23 novembre 2023 4 23 /11 /novembre /2023 17:50

Événements poéféministes & poépolitiques | Stoppons ensemble le terrorisme & œuvrons pour une paix mondiale & durable  | Expression poétique contemporaine

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​​​8 ans déjà

 

 

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Evelyne Charasse

 

 

 

Crédit photo : Louis Counet, « Allégorie de la Paix » de 1719, peinture tombée dans le domaine public, capture d'écran du site Commons.

 

8 ans déjà

de rires figés

sourires estropiés 

8 ans déjà

les monstres 

toujours là

et notre innocente

soif de vie aussi

on n'oublie pas 

on ne peut pas 

 

© Evelyne Charasse, #Bataclan  #13novembre

 

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Pour citer ce poème élégiaque en hommage aux victimes du Bataclan & inédit​​​​​ 

 

Evelyne Charasse, « 8 ans déjà », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Événements poéféministes & poépolitiques 2023 | « Stoppons ensemble le terrorisme & œuvrons pour une paix mondiale & durable », mis en ligne le 23 novembre 2023. URL :

http://www.pandesmuses.fr/lettredoctobre2023/evelynecharasse-8ansdeja


 

 

 

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22 novembre 2023 3 22 /11 /novembre /2023 17:54

N°15 | Poétiques automnales | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages | Revue des métiers du livre

 

 

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Les bouquinistes parisiens

 

 

Ad Æternam

 

 

 

 

 

Tribune par

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète & artiste

 

Photographies par

 

Élisabeth Bouillot-Saha

 

Photographe

 

 

© Crédit photo : Mustapha Saha chez les bouquinistes des quais de Seine,  image par Élisabeth Bouillot-Saha, septembre 2023.

 

Paris. Vendredi, 18 août 2023. Je reçois la pétition suivante que je m’empresse de signer. « Avec l’arrivée des jeux olympiques, les bouquinistes des quais de la Seine sont directement mis en danger. Il est prévu un démontage total des boîtes qui sont le seul emploi et la seule source de revenus de ces libraires à ciel ouvert sans garanties de remontages et de restaurations. Il est difficile d’imaginer les quais de la Seine sans bouquinistes, ça revient à détruire l’âme de  Paris ». Je me rends sur place. Je discute avec plusieurs bouquinistes. Ils me paraissent à la fois déterminés et sidérés. L’inconcevable leur tombe sur la tête. Jérôme Callais, président de l’association culturelle des bouquinistes de Paris,  me dit : « La mairie nous utilise comme argument touristique. Et là, elle nous chasse d’une tapette comme des mouches sur le gâteau ». Alain Greppo, bouquiniste depuis trente ans : « Les amateurs de livres se font rares. Les touristes prennent des photos et passent leur chemin. Certains achètent des souvenirs, des porte-clefs, des cadenas d’amoureux, des gadgets tricolores. Nous sommes folklorisés, ringardisés. Des projets de réaménagement se trament dans notre dos ». Il est loin le temps où Gérard de Nerval écrivait : « Il est impossible, pour un parisien, de résister au désir de feuilleter de vieux ouvrages étalés par un bouquiniste » (Gérard de Nerval, Les Filles du feu, Angélique, 1854). Les Jeux olympiques abrogent l’histoire. Les cérémonies d’ouverture et de clôture se dérouleront sur la Seine. Un événement sous haute surveillance. Des berges détergées, aseptisées, astiquées. Le sécuritarisme justifie le culturicide. L’actualité pèse de toute son insignifiance. Le pouvoir  policier n’a cure des manifestations populaires. 

 

 

© Crédit photo : Mustapha Saha et Jérôme Callais, président de l’Association culturelle des bouquinistes de Paris, image no 2 par Élisabeth Bouillot-Saha, septembre 2023.

