danse & Genre
Michel Briand
[article inédit]
Angèle Bassolé-Ouédraogo
[article inédit]
Céline Torrent
[article inédit]
[entretien inédit]
Avant-première
Tatiana Julien & Alexandre Salcède
[article inédit]
Dossier mineur
Muses & Poètes
Poésie, Femmes & Genre
Yves Citton
Invité
[article inédit]
Patricia Izquierdo
Invitée
[article inédit]
Jo Laporte
Invité
[texte inédit]
III- Zone d'excellence poétique
Territoire dédié aux oeuvres de Jean-Michel Maulpoix invité d'honneur
de la revue
De la poésie dans tous ses états
Jean-Michel Maulpoix
Jean-Michel Maulpoix
IV- Zone de l'entretien poétique et artistique
Avant-première
Armelle Leclercq
[poèmes inédits]
Nicole Coppey
[ poèmes visuels inédits]
Jean-Marc Baillieu
[poème de genre inédit]
Angèle Bassolé-Ouédraogo
Françoise Urban-Menninger
[deux poèmes inédits]
Dina Sahyouni
[cinq poèmes inédits]
Marie Gossart
[poèmes inédits]
Isabelle Voisin
[cinq poèmes inédits]
Anne-Sophie Gosselin
[poème visuel inédit]
Tatjana Debeljački
Fialyne H.Olivès
Jodelle
Damy Tangage
Patrick Aveline
[poèmes inédits]
Bruno Krol
Hervé-Léonard Marie
Siamchinois
Nadine Le Lirzin
[poèmes traduits, inédits]
VI- Zone de la poésie érotique des (et/ou sur les) femmes & de genre
Damy Tangage
[poèmes inédits]
Marceline Desbordes-Valmore
[textes inédits]
La revue LPpdm consacre le dossier principal du numéro 2 à la poésie des femmes poètes romandes, à paraître en automne 2012.
Date limite d'envoi des propositions : 5 (30 juin 2012)
Dossier et poèmes pour le thème majeur
Poésie francophone des femmes
1er volet: la poésie des femmes romandes
Spring by John Byam Liston Shaw (1872–1919)
« Notre élan constructeur (n'est-il
que passager?)
par-dessus l'élément surpris,
domestiqué,
veut qu'entre les deux morts l'horizon
d'élevât,__
l'avant-poste de chair nous gagne
l'au-delà. »
(extrait du poème « Le Pont sur l'Abîme » de Simone Rapin, cité pp.103-104 par Michel R. Doret dans son ouvrage Poétesses genevoises francophones (1970 à 1980))
Si nous devons tomber
Que ce soit d’une même chute
Étincelants
Et brefs comme l’oiseau
L’arbre
La foudre
Pour tout bagage
Pour tout péage
Cet air de flûte qui chancelle d’un silence
À l’Autre
(par Anne Perrier, extrait de son livre La voie nomade)
Être une femme poète, être une poétesse comme on dit, c'est accepter le statut de mineure dans un monde fait de grands poètes qui forment l'essentiel de l'Histoire de la poésie universelle (le simple dépouillement des ouvrages consacrés à la poésie le confirme).
Être une femme poète francophone, c'est constituer au sein de la minorité de ses semblables une branche encore plus minoritaire...
C'est autrement demander à l'histoire de la poésie française de se pencher sur l'apport de toutes ces abeilles éparpillées sur la surface de la terre toute entière et de reconnaître leurs valeurs intrinsèques.
C'est se rappeler enfin que quelque part là-bas, de l'autre côté des frontières réelles et/ou imaginaires, des femmes enrichissent depuis des siècles l'histoire des mineures rendues dernièrement majeures par le geste symbolique récemment attribué à une femme poète romande qui n'est qu'Anne Perrier (elle est la première femme poète qui a obtenu le Grand Prix national de la poésie française, cf. Voir l'art. « La poétesse lausannoise Anne Perrier, Grand Prix national de la Poésie », url. http://www.ambafrance-ch.org/La-poetesse-lausannoise-Anne ).
Or, le récit de l'idée de cet appel trouve ses racines dans une amitié poétique nouvellement nouée avec Nicole Coppey qui m'a permis de m'interroger sur la rencontre entre la poésie dite française et de la poésie dite francophone des femmes.
Y-a-t-il une différence entre ces deux consœurs ? Y-a-t-il une âme commune qui en trace l'essence et en explore la quintessence ? Faut-il encore problématiser la poésie d'une femme en la rendant autre, dans le langage, en évoquant les questions ethniques et/ou nationales ? Que faire d'une belle poésie orientaliste et orientalisante ou d'une belle poésie occidentaliste et occidentalisante ? Comment parler des poésies des femmes vues au travers de leur pluralité identitaires ? Comment se taire et penser que la poésie lumineuse d'une Angèle Bassolé-Ouédraogo ou d'une Alice de Chambrier ne sont pas tour à tour des pratiques de soi poétiques, de belles envolées lyriques, picturales, calligraphiques, restent encore à découvrir au fur et à mesure du temps. N'y-a-t-il parmi nous, les femmes, des poètes à l'instar d'Aimée Césaire ou de Rimbaud ?
Que dire d'une Andrée Chédid, d'une Maryana Marrash, d'une Vénus, d'une Anne Perrier, d'une Simone Rapin et bien d'autres belles voix qui portent en elles leurs patries, leurs souvenirs en lyrisme de soi ?
L'histoire est pleine de femmes porteuses de cette poésie-là, de ce miroir qui laisse entrevoir l'autre autant que le même, le différent et le multiple...
Michèle Bitton, elle, s'est penchée sur la richesse de la poésie des femmes juives. Elle a écrit maintes ouvrages pour déterrer les femmes juives poètes des poussières de l'Histoire universelle qui tend à gommer les différences et à stigmatiser la portée de l'histoire d'une minorité qui s'introspecte.
Michel R. Doret, lui, a tissé par le biais de ses livres dédiés à la poésie des femmes romandes une des plus belles histoires de fidélité à l'histoire des femmes poètes. Une manière de rendre hommage avant l'heure à toutes celles qu'on honore aujourd'hui en la personne d'Anne Perrier provenant d'un poète francophone et d'un universitaire féministe (voir ses livres cités dans la bibliographie ci-dessous).
Comme tout poète prophétique, il voyait déjà l'intérêt qu'il y ait à révéler au monde entier l'importance de la poésie des femmes romandes. Ses livres constituent, par ailleurs, la base de notre appel et son fondement scientifique. D'autres universitaires empruntent le même chemin depuis plusieurs décennies et découvrent au fond des archives, des bibliothèques, des librairies et des collections privées des trésors qu'ils/elles pressent de transmettre à leurs lectorats tout en songeant à la richesse idéologique d'un tel savoir émietté et oublié par l'Histoire des idées.
