Réception & Critique |
Bleue comme la mer,
comme l'encre suave...
À propos du recueil Lettres à Bleue
d'Aurélie-Ondine Menninger
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Dina Sahyouni |
©Crédit photo : Marionnette par Aurélie-Ondine Menninger
Cette œuvre a été créée pour un film islandais : " Syndadansinn for solo piano" (sur You Tube)
©Crédit photo : Couverture-Lettres à Bleue
« Ma petite Bleue, es-tu ma sœur, mon double, mon souvenir ? Es-tu la rivière où je plongeais mes pieds, dont les reflets jouaient avec le miroir du soleil ? Es-tu Ennaïa..., cours-tu toujours ? Es-tu Blanche, Lou, es-tu toutes celles que j'ai fait naître un soir de tristesses, sous mes doigts ?... Es-tu une autre ? Es-tu la seule ?... N'es-tu pas encore ? Si tu savais, ma petite Bleue, ce qu'écrire me manque... » (Lettre 1, p. 7) |
Bleue comme l'encre suave, comme la mer, comme la mère, comme les bas-bleus d’antan… Blue comme l'écriture, comme la poésie, comme la blessure d'une âme qui chavire… Bleue est cette blessure bleue que l'on cache au fond de soi... Bleue est le féminin de bleu, son égale mythique... Un style épuré, des mots vivants, des émotions à l'état brut, de la poésie à couper le souffle, c'est cela aussi Lettres à Bleue.
Être étrangère à soi-même, être l’autre qui m’interpelle, qui me fait naître dans la langue, qui vient à ma rencontre, qui m’aime puis me réinvente… C'est cela aussi Lettres à Bleue.
Paru en mars 2013 sous le titre Lettres à Bleue aux Éditions Éditinter dans la collection « L’Échappée belle » dirigée par l’auteur Robert Dadillon, ce recueil est composé de 19 lettres-poèmes en prose qui décrivent entre autres la quête de l’épistolière Ondine de Bleue. C’est un ensemble de lettres écrites entre 2010 et 2012.
Ce recueil se lit d'une traite, nous projette sur l'autre rivage, celui qui parle aux plis les plus profonds de l'être. Là-bas, on se promène avec l'auteure Aruélie-Ondine Menninger transformée en nymphe des eaux Ondine*.
La Muse bleue de l'auteure est intemporelle, intouchable, palpable, une Galatée, un émoi devenu le moi qui advient lors de l’adresse dans le genre épistolier… Bleue est « l’âme », « l’enfant-fleur », « l’amie dansante », la danse des mots... C’est le Tango des poètes, la liberté qui les attire vers le précipice, vers l’abîme.
Bleue est aussi cette tâche d’encre qui colle à la peau de chaque femme qui écrit. L’expression du bas-bleuisme qui demeure, qui tâche et entiche celles qui écrivent dans l’histoire littéraire.
Le personnage Ondine est l’épistolière ou la destinatrice qui a besoin d’écrire à Bleue. Celle qui représente son reflet est celle qui lui ressemble et qui pourra la lire et la comprendre : c’est la destinataire Bleue.
Le fil rouge du recueil est le présent de l’écriture. Un lien viscéral lie cette femme auteur à l’écriture. Dans la présentation lumineuse et spirituelle de la mort, la destinatrice Ondine déborde de bonté à l’égard des femmes, des personnages minces, réduits aux prénoms et à quelques descriptions brèves.
Écrire pour Ondine, ne relève pas uniquement d’une nécessité absolue qui lui ouvre les portes de l’imaginaire (des vies parallèles et de l’errance), Écrire devient Vivre et traduit le sens des moments vécus. Écrire n’est plus Dialoguer avec l’autre mais Converser avec soi-même et avec les autres… Or, l’écriture permet cet état d’entre-soi et de l’entre-deux.
Comme l’on peut voir dans le fameux schéma de Jakobson, Lettres à Bleue est une machine à cloner. Elle clone sans cesse et simultanément la destinatrice et la destinataire tout en fabriquant des états d’entre-deux voire d’interstices.
Écrire est se créer, Écrire est s'assujettir et assujettir autrui... C’est exister et s’interpeller dans le langage ; les barreaux du récit de soi s’effacent… Le poème s‘étire en lignes et les lignes en espaces-lieux-moments de vie.
Le livre commence par la mise en scène d’un territoire imaginaire où l’épistolière sème les premiers mots de l’existence de Bleue. Elle est celle qui manque : la voie. L’adresse ‘’Chère enfant’’ crée cette parenté discursive ou au moins intellectuelle. Ondine s’affiche comme la mère de Bleue ou l’adulte par défaut... Celle qui détient l’autorité et qui représente la loi.
La femme poète nous la décrit puis crie son prénom et le répète en babillement d’enfant qui apprend à nommer les choses (voir pp. 32-33, 43-44). Elle apprend à nommer Bleue tel le bruissement des gouttes d'eau, telle la musique du soi apparaissant quelque part à l’intérieur du moi…
Dans le miroir de l’encre limpide qui devient eau, les modèles féminins défilent et prennent vie. Les lettres-poèmes créent un découpage rythmique haletant fort intéressant à étudier. De même, cette masse de vocabulaire cristallin résonne ici et là et au creux des pages.
Ce livre est composé de 19 lettres brèves d’une longueur variée qui couvrent la période allant d’avril 2010 à octobre 2012. Chaque lettre est une scène portant sur un thème important pour l’épistolière (destinatrice) et lui permet d’exprimer sa vision sur l’enfance, l’écriture, la mort, l’amour, la vie, l’amitié, etc. Les lettres sont datées, signées, et les lieux sont également mentionnés comme l’état d’esprit de la destinatrice qui se prénomme Ondine.
Le genre épistolier offre à Aurélie-Ondine Menninger la possibilité de décrire l’errance de l’être à travers l’errance du langage qu’elle emploie. Elle évoque des représentations diverses de l’être féminin et un florilège de féminités construites culturellement où les femmes peuvent se reconnaître. Aurélie-Ondine Menninger nous fait découvrir les vertus poétiques du genre épistolier. Ses lettres sont des poèmes en prose, des lettres-poèmes messagers de l’entre-soi, d’une mise à distance du moi par la correspondance.
Pour citer ce texte |
Dina Sahyouni, « Bleue comme la mer, comme l'encre suave... À propos du recueil Lettres à Bleue d'Aurélie-Ondine Menninger » , in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°2 [En ligne], mis en ligne le 11 avril 2013. Url.http://www.pandesmuses.fr/article-bleue-comme-la-mer-comme-l-encre-suave-116838047.html/Url.http://0z.fr/y_9lq |
Auteur(e)
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Dina Sahyouni |