 

 

 

Les deux-cent-trente bouquinistes parisiens tiennent en permanence la plus grande librairie à ciel ouvert du monde. Trois-cent-mille livres. C’est là que je déniche depuis toujours des introuvables. C’est là que je me rendais rituellement avec Edmond Amran El Maleh et Haïm Zafrani. « Ici  s’échouent les trésors coloniaux répudiés » me susurre le savant auquel j’ai consacré mon livre Haïm Zafrani, Penseur de la diversité. La bouquinerie remonte loin, aux colporteurs d’incunables et d’imprimés au seizième siècle. Le mot français bouquin, boucquain, dérivé du néerlandais bœc signifiant livre, s’atteste dès le quinzième siècle. « Bouquiniste, on appelle ainsi un homme qui arpente tous les coins de Paris, pour déterrer les vieux livres et les ouvrages rares, et celui qui les vend. Le bouquiniste visite les quais, les petites échoppes, tous ceux qui étalent des brochures.  Il en remue les piles à terre. Il s’attache aux volumes les plus poudreux, qui ont la physionomie antique. Ce n’est que de cette manière que l’on trouve à bas prix les ouvrages les plus curieux. » (Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, 1782, douze volumes, réédité par Le Mercure de France en deux tomes, 1994). Les bouquinistes d’aujourd’hui sont, pour une bonne partie, des personnages insolites, des professeurs à la retraite, « Il n’y a qu’une retraite, c’est la mort » me dit l’un d’eux, d’anciens libraires ruinés, des bibliophiles, un marketeur revenu des publicités aliénantes, un ancien maoïste désenchanté, un contrebassiste classique lassé des salles de concert.  « Quand le dernier vieux bouquiniste, connaissant à fond son métier, qui vendait des livres anciens et épuisés, et pas seulement des livres d'occasion, aura disparu, l'âme des quais parisiens  aura quitté ces lieux de promenades littéraires, artistiques, et surtout de rêveries philosophiques » (Louis Lanoizelee, Souvenirs d’un bouquiniste, éditions L’Âge d’homme, 1978).

La Ville de Paris est propriétaire des emplacements. Elle délivre des autorisations d’occupation exemptées de loyer. Les concessions de huit mètres peuvent accueillir quatre boîtes d’égale dimension. Le bouquiniste s’engage à ouvrir au moins quatre jours par semaine sauf intempéries, et à ne faire commerce que de livres d’occasion, de vieux papiers, de gravures, d’estampes. Une boîte sur quatre peut être consacrée à la brocante de monnaies, de médailles, de cartes postales. Avec le développement de l’imprimerie au quartier latin, les vendeurs sanglés d’une boîte autour du cou et les estaleurs écument les quais de la Seine. La vente à la sauvette favorise la diffusion de pamphlets politiques, de gazettes interdites, de littératures subversives. En 1577, un décret royal traite les colporteurs de larrons et de receleurs. Le Pont Neuf, inauguré en 1606, devient le marché des bouquinistes. En 1649, un arrêté municipal interdit les boutiques portatives et les étalages sauvages. Les bouquinistes doivent se soumettre à des agréments dûment délivrés. La première définition du mot bouquiniste se trouve dans le Dictionnaire universel du commerce de Jacques Savary des Brûlons (1657-1716), inspecteur général de la Douane sous Louis XIV, paru à titre posthume en 1723 : « Les bouquinistes, pauvres libraires qui n’ayant pas les moyens de tenir boutique ni de vendre du neuf, étalent de vieux livres sur le Pont Neuf, le long des quais et en quelques autres endroits de la ville ». Le terme bouquiniste se retrouve en 1752 dans le Dictionnaire de Trévoux, ouvrage historique, condensant les encyclopédies françaises du dix-septième siècle, composé par les jésuites en réaction à l’effervescence intellectuelle des protestants : « Bouquiniste, nom masculin et féminin, se dit des vendeurs de vieux livres, de bouquins, veterum librorum propola. Les quais de la Seine à Paris sont pleins de bouquinistes. Bouquinistes se dit encore de ceux qui lisent de vieux livres, veterum librorum lector ». Voilà pour la légitimation historique. Le Dictionnaire de l’Académie française consacre, en 1762, le mot bouquiniste avec une remarquable platitude : « Bouquiniste, celui qui vend ou achète de vieux livres, des bouquins ». 

 

 

© Crédit photo : Mustapha Saha & Alain Greppo, bouquiniste depuis trente ans. image no 3 par Élisabeth Bouillot-Saha, septembre 2023.