La démarche de la revue LPpdm s'inscrit dans le sillage critique de cette voie symbolique, dans cette volonté d'aller à la rencontre des poèmes des muses, de laisser la lumière du jour venir enfin s'immiscer aux creux des écrits poétiques des nos aïeules et contemporaines francophones (ou non).
C'est pourquoi aujourd'hui, on propose le premier appel (d'une longue série dédiée à la poésie francophone, ou non, des femmes) qui traite de la poésie des romandes.
Une autre façon de rendre hommage à notre tour à toutes celles, qui à travers les siècles, continuent à questionner la langue et l'art poétique français et nous apportent une des plus belles joies de notre histoire commune couronnée et légitimée (entre autres, par la poésie de Simone Rapin et d'Anne Perrier).
Nous signalons également que l’importance de la problématique de la poésie francophone des femmes poètes n'a pas contribué à la naissance d'une posture universitaire et à ce jour, peu de travaux lui ont été consacrés.
Alors qu’elle ne cesse de faire parler d’elle, la poésie francophone des femmes poètes n’arrivent toujours pas à trouver sa vraie place dans le monde médiatique et surtout dans l’univers universitaire. Jugée secondaire, à l’instar de sa mère (la poésie des femmes dite aussi la poésie de genre), elle ne bénéficie que rarement de l’attention des périodiques et d'autres médias et si l’on en parle, c'est pour exploiter les retombées économiques et culturelles d'un fait littéraire issu d'un prix plus que pour la diffuser et/ou pour opérer un vrai travail de réception journalistique critique.
Si Michel R. Doret, parvient avec une remarquable aisance à dresser une cartographie de la poésie des femmes poètes romandes, le questionnement de leur place demeure ouvert, puisque depuis longtemps, cette même poésie résiste, prolifère, défie les lois de la gravité des crises succinctes qui frappent l'Imprimé. Elle se développe, se peaufine et contourne avec subtilité les contraintes propres à la poésie romande et à la poésie en général. Quelles sont ses voies et voix ? Voici un résumé qui en dit assez pour rouvrir le débat d'une poésie vivante, déjouant les représentations classiques et, qui se voue au corps, à la sensualité, au pays, à l'enfance, à l'au-delà, à l'autre, aux féminin et masculin revus et corrigés dans et par le langage.
Si Michel R. Doret décrit avec grâce la présence des femmes poètes romandes dans la poésie comme un fait poétique, comme l'expression de la virtuosité, comme l'enchantement onirique postmoderne, il laisse également entrevoir la voie vers une histoire commune d'une jubilation créative et d'une poésie en amant comme on peut le constater dans le discours d'une Claire Genoux (une des voix de la nouvelle génération romande) :
La question de la féminité de l'écriture amène la question du féminisme. J'ai conscience que la génération de nos mères a dû lutter davantage que nous et que grâce à elles, nous pouvons prétendre, à ce qu'on nous reconnaisse une certaine autonomie : nous pouvons ainsi revenir sur notre féminité de façon plus légère. Ça me plaît qu'il y ait dans mes textes une trace de mon appartenance à un groupe sexuel et je me sens libre de donner une large place à la sensualité. Qu'est-ce que le féminin ? […] Le féminin, c'est aussi un vaste potentiel affectif, le plaisir de la séduction au sens étymologique d' « emmener à l'écart ». D'autre côté, j'aime jouer avec certaines formes de la masculinité, comme le désir de possession immédiate, l'impatience à l 'aide de l'agressivité ou du jaillissement de l'image. […] Ce n'est ni le militantisme, ni l'égalité que je cherche en écrivant, mais la richesse de la différence entre les deux sexes, qu'il me semble précieux d'aborder comme un jeu, un fonctionnement, comme on parle du jeu d'un ressort ou d'une marge qui reste […] La quête de soi est sérieuse et grave, mais rien n'empêche l'allégresse dans l'écriture et, pourquoi pas d'être homme et femme à la fois. » (Claire Genoux, « L'écriture féminine », dans la revue Poésie 1 Vagabondages, le magazine de la poésie; dossier « Les femmes et la poésie », éd. Le cherche midi, n°38, juin 2004, pp. 35-36)
On dit que la poésie romande est moribonde, mais là voici, secouée et portée par les femmes, par une langue rendue pure, simple, musicale, picturale, sensuelle et foisonnante. Parmi ses caractéristiques, on peut citer : le lyrisme, le questionnement du corps, la spiritualité, la simplicité, la musicalité, la pureté des mots, l'autre femme conçue par la femme-poète, etc. Les nouveaux visages, thèmes et supports de la poésie romande des femmes nous intéressent particulièrement et, d’après le propos exposé plus haut et sans que cela soit exhaustif, nous proposons de traiter les axes suivants :
L'apport des aïeules et l'histoire de leur réception confrontée à la problématique de la diffusion de leur poésie : leur place dans l'histoire des idées. Il s'agit d'éclairer le questionnement sur la place de la poésie romande des femmes poètes dans l'histoire de la poésie française.
La poésie s'écrit, elle ne se pense pas comme on le voit surtout dans les ?dans les œuvres d'Anne Perrier.
Le genre comme une histoire langagière du je (à étudier les spécificités de la poésie des femmes poètes romandes).
Les figures des femmes poètes romandes (compositrice, artiste-peintre, etc.)
Une poésie perchée sur l'au-delà, penchée sur la spiritualité et vouée au lyrisme exacerbé.
La poésie des femmes poètes romandes ou les voix du corps (sensualité, érotisme, désirs, merveilleux, spiritualité, etc.)
Les propositions d'articles (d'une page) pour ce dossier et pour le dossier permanent de la revue (voir page Contribuer, www.pandesmuses.fr) doivent être envoyées au plus tard le 5 juin 2012 à l’adresse contact.revue@pandesmuses.fr
Les contributions complètes (articles, comptes-rendus, poèmes, textes et poèmes peu connus des femmes poètes, dessins, illustrations, etc.) doivent nous parvenir au plus tard le 30 août 2012 à l’adresse contact.revue@pandesmuses.fr
Bibliographie de l'appel
[PDF]
Consignes à respecter
Prénom, nom, nom de plume, adresse postale et profession. Biobibliographie (de vingt lignes maximum). Pièces jointes acceptées : en format Word (pour les textes) et JPEG (pour les illustrations, dessins et annonces), police Book Antiqua, taille 12, interligne double, justifier, notes de fin. La contribution ne doit pas dépasser vingt-cinq mille caractères (espaces compris). La revue accepte de publier des textes, et des poèmes déjà parus.
