6 avril 2020 1 06 /04 /avril /2020 17:57

Megalesia 2020 | S'indigner, Soutenir, lettres ouvertes, hommages, etc.

 

 

 

​Le poète italien

 

Mario Benedetti

 

foudroyé par

 

le Covid-19 

 

 

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète, artiste peintre*

​​​​​​

 

@ Crédit photo : Mario Benedetti,

image founie par Mustapha Saha.

 

 

 

 

J’apprends la mort, le vendredi 27 mars 2020, du poète italien Mario Benedetti à l’âge de soixante-quatre ans. Le Covid-19 l’a emporté comme un souffle de vent. La disparition de ce poète majeur passe sous silence dans la presse française, pour la plus terrible des raisons, par ignorance. Un éditeur, contaminé par le néolibéralisme, m’écrivait récemment : « La poésie n’entre pas dans les lois du marché ». Les éditeurs métropolitains ont refusé, jusqu’à présent, de publier des traductions. J’écris cet hommage, patchwork de résurgences, comme une urgence. Un écrivain d’une rare humilité, sur lequel les sollicitations médiatiques n’avaient aucune prise.  Se distillent les réminiscences, les évanescences, les nitescences. La maladie, inséparable compagne depuis l’enfance. La douleur. La lenteur. La douleur ne se dit pas. Elle ruisselle. Naufrage de la mémoire avant qu’elle ne se constitue en barque. Isis se perpétue dans  la figure de la mère. « La pierre s'enfonce sans la corde autour du cou /
Affleurent en cercles les mots sur ses lèvres / Mais peu importe, peu importe / Quelques voyelles, le long du visage blanc /
Et noire de cheveux sa lumière / Blottie sur elle-même, Effondrée sur le côté. / Derrière toi, et devant, et au delà, il n'y a rien » (Mario Benedetti, Pitture nere su carta, Peintures noires sur papier, éditions Mondadori, Milan, 2009). Regarder la dernière cigale. Se réfugier dans les monosyllabes et se dissoudre dans les intervalles.

 

L’enfance, des contes de fée s glanés par la fenêtre. « Le silence du souffle », titre d’un recueil, dit tout d’une manière d’être, d’une éthique inébranlable, jusqu‘au dernier soupir. L’anamnèse du chaos glisse  ses stigmates dans les phrases fragmentées, les pudeurs tourmentées, les émotions sédimentées. Les images se dispensent d’abstractions métaphoriques. Une pauvreté des choses venues du pays proche et lointain, chimère territoriale, hantée par ses mirages. Le Frioul natal, si famélique qu’il s’ébranle à peine pendant les tremblements de terre. Dans « Umana gloria, La Gloire humaine, éditions Mondadori, 2004 », le poète restitue son témoignage, bribe par bribe, que dis-je ?, molécule par molécule. Des virus se promènent entre les lignes. Les souvenirs s’entrechoquent.  Les paysages s’entrecroisent. Les personnages, morts et vivants, s’entremêlent. Le rêve et la réalité s’amalgament.

Gouttelettes de rosée suspendues sur langue prosaïque. La littérature pratiquée comme une ascèse. Dans « Peintures noires sur papier », l’écriture se déchire, la syntaxe se lacère. La précarité, la misère, l’incertitude déroulent leurs ombres déboussolantes. Les mots, ultimes traces vivantes, tressaillent sur les lambeaux de la culture. Dans « Tersa morte, éditions Mondadori, 2013 », l’expérience extrême, mortifère, quotidienne, anonyme, se partage sans détours stylistiques. «Voir la vie nue / En parlant une langue pour dire quelque chose ». Tout est absence parfaite, si parfaite qu’elle remplit le vide, le silence, la présence. Chaque mot, après avoir traversé la mort, retombe, lourd comme un rocher décroché d’une montagne immuable. Les mots se fissurent. Les versets se brisent. La syntaxe se désintègre. Le poème disparaît, là-bas, dans l’inexplorable perspective. La déflagration de la mort dans la vie,  explicitée, clarifiée, épurée. La douleur hallucine. La mort déracine. « Dire une mort limpide, limitée dans son déroulement ». Le livre, autre expression de la mort, majestueuse épitaphe aux mots. « Combien de mots sont partis. La mer n’est pas l’étendue d’eau d’ici-bas. Mourir. Il n’y a rien à vivre. Il n’y a rien. Mes paroles se retirent…  Et la question revient. Vous ne saurez pas que vous êtes mort / Vous ne serez pas / Nous ne dirons rien / Vous ne serez pas, vous ne serez plus ici / Absence parfaire ». Les morts ignorent le deuil. Le deuil est une parcelle de vie. « Pleurer sa mère, c’est pleurer son enfance… La mort révèle l’amour… l’inconsolable pleure l’irremplaçable » (Vladimir Jankélévitch, La Mort, éditions Flammarion, 1966). « Voyageur, ce sont tes traces le chemin et rien de plus / Voyageur, il n’y a pas de chemin, on trace son chemin en avançant / En marchant, on trace le chemin et  en jetant un regard derrière / On voit le sentier que plus jamais on aura l’occasion d’emprunter / Voyageur, il n’y pas de chemin, seulement un sillage dans la mer » (Antonio Machado, 1875 – 1939).