 

 

Le Pont Neuf, inauguré en 1607, est le plus ancien des ponts parisiens, le premier permettant de passer directement d’une rive à l’autre, un pont sans habitations, pourvu de trottoirs protégeant les passants des charrettes. Des marchands ambulants, des tondeurs de chiens, des loueurs de parasols, des arracheurs de dents, des saltimbanques, des jongleurs, des bouffons, des charlatans de tous poils s’y installent. Des bouquinistes y prennent quartier jusqu’à ce qu’ils en soient expulsés en 1819. Sont principalement visés les pamphlets, les mazarinades, les gazettes subversives dont ils sont diffuseurs. Les bouquinistes sont menacés de confiscation de leur marchandise au profit du dénonciateur et de châtiment de leur personne par l’autorité policière.  Une autre ordonnance royale de 1649 confirme l’interdiction. Mais, les étalagistes peuvent compter sur la solidarité des gens de lettres. Les ordonnances successives restent sans effets. Quand, en 1866, le Baron Haussmann veut chasser les bouquinistes pour rétablir les quais dans la pureté de leurs lignes, l’écrivain Paul Lacroix, surnommé le bibliophile Jacob, intercède avec succès en leur faveur auprès de Napoléon III.

Pendant la Révolution française, les libraires ambulants récupèrent les bibliothèques pillées de l’aristocratie et du clergé. Sous le Premier Empire, les bouquinistes obtiennent un statut administratif qui les assimile aux commerçants de la ville. En 1859, sous le Second Empire, un règlement spécifique délivre les premières concessions. Ils obtiennent chacun dix mètres de parapet contre le versement d’une patente et d’un droit annuel de tolérance. Ils ont une autorisation d’ouverture du lever au coucher du soleil. Ils doivent remballer leurs produits à la fin de la journée et ne rien laisser sur place. En 1891, un arrêté municipal permet le stockage  pendant la nuit. En 1900, la mairie impose la couleur vert wagon pour les boîtes, assimilées au mobilier urbain. Sur le blason du bouquiniste, le lézard en quête de soleil pour pouvoir écouler ses livres lorgne sur la noble profession de libraire à laquelle s’accorde le privilège de porter l’épée.

 

© Mustapha Saha

 

 

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Pour citer cette tribune  inédite

 

Mustapha Saha, « Les bouquinistes parisiens Ad Æternam », photographies par Élisabeth Bouillot-SahaLe Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 15 | AUTOMNE 2023 « Poétiques automnales », volume 1, mis en ligne le 22 novembre 2023. URL. http://www.pandesmuses.fr/no15/ms-lesbouquinistesparisiens

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES - dans Numéro 15 Métiers du livre S'indigner - soutenir - etc.
19 septembre 2023 2 19 /09 /septembre /2023 13:25

N°14 | Les conteuses en poésie | S'indigner, soutenir, lettres ouvertes & hommages

 

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La France invente l’ostracisation culturelle

 

 

 

 

 

 

 

 

Mustapha Saha

 

Sociologue, poète & artiste

 

 

 

 

Crédit photo : Eugène Delacroix, "Portrait de femme au turban bleu”, peinture tombée dans le domaine public, capture d'écran d'une image libre de droits.

 

 

 

Paris. Lundi, 18 septembre 2023. 

 

 

Août  2023. Les étudiants maliens, burkinabais et nigériens ont reçu, le 30 août 2023, une notification du ministère français des Affaires étrangères annulant leur séjour en France. Messages individuels par courriel : « J’ai le regret de vous informer que nous annulons notre soutien pour votre séjour en France, toutes les prestations de Campus France sont annulées, billets d’avion, allocations et assurance santé. La France a suspendu son aide au développement à destination du Burkina Faso, du Mali et du Niger. Cette décision concerne également les bourses de mobilité du gouvernement français, dont vous êtes bénéficiaire ». Se pratique ouvertement  l’ostracisation culturelle. Les intellectuels, les artistes, les étudiants, situation inédite, sont les victimes collatérales des conflits diplomatiques.

Une directive du ministère français de la Culture, relayée par les directions régionales de la culture, le mardi 12 septembre 2023, ordonne de « suspendre sans délai, et sans aucune exception, tous les projets de coopération menés  avec des institutions ou des ressortissants du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Tous les soutiens financiers doivent également être suspendus, y compris via des structures françaises, comme des associations par exemple. De la même manière, aucune invitation de tout ressortissant de ces pays ne doit être lancée. À compter de ce jour, la France ne délivre plus de visas pour les ressortissants de ces trois pays sans aucune exception ». Retour en force du refoulé colonial. 