Pour joindre l'équipe de la revue :
contact.revue@pandesmuses.fr ou contact@pandesmuses.fr
Responsables scientifiques : Michel R. Doret & Dina Sahyouni
Dossier et poèmes pour le thème mineur
Contribuer aux dossier et poèmes
permanents de la revue
Muses & Poètes
Poésie, Femmes & Genre
Depuis l'émergence du champ de recherche de la poésie des femmes à la fin du XXe siècle, les études et les anthologies se succèdent. Notre revue s'inscrit dans cette démarche tout en élargissant les frontières qui la déterminent.
La revue Le Pan poétique des muses se voue à la poésie des femmes comme aux autres formes de leur existence en poésie et elle y inclut le genre.
Vous êtes donc invité(e)s à prendre part à cette manifestation et vous avez carte blanche pour votre contribution en articles, notes de lecture, comptes-rendus, fragments, textes théoriques peu connus et poèmes de vous ou de nos aïeules (par votre intermédiaire).
Pour que votre contribution soit publiée dans le n°2, n'oubliez pas de l'envoyer au plus tard le 30 août 2012. Cet appel à contribution comme cela est indiqué plus haut est permanent, il se renouvelle donc au lancement de chaque numéro de la revue.
Consignes à respecter
Prénom, nom, nom de plume, adresse postale et profession. Biobibliographie (de dix lignes). Pièces jointes acceptées : en format Word (pour les textes) et JPEG (pour les illustrations, dessins et annonces), police Book Antiqua, taille 12, interligne double, justifier, notes de fin. La contribution ne doit pas dépasser vingt-cinq mille caractères (espaces compris). La revue accepte de publier des textes et des poèmes déjà parus.
Pour joindre l'équipe de la revue : contact.revue@pandesmuses.fr
Pour citer ces textes
« Contribuer au dossier et poèmes principaux du n°2 : Poésie francophone des femmes. 1er volet : la poésie des femmes romandes », « Contribuer à une anthologie de la poésie des femmes », « Contribuer aux dossier et poèmes permanents de la revue: Muses & poètes », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques, [En ligne], mis en ligne en Mai 2012. URl. http://0z.fr/3qWG7 ou
URL.http://www.pandesmuses.fr/article-contribution-n-2-102417344.html
[invité de la revue]
Texte inédit
Travestir les travestissements
Hommage aux poétesses et aux Tiptons
Yves Citton
On aime à penser que quelques femmes célèbres ont dû se travestir en hommes pour se faire une place dans des domaines dont elles se trouvaient exclues en tant que femmes. On fait souvent de George Sand l’exemple emblématique d’un tel procédé : se donner un pseudonyme masculin, porter des habits d’hommes seraient une condition d’accès à certains domaines du monde littéraire.
Ce procédé n’est pas particulier à une époque ou à un domaine particulier. Les musiciennes réunies autour de Jessica Lurie et Amy Denio à Seattle au sein du groupe Billy Tipton Memorial Saxophone Quartet ont choisi de placer leur collectif sous le nom d’un(e) jazz(wo)man qui a fait toute sa carrière sous l’identité d’un homme (Billy Tipton) après être né(e) et avoir passé sa jeunesse sous l’identité d’une femme (Dorothy Tipton). Son cas est plus radical que celui de George Sand, née Amandine Aurore Lucile Dupin, mais il aide à éclairer les enjeux poétiques du travestissement.
Les Tiptons
Billy Tipton (1914-1989), pour se faire une place dans le monde des musiciens de jazz des années 1940-1970 en tant que pianiste, saxophoniste et leader, ne s’est en effet pas contenté(e) de s’habiller en homme. Après plusieurs relation de longue durée avec des femmes, Billy/Dorothy a fondé une famille avec Kitty Kelly, adoptant trois enfants. Apparemment, Billy prétendait avoir eu un accident qui avait endommagé son bas-ventre et l’obligeait à se bander la poitrine.
En tant que lesbiennes militantes, les membres du Billy Tipton Memorial Saxophone Quartet ‒ renommé depuis quelques années plus simplement The Tiptons ‒ souhaitaient placer leur travail sous l’effigie de cet exemple de réinvention créative de soi sous contrainte d’oppression sexuelle. Jouer du swing dans les années 1950, faire du jazz bordant sur le free dans les années 1990, c’est déjà se mettre dans une position de marginalité créative au sein de la société américaine. Il devient vite difficile de faire la part de la réinvention provenant du travail artistique, de l’identité genrée ou de l’orientation sexuelle.
Billy/Dorothy Tipton, Amy Denio, Jessica Lurie, Maya Johnson, Barbara Marino, Sue Orfield, Tina Richerson (membres présentes et passées des Tiptons) sont des poétesses au sens le plus profond : elles ont dû se créer elles-mêmes, en tant que musiciennes (avec leur style, leur phrasé, leur punch, leur mode d’interaction collective, leur humour), en tant que penseuses, militantes, activistes, mais aussi bien en tant que business women, puisque la vie de leur groupe qui a déjà vingt ans d’âge dépend de la réinvention constante de connexions, de montages, d’interstices dans lesquels on peut se glisser pour financer un déplacement, un concert, un enregistrement, un logement, un repas.
Tout le monde est artiste
« Tout le monde est artiste », disait avec raison Joseph Beuys. En ce sens, homme ou femme, hétéro ou homo, nous sommes tous les poètes de notre vie. Chaque vie résulte d’un travail de poiésis : de création, de mise en forme, de production d’un mode d’existence qui ne préexistait pas. Les Tiptons (Billy/Dorothy et celles qui se revendiquent aujourd’hui de son nom) nous font toutefois aller au-delà de cette vérité importante mais un peu trompeuse par son universalité abstraite. Se bander les seins chaque matin pour dissimuler ses formes de femme, prendre le risque de la précarité des revenus, de l’inconstance ou de la rapacité des promoteurs de concerts, de la négligence dans laquelle les médias dominants enterrent certains genres musicaux (comme le jazz à tendance free) ‒ tout cela est quand même assez différent de nouer sa cravate pour remplir un emploi de routine assurant un salaire mensuel régulier.
