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Carnet de voyage
I
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HAÏTI, 12-19 juillet 2017
Ancienne colonie française, partageant l’Île d’Haïti avec la République Dominicaine, la République d’Haïti, a du mal à se relever malgré son illustre histoire qui lui a valu le titre de première République noire. Pays malheureux mais qui « En 1939, adopta un décret-loi octroyant la naturalisation haïtienne immédiate à tous les Juifs désireux de l’obtenir » (cf. « Avant que les ombres s’effacent », Louis-Philippe Dalembert, Sabine Wespieser éditeur, 296 p., 21€). Après la Seconde Guerre mondiale, lors de la création de la création Société des Nations (SDN), actuellement appelée Les Nations Unies, jadis, il manqua une voix à la France et c’est grâce à celle de son ancienne colonie, en l’occurrence Haïti, qu’elle obtint le quorum.
Depuis novembre 2016 le pays a un nouveau président, Jovenel Moïse, 49 ans qui remue beaucoup d’air, en sillonnant les villes et les faubourgs comme s’il était encore en campagne haranguant le peuple des heures durant. Quant aux parlementaires ils s’accordent le droit d’ingérence dans la vie ministérielle rien que pour placer les personnes de leur choix à des postes clés, le clientélisme étant un appendice de la vie politique haïtienne.
Les élus locaux sont plutôt au service de leur coterie que du peuple car dans ce pays le passe-droit, la corruption et l’impunité sont le fer de lance de l’appareil d’État. Certains endroits sont tellement oubliés que les résidents doivent miser sur la bonne foi ou le bon vouloir des élus pour obtenir ce qu’ils sont en droit d’attendre en tant que citoyens.
L’état est démissionnaire : les rues de la capitale sont des dépotoirs à ciel ouvert, car les détritus ne sont pas ramassés, les particuliers doivent payer une entreprise privée pour l’enlèvement des ordures ménagères s’ils ne veulent pas les déverser sur la voie publique comme le font certains officiels. Sauf aux abords du Palais National (NDLR, non encore reconstruit de puis le séisme du 7 janvier 2010) où le Musée du Panthéon National Haïtien (MUPANAH), retraçant les différentes étapes de l’Histoire d’Haïti : le seul endroit digne d’intérêt dans Port-au-Prince où même les trottoirs sont occupés par des échoppes de fortune abritant des commerces de toutes sortes : ferraille, pièces détachées pour automobile et moto.
Quant à l’eau potable n’en parlons pas car on doit se fournir en eau minérale vendue dans les grandes surfaces ou se munir d’une fontaine d’eau distillée et pour se laver et pour la cuisson, on doit avoir un réservoir à pompe alimenté par un camion-citerne relevant d’un système privé de distribution d’eau et tout est à la charge des particuliers.
Quant à l’électricité chacun doit avoir son propre générateur sinon les plus mal lotis doivent se contenter d’une lampe tempête à pétrole. Les camionnettes de transport en commun, appelés tap-tap (onomatopée caractérisant le bruit du moteur), les bus colorés, chargés de marchandises, de bétail et d’humains circulent brinquebalant, hors du temps, à côté de grosses cylindrées, des véhicules tout terrain, un chassé-croisé dangereux dans les artères défoncées et congestionnées d’une capitale polluée, surpeuplée et au bord de l’asphyxie, où s’entassent des immondices et où les effluves des égouts sont susceptibles de vous porter à l’évanouissement.
L’insalubrité des rues est tellement criante que pour ne pas être malade et suffoqué par la chaleur on circule en voiture, les vitres fermées et le climatiseur en marche. Loin de la cohue de la nauséeuse capitale, dans les hauteurs des villes avoisinantes, à flanc de collines, sont juchées les demeures de caractère, les somptueuses villas des nantis, ceintes de hautes murailles, surmontées de barbelés et gardées par des molosses dont seuls l’aboiement réitérés peuvent vous faire penser qu’il y a âme qui vive.
Le coût de la vie grimpe de façon exponentielle alors que les salaires stagnent tout comme l’économie. Certains employés sont sous-payés et reçoivent leurs payes au bout de plusieurs mois de retard sans les arriérés. En revanche les locaux qui travaillent pour les compagnies et ONG internationales implantées en Haïti ont un revenu décent. Il y a quelques années de cela, un jeune coopérant français laissait entendre : « si j’étais payé par le gouvernement haïtien, je ne pourrais jamais manger de la viande ». Rien n’a changé depuis, bien au contraire. On ne peut même pas parler de revenu minimum. Le système D est de rigueur : on lutte pour la survie. Cela dit, on assiste de plus en plus à une paupérisation de la classe moyenne dont le pouvoir d’achat diminue considérablement. Elle s’endette pour ne pas se déclasser, donc elle vit au-dessus de ses moyens alors que la classe populaire croupit dans la misère. La gourde, la monnaie nationale, n’est qu’une monnaie de singe par rapport au dollar qui a droit de cité.
Pays essentiellement agricole, dit-on, Haïti vit essentiellement d’importation et les produits importés ne sont guère accessibles à la majorité vivant en-dessous du seuil de pauvreté. Cela dit, les produits alimentaires, même les plus basiques en provenance d’Amérique du Nord, d’Amérique du Sud et de France envahissent les rayons des supermarchés gérés par les géants de la grande distribution internationale alors que les produits locaux sont aux abonnés absents si l’on excepte la maigre place faite aux pâtisseries locales. Il n’y a que l’artisanat, l’art et la culture en général (bien que les salles de cinéma soient fermées par manque de courant électrique) qui occupent encore une grande place dans la vie haïtienne.
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Maggy de Coster, « Carnet de voyage I », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Lettre n°11, mis en ligne le 24 juillet 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/7/carnetdevoyage1.html
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