 

 

Paris. Mercredi, 13 septembre 2023. Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles publie un communiqué de presse où il relève le ton menaçant du message gouvernemental. Le gouvernement français procède par injonction,  sommation, intimidation. « Nous recevons une instruction du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Un message au ton comminatoire. Ce message est totalement inédit par sa forme et sa tonalité, révélateur de ce que nous dénoncions déjà dans le travail collectif en faveur d’un plan sur la danse. Nous écrivions notamment devoir « veiller à ce que la construction d’une politique culturelle française à l’internationale, qu’il s’agisse de danse ou de tout autre art, soit revisitée à l’aune des artistes et de leurs démarches. Les logiques de rayonnement culturel au service d’enjeux diplomatiques aux antipodes des questions artistiques doivent être remises en cause ». Cette interdiction totale concernant trois pays traversés par des crises en effet très graves n’a évidemment aucun sens d’un point de vue artistique et constitue une erreur majeure d’un point de vue politique. C’est tout le contraire qu’il convient de faire. Cette politique de l’interdiction de la circulation des artistes et de leurs œuvres n’a jamais prévalu dans aucune autre crise internationale, des plus récentes aux plus anciennes ».

La France foule aux pieds les conventions internationales qu’elle a signées, notamment la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles signée à Paris le 20 octobre 2005 par la Conférence générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture qui proclame la diversité culturelle comme un patrimoine commun de l’humanité qui doit être célébré préservé dans la pleine réalisation des droits humains et des libertés fondamentales. La Convention reconnaît l’importance des savoirs traditionnels,  en particulier des systèmes de connaissance des peuples autochtones, comme sources de richesse immatérielle et matérielle, et leur contribution positive au développement durable. La diversité culturelle se nourrit d’échanges constants et se renforce par la libre circulation des idées. Les expressions culturelles ne s’épanouissent que dans la liberté de pensée, d’expression, d’information. Il est également utile de rappeler la Déclaration universelle sur la diversité culturelle du 2 novembre 2001 qui donne à ces principes un caractère inaliénable.

Insoutenable condition des francophones refoulés de la culture française. Le discours officiel use et abuse de la notion douteuse de décivilisation. La présence française dans ses anciennes colonies est considérée  comme un rempart indispensable contre les tentations de régression, d’arriération. Qu’on se souvienne du discours impudemment prononcé le 26 juillet 2007 en terre africaine par un président  français nostalgique des temps bénis de la colonisation.

​​​​​« L’Afrique a sa part de responsabilité. La colonisation n’est pas responsable des guerres intestines, des génocides, des dictatures, des fanatismes, des corruptions, des prévarications.  Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Jamais il ne s’élance vers l’avenir. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme africain reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout est écrit d’avance. Il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès ». Même discours du président actuel sur les banlieues : « J’ai parlé de décivilisation. Il faut donc s’atteler à reciviliser ». L’occidentalisme appelle barbarie tout ce qui échappe à son paradigme. Le technocratisme appelle désormais décivilisation tout ce qui s’oppose à ses modélisations. Dans tous les cas, le capitalisme ne peut exister que par sa fonction colonisatrice. Le néolibéralisme se replie sur la vieille rhétorique dévalorisatrice de l’insoumise altérité. La décivilisation se décline comme un constat de déclin, de décadence, exigeant un rétablissement de l’ordre, une policiarisation de la société.

La notion de décivilisation, forgée par l’anthropologue Robert Jaulin (1928-1996) dans son ouvrage La Décivilisation, politique et pratique de l’ethnocide, édition Complexe, 1974, revêt une signification antinomique de sa récupération politique. La décivilisation est définie à l’origine comme un génocide, une destruction méthodique d’une culture préexistante par la colonisation.

L’ethnocide fait écho au génocide et homicide. Le terme ethnocide est suggéré, en Mai 68, à Robert Jaulin par l’ethno-historien et géographe Jean Malaurie, explorateur de l’Arctique. Robert Jaulin fait d’abord usage de l’expression génocide culturel pour désigner la liquidation des cultures amérindiennes.

L’Occident colonisateur pense, depuis la Restauration, la civilisation au singulier, comme un modèle exclusif dont il détient le monopole, un moule unique dans lequel l’humanité dans son entier doit se couler. La décivilisation présuppose une idéologie de conquête. L’Occident est coupable, depuis l’envahissement des Amériques et d’autres contrées en Asie, en Océanie, en Afrique, de dévastations massives. D’où un paradoxe flagrant. Comment peut-on se prétendre une civilisation quand on détruit méthodiquement d’autres cultures, d’autres civilisations ?