Les Tiptons sont poétesses parce qu’elles risquent leur vie matérielle et symbolique (à savoir leur reconnaissance au sein des communautés où elles vivent) à travers leur activité. Elles doivent re-produire journellement une identité qui ne se soutient pas d’elle-même. Dorothy devait se travestir en Billy ; Jessica et Amy doivent « jouer » un jeu de saxophoniste pour se faire une place dans le monde de la musique. Même si Jessica et Amy peuvent aujourd’hui se revendiquer de ce que Billy/Dorothy devait dissimuler, toutes n’existent qu’en prenant des poses, qu’en se scénarisant d’une certaine façon qui relève du projet et non d’une fonction sociale déjà identifiée, qu’il suffirait de remplir.
On peut toutefois se demander si le fait, pour un homme, de mettre une cravate pour aller faire son travail de comptable n’est finalement pas un travestissement aussi oppressif que celui que s’imposait Billy/Dorothy chaque matin. Ne doit-on pas également réinventer ce que c’est que « jouer » le jeu du comptable, particulièrement en notre époque où des logiciels nouveaux ou des réglementations tatillonnes reconfigurent la profession tous les deux ou trois ans ?
Faut-il dès lors admettre que les comptables sont autant des poètes que les Tiptons ? Que nous sommes tous des travestis ? Que la différence n’est que de quantité (plus ou moins travestis) et non de qualité (les travestis vs., les non-travestis) ? Ceux que nous percevons comme des poètes pratiqueraient simplement le travestissement créatif avec plus d’intensité que les autres.
Les poétesses
On peut esquisser une réponse légèrement différente pour essayer de rendre compte de la poéticité propre au travestissement, de façon à préciser une approche conçue en termes de pure intensité. La particularité des poètes et des poétesses serait de travestir les travestissements.
Lorsque je mets ma cravate pour aller jouer au professeur de littérature ou au comptable, je ne suis pas un poète si je me contente de me conformer au moule que l’institution (universitaire, administrative) a formé pour moi. Je me contente alors de me travestir dans un habit déjà découpé par autrui. Je suis bien « artiste » en ce que je dois inventer ma propre manière d’habiter cet habit et d’occuper ce moule, ce qui requiert toujours un certain art et une certaine part de créativité. Mais je ne suis pas « poète ».
Le poète serait celui qui, par obligation ou par choix ‒ et probablement toujours par un mélange des deux ‒ ne se contente pas de se travestir en ce qui est attendu de lui ou d’elle, mais entreprend de retailler tous les costumes qu’on lui peut lui offrir. Il sait, comme le comptable et le professeur, que ce qu’on lui demande d’être relève du travestissement, mais il s’efforce de travestir ce travestissement, de le reconfigurer, de le déformer, de le réinventer, de le recréer. Il ne peut y être à l’aise que s’il se donne les moyens de le retailler à des dimensions qui lui conviennent en propre. C’est précisément ce que fait un poète avec la langue dont il hérite ; c’est ce que fait un musicien avec les genres dont il s’inspire.
On peut dès lors se demander s’il n’y a pas davantage de poétesses que de poètes. Parce que les hommes ont été en position dominante durant les siècles passés (et largement encore dans nos sociétés actuelles, malgré les énormes progrès accomplis), il leur est plus facile d’accepter les travestissements qu’ils trouvent déjà taillés à leur disposition. Les femmes en général, et parmi les femmes, plus encore les lesbiennes ‒ en tant qu’elles se trouvent en position minoritaire, et, pour les secondes, minoritaires parmi les minoritaires ‒ seraient au contraire bien plus fortement conduites à ne pas se contenter des costumes déjà taillés pour elles. La créativité poétique serait bien plus fortement inscrite dans les paramètres de leur mode de (sur)vie.
Nous sommes donc peut-être tous des artistes et tous des travestis, mais nous ne sommes pas tous ni des poètes, ni des Tiptons. Nous pouvons cependant, toutes et tous, devenir des poétesses et des Tiptons ‒ dès lors que nous entreprenons de travestir nos travestissements.
Des informations, musiques et vidéos de The Tiptons se trouvent sur le site officiel du groupe http://www.tiptonssaxquartet.com/index.htm. Leur cd intitulé Box (CounterCurrents/New World Records, 1996) constitue un bon point d’entrée dans leur discographie.
Pour citer cet article
Yves Citton, « Travestir les travestissements : Hommage aux poétesses et aux Tiptons », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Poésie, Danse & Genre » [En ligne], n°1|Printemps 2012, mis en ligne en Mai 2012.
URL. http://www.pandesmuses.fr/article-travestir-102542223.html ou URL. http://0z.fr/Js28O
Pour visiter les pages/sites de l'auteur(e) ou qui en parlent
Yves Citton - Université Stendhal-Grenoble 3
Yves Citton - Littérature - France Culture
Auteur(e)
Vidéos choisies par l'universitaire Yves Citton
Exclusivité
Texte inédit
Les contraintes et l’envol
Notes brèves sur Cecilia Bengolea, François Chaignaud,
la danse, le genre et la poésie
Michel Briand
1. Euripide dans les cintres : Castor et Pollux (2010)
(Bienveillantes à la peau noire, vous qui ) / vous élancez à travers l’éther vaste, châtiant / le crime de sang, châtiant le meurtre, / je vous supplie, je vous supplie, / d’Agamemnon / laissez le fils oublier la rage / de sa folie délirante. Hélas, à quelles peines, / malheureux, t’es tu adonné et livré, / quan dtu as accueilli la parole du trépied que Phoibos a proclamé, sur le sol / où se trouvent, dit-on, les replis du nombril du monde …
Je me lamente, je me lamente, / la grande prospérité n’est pas stable, chez les mortels. / Comme la voile d’un navire rapide qu’agite une divinité / et il la submerge de peines terribles, comme dans les vagues violentes et destructrices de la mer .