 

 

 

*Nouveau livre : Mustapha Saha, "Haïm Zafrani, Penseur de la diversité" , éditions Hémisphères / éditions Maisonneuve & Larose, Paris, 2020.

 

***

 

Pour citer ce texte

 

​Mustapha Saha, « Le poète italien Mario Benedetti foudroyé par le Covid-19 », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Megalesia 2020, mis en ligne le 6 avril 2020. Url : http://www.pandesmuses.fr/megalesia20/hommage-mario-benedetti

 

Mise en page par David Simon

 

© Tous droits réservés                                 Retour à la Table de Megalesia

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Megalesia

Bienvenue !

 

RÉCEMMENT, LE SITE « PANDESMUSES.FR » A BASCULÉ EN HTTPS ET LA DEUXIÈME PHASE DE SA MAINTENANCE PRENDRA DES MOIS VOIRE UN AN. NOTRE SITE A GARDÉ SON ANCIEN THÈME GRAPHIQUE MAIS BEAUCOUP DE PAGES DOIVENT RETROUVER LEUR PRÉSENTATION INITIALE. EN OUTRE, UN CLASSEMENT GÉNÉRAL PAR PÉRIODE SE MET PETIT À PETIT EN PLACE AVEC QUELQUES NOUVEAUTÉS POUR FACILITER VOS RECHERCHES SUR NOTRE SITE. TOUT CELA PERTURBE ET RALENTIT LA MISE EN LIGNE DE NOUVEAUX DOCUMENTS, MERCI BIEN DE VOTRE COMPRÉHENSION ! 

LUNDI LE 3 MARS 2025

LE PAN POÉTIQUE DES MUSES

Rechercher

Publications

Dernière nouveautés en date :

VOUS POUVEZ DÉSORMAIS SUIVRE LE PAN POÉTIQUE DES MUSES  SUR INSTAGRAM

Info du 29 mars 2022.

Cette section n'a pas été mise à jour depuis longtemps, elle est en travaux. Veuillez patienter et merci de consulter la page Accueil de ce périodique.

Numéros réguliers | Numéros spéciaux| Lettre du Ppdm | Hors-Séries | Événements poétiques | Dictionnaires | Périodiques | Encyclopédie | ​​Notre sélection féministe de sites, blogues... à visiter 

 

Logodupanpandesmuses.fr ©Tous droits réservés

 CopyrightFrance.com

  ISSN = 2116-1046. Mentions légales

À La Une

  • Invitation à contribuer au festival Megalesia (édition 2025)
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Appels à contributions | Agenda poétique Invitation à contribuer au festival Megalesia (édition 2025) Crédit photo : Berthe (Marie Pauline) Morisot (1841-1895), « J ulie-daydreaming...
  • Le Temple de la Maison des Pages (I)
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Critique & réception / Chroniques de Camillæ | Dossier majeur | Articles & témoignages & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Dossier Le Temple de la Maison des Pages (I) Épisode...
  • Avis de​ parution du recueil « Au Pieu » de Selim-a Atallah Chettaoui suivie de l’entretien réalisé avec l’artiste
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Entretiens poétiques, artistiques & féministes | Poésie, musique & art audiovisuel | Handicaps & diversité inclusive & REVUE ORIENTALES (O) | N° 4-1 | Entretiens Avis de parution...
  • La rose de Jéricho, roman de Louise Devise, paru aux éditions Maurice Nadeau
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Dossier majeur | Articles & témoignages / Critique & Réception | Voix-Voies de la sororité La rose de Jéricho, roman de Louise Devise, paru aux éditions Maurice Nadeau Critique...
  • Séisme des consciences en terres de certitudes
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | II — « Poésie volcanique d'elles » / Le Printemps des Poètes | Florilège | Astres & animaux / Nature en poésie Séisme des consciences...
  • Mostafa Nissabouri. Le premier poème
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | Muses au masculin Mostafa Nissabouri. Le premier poème Texte & peintures par Mustapha Saha Sociologue, artiste peintre & poète © Crédit photo : Mustapha Saha, « Mostafa Nissabouri...
  • Mise au point sur Toumliline
    N° I | HIVER-PRINTEMPS 2025 | INSPIRATRICES RÉELLES & FICTIVES | 1er Volet | S’indigner, soutenir, Lettres ouvertes & hommages Mise au point sur Toumliline Lettre ouverte par Mustapha Saha Sociologue, artiste peintre & poète Photographies par Élisabeth...
  • Vous y croyez, vous, aux miracles ? 
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | I — « Rêveuses » | Florilège Vous y croyez, vous, aux miracles ? Texte & peintures de Sarah Mostrel Site : https://sarahmostrel.wordpress.com...
  • 2025 | Attribution du Prix Littéraire Dina Sahyouni
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | Distinctions 2025 | Prix Poétiques attribués par la SIÉFÉGP le 8 Mars Attribution du Prix Littéraire Dina Sahyouni Le Prix International...
  • 2025 | Attribution des Prix Internationaux, Poétiques et Artistiques Orientales (Revue Poéféministe)
    Événements poétiques | NO II Hors-Série | Festival International Megalesia 2025 « Rêveuses » & « Poésie volcanique d'elles » | Distinctions 2025 | Prix Poétiques attribués par la SIÉFÉGP le 8 Mars 2025 | Attribution des Prix Internationaux, Poétiques...