Telle est une traduction possible des vers 321-331 et 339-334 de l’Oreste d’Euripide (408 avne). Dans le premier stasimon de la tragédie connue, dès l’Antiquité, pour sa musicalité virtuose. Ces vers sont accompagnés d’une notation ancienne, dans le papyrus Wien G 2315, publié à la fin du XIXe siècle, et ce chant, de genre enharmonique, est l’un des plus anciens auxquels on puisse redonner vie, en grec ancien. Et c’est ce que chantent, du haut de leurs trapèzes actionnés de câbles et filins, Cecilia Bengolea et François Chaignaud (CB et FC), dans leur pièce à l’intitulé mythologique, Castor et Pollux. Comme un chœur réduit à un duo, visible pour le public, allongé au sol, non pas d’en haut, mais de dessous, le visage tourné vers un ciel obscur. La voix descend des cintres, au lieu de s’élever de l’orchestra, et, prononcées par des modernes qui ne pratiquent pas leur langue archaïque, ces plaintes sont troublées, soufflées, incarnées par des corps en flux rapide, acrobatiques descente et remontée. Le public non averti reconnaît peut-être des mots (Agamemnonos) et repère les répétitions pathétiques (kathiketeúomai « je supplie » et katolophúromai « je me lamente »). La mélodie poignante, passée au filtre d’une suffocation, affecte le public, accompagnée de timbres complexes, de distorsions graves ou suraiguës, puis fragmentée, animalisée, en éclats de chants d’oiseaux avides ou blessés, de grognements menaçants ou fragiles. Comme les sirènes odysséennes, qui sont des monstres ailés. Cette danse est poétique : elle transmet la force de la tragédie, où le destin de héros transportés d’hybris, et toujours chutant, peut prendre aux tripes le public, ému d’horreur et d’empathie cathartiques. Avec une différence : la tragédie d’Euripide finit bien, comme souvent les tragédies grecques, et son dénouement est comique ; la danse moderne (le Castor et Pollux de 2010), d’une liberté artistique revendiquée, n’est pas un rite d’institution politique ou religieuse mais un spectacle, d’abord. Du moins pour le spectateur post-moderne qui résisterait à ces envols et précipitations folles et préfèrerait le plaisir un peu mou d’une bonne distance. Mais certains spectateurs lâchent prise et se laissent participer, par leur corps même, à ce jeu de métamophoses vectorielles, qui offre le plaisir d’un élan puissant d’humanité héroïque.
2. Des marionnettes de chair et de souffle
Car il peut s’agir d’un rite purgatif, renforcé par la position contemplative proposée au public, une theorie au sens étymologique, l’observation en contre-plongée d’un monde en mouvement harmonique et tendu, un kosmos d’idées, d’apparences en circulation. L’identification émotionnelle et kinesthésique avec les danseurs acrobates est intensifiée par le dispositif : ce ciel n’est pas un espace de liberté, puisque ce sont les manipulateurs au sol, deux de chaque côté, qui, dirigent les corps, soumis, mais aussi capables de décisions. Les dieux qui maîtrisent les corps sont au sol, les marionnettes en l’air, les uns résistent aux autres, répondent à leurs sollicitations et résistances, dans une dialectique sans fin. Et, comme le dit Kleist (Sur le théâtre de marionnettes), ce type de contrainte, entre rigueur et souplesse, provoque la grâce, le jeu quasi-divin du corps avec la pesanteur, toujours à reprendre, toujours à assurer (comme en escalade). Ici, les danseurs sont des marionnettes, aux gestes d’innocence et de grâce, au-delà ou en deçà de l’intention, trop humaine, mais, en même temps, ce ne sont pas que des pantins : ils chantent, s’accrochent, communiquent d’un regard, d’une main, d’un pied, s’entremêlent et se séparent, jouant un jeu de hasard et de stratégie, entre infini et limites, stupeur animale, élan sublime. Donc marionnettes de chair et de souffle, corps énergisés et mécaniques, et d’un état à l’autre, en passage, entre deux, comme une image troublée, en mouvement, du spectateur lui-même, au sol. L’héroïsme d’une condition humaine, fragile et vigoureuse, bestiale et spirituelle, hasardeuse et normée, voire masculine et féminine, telle que la donnent en spectacle ces deux étoiles monstrueuses, à la peau diaprée et grisâtre, selon l’instant.
3. Des étoiles et des monstres.
Les noms Castor et Pollux désignent les étoiles principales de la constellation des Gémeaux, qui, dit-on, passent alternativement l’une devant l’autre, comme les deux frères héroïques, les Dioscures (« garçons de Zeus »), ont alterné, avant leur catastérisme, séjour de six mois aux cieux et aux enfers. Selon la version courante, leur mère, humaine, Léda, épouse de Tyndare à Sparte, et aimée de Zeus, sous forme de cygne, a donné naissance au couple Hélène - Pollux, immortels, puis à Clytemnestre et Castor, mortels : à la mort de son frère, Pollux intercéda pour partager avec lui l’immortalité et la mortalité. Les « jumeaux », participants émérites à l’expédition des Argonautes, sont des figures exemplaires de l’athlétisme, et, plus largement, du cycle du temps, et des protecteurs de la navigation. Ces noms évoquent une constellation de valeurs, dont le spectacle ne parle pas, comme une allégorie dramatique en demande d’interprétation, mais qu’il incarne en acte, du début à la fin, quand les danseurs trapézistes se cherchent, se poursuivent, s’agrippent et s’étreignent, s’embrassent puis se repoussent, ou encore, dans leurs mouvements voulus et empêchés, et leurs déplacements, lents et retenus, ou féroces et fulgurants, s’esquivent et s’évitent, se manquent, se heurtent, à répétition. L’apothéose céleste aboutit à une soumission tremblée aux cycles du destin, qui triomphe, comme l’ensemble du dispositif le montre, figurant, tissée de câbles et rayons lumineux, l’anánkê grecque, la nécessité, d’autant plus pathétique et fixée qu’elle se met en scène dans le mouvement infini des astres. Et qu’elle se montre et se crie comme le contraire du divin, l’animal, le désordonné, l’inconséquent, dans une pièce de quarante minutes où l’ordre fatal s’exhibe, par exemple dans les costumes des manipulateurs, grands prêtres de fantasy ou divinités de cultes oubliés, mêlés d’incertitude et de fragilité voulues. Le destin des étoiles et monstres mythiques (qu’on montre, avec horreur et fascination) est une machine infernale, autant qu’une cérémonie mystérieuse, en partie parodiée. Grand spectacle réglé, au-dessus et sur nous, mais aussi inquiétudes et failles de ce qui fait de ces pantins volants des corps vifs. La poésie occidentale, dès ses origines grecques, chez Euripide, s’affronte à cette tension ; la chorégraphie contemporaine, aussi, mais d’abord par le corps dansant et ce qu’on peut en sentir.
3bis. CB et FC savent aussi penser et parler, comme le montrent leurs commentaires écrits ou leurs réponses à des entretiens. Il y a chez eux de la méta-danse, réflexive et réfléchie, empreinte d’histoire et d’engagement esthétique/éthique. Mais (ou de ce fait même) quand ils dansent, ils dansent, et face à Castor et Pollux (ou en dessous) le critique doit (et peut) devenir un spectateur plastique et engagé, un humain observant deux étoiles héroïques et monstrueuses, et vivant avec elles un moment hors du commun. La poésie textuelle ne vient que dans l’après-coup, dans les traces, avec ses imperfections. Un commentaire ne remplace pas l’expérience. Il tente d’en transmettre des frissons.
4. Une transe de lenteur et de retenue. Sylphides (2009)
Une année avant l’envol contraint de Castor et Pollux, on a pu ressentir l’oppression noire des Sylphides. Une autre transe, froide, issue d’une extrême retenue du souffle et du geste, aussi exhibée que la performance au titre mythologique, mais infiniment plus douloureuse. La contrainte n’est plus filaire et manipulée, elle est une seconde peau de latex, si serrée qu’elle se confond avec la première et que le corps devient matière plastique, modelable par sa surface et dans sa masse, comme la peau est le profond de l’être humain, « en tant qu’il se connaît » (Paul Valéry). Les trois danseurs, car là aussi ils / elles dansent, puisque leurs corps et leurs souffles jouent avec ce qui les enserre, en leur offrant la résistance utile au mouvement des viscères et de la respiration, puis des volumes de chair et d’os, le trio donc agit, dans les limites de la noirceur lumineuse qui les façonne, quand chacun, des deux danseuses et du danseur (neutralisés par une surface élastique similaire ?), anime et réveille un membre ou l’autre, puis se lève, et, grâce au souffle reversé dans ces enveloppes, par une divine machine qu’actionne une Moire attentive, redevient un corps vivant, à l’intérieur d’un sac gonflé d’air, puis en dehors.
4bis. Les préliminaires devenus spectacle
Dans les Sylphides, il y a une seconde partie, dont l’exubérance joyeuse, de bras levés en attitude, sourires lumineux et sauts spiralés, répond à l’intitulé, au parfum néo-romantique ou moderne, entre émerveillement, fraîcheur et jubilation pastorale ou sylvestre, qu’on pense à la Sylphide de 1832 et à ses avatars (Théophile Gautier : « des ronds de jambe et des ports de bras qui valent de longs poèmes ») ou aux Sylphides de 1909, par Fokine pour les Ballets Russes. En 2009, chez CB et FC, cette floraison finale était peut-être, dans un premier temps, le centre de la pièce, un rituel de libération dont les limbes de latex étaient la préparation, un travail initialement réservé aux coulisses, en amont du spectacle, un hors-scène, un obscène préliminaire qui intensifie les sensations exhibées ensuite. Mais les spectateurs auraient manqué l’essentiel de cette éclosion, s’ils n’avaient partagé les exercices préparatoires, au point de craindre, voire de ressentir en eux-mêmes, le risque de l’étouffement, la discipline fondamentale, typique du ballet classique, que le spectacle devenu traditionnel voile de tulle et de grâces. Ce long préambule, monstration de chrysalides sombres, forme le fond noir et brillant sur lequel peut se détacher le rose et pastel mat qui, enfin, fleurit la scène. Ainsi que, notamment, la chevelure botticellienne de FC. La référence tragique est encore là, sourde, dans ce hiératique éveil qui mène à une explosion bacchante, au moins pour le spectateur, puisqu’il s’agit d’une libération, aux sources contraintes elles-aussi. Heureusement, la fin est joyeuse et change, en retour, l’expérience précédente. Un mouvement inverse aurait été sinistre, un « no future » sans humour, une déchéance entropique toujours possible sur scène, mais qui, peut-être, serait inadaptée à la force de vie, pathétique et comique, sensible en tout cas, qui parcourt les pièces ici évoquées.
4ter. Poétiques du noir et du rose
Tout ce rose de la fin, dans les costumes comme sur la peau nouvellement venue à la lumière, après la gestation du début, est plus que rose, du fait de son apparition sur une scène au sol noir et de sa naissance hors d’une matière elle-même plus que noire, morte et luisante, un linceul organique et originel, inversé par rapport au voile blanc qui couvre un cadavre. Le corps mourant, en « agonie » (combat, lutte, sportive mais aussi existentielle), et en angoisse, est à l’origine de la vie, plutôt qu’à sa fin, dans ce rite évocatoire qu’on imagine comme profondément, et superficiellement, par la peau, optimiste. La contrainte de départ, si longuement larvaire, fait de l’illumination éphémère (« sur un seul jour ») de la fin, une vie de bonheur, courte mais intense, à la façon d’un envol frénétique de papillon, qui sait et sent qu’il ne vit qu’un instant et le danse, sans économie ni mesure. Il y a là une dimension utopique qui transporte, à la fin, et sauve ce qui précède de la pire souffrance, celle qui n’aboutit à rien.
5. Du trouble dans la performance
Judith Butler, dans Trouble dans le genre, fait de l’identité (sur le plan sexuel, érotique, genré) une construction culturelle et sociale, liée à l’appartenance à une communauté active, mais surtout une performance, construction et présentation de soi (corporelle et discursive) toujours à refonder, réorienter, comme un réel processus de subjectivation. Proche d’un mouvement queer, désigné par l’insulte (« tordu ») reprise en défi par ses acteurs, la philosophe critique fait du drag une figure de la performativité du genre, en tant que rôle, poétique (de soi) au sens étymologique. Et l’intérêt profond de CB et FC pour ces questions, et pour celles / ceux qui les incarnent et les vivent, les a fait collaborer à des projets collectifs, de structure rhizomatique, et non pyramidale, où le chorégraphe se dissout, au profit de performances individuelles, issues du vogueing, ou d’une danse orientale, d’un spectacle de cabaret, d’une opérette, d’un hip-hop hybrides, alternatifs et rebelles … On pense à la soirée multiforme Dans le collimateur, présentée le 28 janvier, au Théâtre Auditorium de Poitiers, avec des performeurs singuliers, Sothean Nhieim, Marle Monteira Freitas, Ylva Falk, Alex Mugler ou Alexandre Paulikevitch … Il s’agit de danser avec les normes, du sexe et de la danse, précisément du genre, au double sens du terme, du moins en français, genre sexuel et genre chorégraphique.
5bis. Fleurs de sexe I : (M)IMOSA (2011)
C’est ce qui se passe dans (M)IMOSA Twenty Looks or Paris is Burning at the Judson Church (M) (2011). La contrainte fondamentale, par rapport à laquelle se construit la danse, est par exemple celle que subissent de jeunes gays latinos ou noirs, pauvres, à cause de leur inadéquation, de leur incorrection par rapport aux assignations de genre reconnues, et par leur travail de résistance politico-festive : n’ayant rien à perdre, face au mépris, leur affirmation de soi comme sujet (individuel et collectif) passe par l’inversion de l’injure, devenue définitoire, la promotion de l’indécidable et le passage à la limite et à l’entre deux instable, dans la gestuelle (mains maniéristes et cambrure dionysiaque), l’état de corps (mollesse désinvolte et tension violente, et surtout passage de l’une à l’autre), le maquillage, la coiffure ou les costumes (là aussi, de l’overall monochrome strict, noir ou chair, aux superpositions et échafaudages baroques ou disco-cyberpunk). Ces affaires de danse, dans le cadre de ce que Karine Saporta a pu appeler « danses de résistance » (hip-hop, flamenco, tango authentiques …), sont sérieuses : les gay prides qui commémorent, parfois en l’oubliant, les émeutes de Christopher Street, à New York, en 1969, contre le harcèlement policier, saluent, la fierté des insoumis (leur empowerment) dont l’avant-garde était une troupe colorée de travailleurs du sexe en tout genre, d’efféminés triomphants ou timides, d’usagers de drogue, d’artistes pauvres … De même dans la lutte communautaire contre l’épidémie de sida, le malade est devenu « un réformateur social », comme le disait Daniel Defert, fondateur de l’association Aides et ancien compagnon de Michel Foucault. Éloigné de la danse en apparence, mais qui a vu danser, sur scène ou dans la rue, certaines Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, sublimes malades, consolatrices, agressives, gothiques, voit un peu ce dont il est question dans (M)imosa. Les contraintes sont d’autant plus fortes qu’elles concernent la vie même des performeurs, plus que seul spectacle.
5ter. Fleurs de sexe II : Pâquerette (2008)
Dans l’intitulé développé de la pièce, Paris is Burning (titre du film documentaire de 1990, sur le vogueing) est transporté at the Judson Church, lieu fondateur de la post-modern dance, encore à New-York, dans les années soixante, autour de Trisha Brown ou Yvonne Rainer. Il s’agit d’une autre rébellion contre les normes du spectacle et d’une autre intégration de la danse dans la vie, ou de la vie dans la danse, comme l’implique aussi l’action d’Anna Halprin : de la logique des scores, directives exploratoires/compositionnelles/expressives (dans Parades and Changes, en 1965, où se dynamisent tâches à réaliser et jeux à créer), aux dernières actions et performances à visée thérapeutique et politique que résume Moving toward Life, 1995. Et CB et FC sont peut-être sensibles à cette affiliation politique et émotive, qu’ils radicalisent. Dans Pâquerette, 2008 (titre du ballet-pantomime d’Arthur Saint-Léon, créé en 1851, sur un livret de Théophile Gautier, intrigue amoureuse et sociale, sur fond de village en fête puis de ville de garnison), on retrouve, comme dans Sylphides, la tentation complexe (parodique mais aussi nostalgique ?) du ballet romantique, voire baroque, l’emploi de contraintes corporelles fortes et la mise en scène de questions sexuelles vives. Cette pièce se focalise sur l’anus, comme organe dont la pénétration, avec les doigts ou un godemichet, est rarement mise en scène en danse, contemporaine ou non. La dialectique de la contrainte et de la libération, du défi et de la soumission, de la résistance aux normes et de la référence (culturelle / politique, esthétique / éthique), du spectaculaire et de l’intime, est revendiquée, exposée, soulignée et en même temps troublée et voilée, par les postures, les expressions du visage, les souffles, gémissements ou rires. Le spectateur hésite entre plusieurs sentiments et interprétations et peut apprécier cette incertitude, ou s’en agacer : innocence / feintise, engagement / humour, violence / jeu. D’une création l’autre, il n’y a pas une évolution linéaire mais plusieurs fils qui trament un ensemble cohérent et variant à la fois.
6. Plasticité vivante au néon. Duchesses (2009)
Dans Duchesses, FC forme un duo, non pas avec CB, mais avec Marie-Caroline Hominal, qui, sur son site web (madmoisellemch) présente la pièce avec un sous-titre cosmologique : Vehicle of the Universe / constant minimal hooping. La contrainte est énergétique et mécanique, celle des mouvements incessants que doit accomplir chaque danseur pour entraîner son hoola-hoop dans une révolution sans fin ( quarante minutes), mais aussi physiologique et émotive, celle de la nudité totale des deux performeurs et de la dureté métallique des socles brillants sur lesquels ils se produisent, illuminés/obscurcis de néons variables et d’ombres portées. Comme dans Castor et Pollux et Sylphides, le spectateur assiste à une transe, provoquée par un dispositif contraignant/libérateur, et, s’il accepte d’être transporté par une telle empathie kinesthésique, il participe lui-même de cette transe. D’autant plus intensément que l’apollinien (effets de sculpture antique marmoréenne, apaisée) se mêle au dionysiaque (yeux en extase, cassures du cou, cambrures excessives), ainsi qu’à d’autres références diverses, baroques ou pop, et que la répétition à l’extrême du même mouvement spiralé, centré sur le bassin, fait des deux danseurs des hybrides de statues et d’animaux humains, encore similaires à des êtres de fiction mythologique ou fantastique.
7. Épilogue : rites de délivrance et d’ajustement. Danses libres (2010)
Un dernier exemple fera peut-être savourer cette tension entre l’archaïque et l’hypermoderne, qui, selon Giorgio Agamben, définit le véritable contemporain, et pourrait éclairer, indirectement, les recherches observées ici :
« Les historiens de l’art et de la littérature savent qu’il y a entre l’archaïque et le moderne un rendez-vous secret, non seulement parce que les formes les plus archaïques semblent exercer sur le présent une fascination particulière, mais surtout parce que la clé du moderne est cachée dans l’immémorial et le préhistorique. (…) C’est en ce sens que l’on peut dire que la voie d’accès au présent a nécessairement la forme d’une archéologie. » « C’est comme si cette invisible lumière qu’est l’obscurité du présent projetait son ombre sur le passé tandis que celui-ci, frappé par le faisceau d’ombre, acquérait la capacité de répondre aux ténèbres du moment. » (Qu’est-ce que le contemporain ?).
Avec CB et FC, nous voyons une danse engagée dans l’extrême présent, tissée de provocations, rébellions, douleurs, affirmations fortes, mais aussi de paillettes ballroom et de rires transgenres, comme dans la durée fondamentale, en quête d’une nature et de corps convulsifs ou somnambuliques, et de couleurs et d’énergies élémentaires, vibrantes. Ce qui apparaît dans les Danses libres, où sont réveillées, par les chorégraphies de Malkovsky, les aspirations d’Isadora Duncan à la réconciliation et la communion de danseurs en harmonie avec leur propre corps, les autres et leur environnement. Dans la simplicité nue du plaisir d’aller mieux et de le sentir en mouvement.
Le jeu avec les règles et mesures, par d’autres contraintes, douces en apparence mais fortes au fond, fait de ce type de performance une expérience hors-normes, pour les danseurs et pour le public. C’est une danse entre deux : au delà et en deçà des genres, des mouvements esthétiques, des injonctions traditionalistes ou post-modernes. Mêlant archaïque et contemporain, éphémère et vital, humain, fantomatique et bestial, pudique et obscène, cette création, comme un mouvement spiralaire, de pièces en performances, relie poésie (poiêsis) et danse à plusieurs niveaux : celui de l’invention des contraintes physiques, mentales, affectives ou spectaculaires qui provoquent en retour émancipation ou catharsis ; celui de la création et transformation de soi et des autres, par l’expérimentation radicale et pourtant, en alternance, bienveillante, voire sans-gêne ; celui, surtout, de la composition, mise en ordre, en scène, en mouvement, de forces et formes venues de loin et reformulées, transfigurées, ici et maintenant. Pour revenir, en boucle, au chant d’Euripide, on peut affirmer que cette danse est fondamentalement classique : elle tente de trouver, plutôt que des modèles normés et conformistes (tels qu’en créent certains néo-classiques ou post-modernes), une énergie austère et des exercices rigoureux qui aident à faire avancer, y compris en alliant dérision et tragique, suivant des gestes à la fois sensibles et pensés, vivants donc, sous une apparence futile ou dure. Cette danse est une poésie classique, en ce sens.
Références bibliographiques
AGAMBEN Giogio, Qu’est-ce que le contemporain ? (trad. M. Rovere), Rivages, 2008.
BÉLIS Annie, « Euripide musicien », in Georges-Jean PINAULT (dir.), Musique et poésie dans l’Antiquité, Erga, PU Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, p. 27-52.
BRIAND Michel, « Décrire, peindre, évoquer la mythologie classique : de Cy Twombly à Philostrate, et retour », in P.-C. Buffaria & P. Grossi, Réinventer les classiques / Reinventare i classici, Cahiers de l'hôtel de Galliffet, 2010, p. 113-129; « Amphion et la danse des pierres : sur un discret dialogue entre Philostrate et Paul Valéry », in S. Ballestra-Puech, B. Bonhomme & Ph. Marty (éds.), Musées de mots. L'héritage de Philostrate dans la littérature occidentale, Droz, 2010, p. 113-136; « Interplays between Politics and Amateurism : Ritual and Spectacle in Ancient Greece and some Post-modern Experiments (Castellucci, Bagouet, Duboc, Halprin) », (SDHS 2010 Conference, Dance and Spectacle, Guilford/London) : http://sdhs.scripts.mit.edu/
BUTLER Judith, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion (trad. C. Kraus, de Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity, 1990), La Découverte, 2005.
FRIMAT François, « Danse avec le genre », in « Genre et sexe : nouvelles frontières ? », revue Cités, 44, 2010, p. 77-89.
HALPRIN Anna, Mouvements de vie (trad. E. Argaud et D. Luccioni, Moving Toward Life, 1995), Contredanse, Bruxelles, 2009.
KLEIST Heinrich von, Sur le théâtre de marionnettes (trad. B. Germain), Sillage, 2010.
VALÉRY Paul, L’idée fixe ou Deux hommes à la mer, 1933, repris dans Œuvres complètes II, La Pléiade, Gallimard, 2004.
William MARX, Le tombeau d’Œdipe. Pour une tragédie sans tragique, Minuit, 2012.
Pour citer cet article
Michel Briand, « Les contraintes et l’envol. Notes brèves sur Cecilia Bengolea, François Chaignaud, la danse, le genre et la poésie », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Poésie, Danse & Genre » [En ligne], n°1|Printemps 2012, mis en ligne en Mai 2012.
URL. http://www.pandesmuses.fr/article-contraintes-102659955.html ou
URL. http://0z.fr/cYWf6
Pour visiter les pages/sites de l'auteur(e) ou qui en parlent
[PDF]
http://www.aplaes.org/node/289
Auteur(e)
Michel Briand
Michel Briand, professeur de langue et littérature grecques à l’Université de Poitiers, équipe de recherche EA 3816 FoReLL (Formes et représentations en linguistique et littérature). Domaines de recherche et d’enseignement : poésie et fiction, rhétorique, histoire des représentations et du corps, dialogue des arts et danse, dans l’Antiquité grecque et dans les références modernes et contemporaines à l’Antiquité. Nombreux travaux p. ex. sur Homère, Pindare, la poésie alexandrine, Lucien de Samosate, le roman ancien, la relation texte/image, le genre, le regard, la danse, Paul Valéry…
RÉCEMMENT, LE SITE « PANDESMUSES.FR » A BASCULÉ EN HTTPS ET LA DEUXIÈME PHASE DE SA MAINTENANCE PRENDRA DES MOIS VOIRE UN AN. NOTRE SITE A GARDÉ SON ANCIEN THÈME GRAPHIQUE MAIS BEAUCOUP DE PAGES DOIVENT RETROUVER LEUR PRÉSENTATION INITIALE. EN OUTRE, UN CLASSEMENT GÉNÉRAL PAR PÉRIODE SE MET PETIT À PETIT EN PLACE AVEC QUELQUES NOUVEAUTÉS POUR FACILITER VOS RECHERCHES SUR NOTRE SITE. TOUT CELA PERTURBE ET RALENTIT LA MISE EN LIGNE DE NOUVEAUX DOCUMENTS, MERCI BIEN DE VOTRE COMPRÉHENSION !
LUNDI LE 3 MARS 2025
LE PAN POÉTIQUE DES MUSES
Dernière nouveautés en date :
VOUS POUVEZ DÉSORMAIS SUIVRE LE PAN POÉTIQUE DES MUSES SUR INSTAGRAM
Info du 29 mars 2022.
Cette section n'a pas été mise à jour depuis longtemps, elle est en travaux. Veuillez patienter et merci de consulter la page Accueil de ce périodique.
Numéros réguliers | Numéros spéciaux| Lettre du Ppdm | Hors-Séries | Événements poétiques | Dictionnaires | Périodiques | Encyclopédie | Notre sélection féministe de sites, blogues... à visiter
pandesmuses.fr ©Tous droits réservés
ISSN = 2116-1046. Mentions légales