La décivilisation, conçue par Robert Jaulin, permet de penser les effets délétères, pernicieux, de la domination occidentale. La décivilisation idéologisée par l’extrême droite, désorganisatrice de la quotidienneté des autres,  justifie les discriminations, les persécutions à l’encontre des cultures diversitaires. « Entendons  par là, aussi bien la destruction du type d'organisation des relations de résidence, que la destruction du type d'organisation des relations de consommation et de production. Lorsque nous ne sommes plus libres de dormir dans une grande maison collective, toute confortable, faite de feuilles, et que, au nom du progrès, il nous faut vivre dans une petite maison solitaire, faite de ciment, il y a destruction de toute la structure sociale associée à cette maison collective. On détruit une culture en s'attaquant à sa vie quotidienne, ce lieu de toute culture, autrement dit  à la communauté  génératrice de vie quotidienne » (Robert Jaulin). La décivilisation est, par conséquent, l’occidentalisation du monde, la standardisation des comportements, l’uniformisation des modes de vie. La décivilisation est un crime occidental contre les sociétés non-occidentales.

L’anthropologue Pierre Clastres (1934-1977), auteur du livre La Société contre l‘Etat, éditions de Minuit, 1974, se pose la question : Pourquoi l’ethnocentrisme occidental est-il devenu ethnocidaire ? Les cultures ethnocidaires sont des sociétés étatiques. La machine étatique est intrinsèquement expansionniste et ethnocidaire, y compris endogènement. Les différences disparaissent devant la puissance étatique. Les cultures traditionnelles sont traquées. Le français s’impose dans toutes les provinces comme langue maternelle. Les vies villageoises sont ravalées au rang de folklores à usage touristique. S’anéantissent les terroirs, les localités aux multiples visages. (Voir Eugen Weber (1925-2017), La Fin des terroirs, la modernisation de la France rurale 1870-1914, traduction française éditions Fayard, 1983). L’espace capitaliste occidental, son régime de production économique, est un espace illimité, sans lieux, un espace infini de la fuite en avant permanente. Le capitalisme est la puissance décivilisatrice par excellence. La décivilisation est un long processus de dissolution des sociétés traditionnelles. Pour le sociologue Norbert Elias (1897-1990), la civilisation occidentale, c’est la transformation du guerrier intrépide en  courtisan raffiné (Norbert Elias, La Civilisation des moeurs et La dynamique de l’Occident, traductions françaises éditions Flammarion, 1973 et 1875).

Aberrante actualité. Le président français comprend-il la portée historique, anthropologique, sociologique, philosophique du mot décivilisation qu’il emploie à l’emporte pièce ? Probablement pas. Il l’utilise, de toute évidence, dans l’acception  primaire, rudimentaire, prosaïque de perte de civilisation pour cibler les sauvages, les barbares,  les incivilisés. L’ancien ministre socialiste de l’Intérieur avait exhumé le vieux vocable sauvageon. La gouvernance française à la dérive se projette dans l’histoire à rebours. « Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour l’intimidation, la répression, le mépris, la morgue, la suffisance, la muflerie. J’entends la tempête. On me parle de progrès, de niveaux de vie élevés. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, de cultures piétinées, de terres confisquées, de magnificences artistiques anéanties » (Aimé Césaire, « Discours sur le colonialisme », éditions Réclame, 1950, réédition Présence Africaine, 1955). Foin des dénominations dulcifiantes comme néocolonialisme. Le colonialisme, affublé des habits neufs du mondialisme, n’a jamais cessé. Les africains sont toujours disqualifiés  comme populations attardées. Les immigrés, parqués dans des cités d’exclusion, se traitent comme des colonisés de l’intérieur. Le langage colonial se déculpabilise, s’actualise, se banalise. La décivilisation devient synonyme d’ensauvagement. Des pans entiers de la population subissent quotidiennement les violences symboliques, les intimidations discursives, les dramatisations médiatiques. Les villes s’assourdissent, jour et nuit,  de sirènes hurlantes. Les peurs s’entretiennent comme des soupapes préventives. La société française sombre dans la psychose collective.

 

© Mustapha Saha

 

Bio express. Mustapha Saha,  sociologue, écrivain, artiste peintre,  cofondateur du Mouvement du 22 Mars et figure nanterroise de Mai 68.  Sociologue-conseiller au Palais de l’Elysée pendant la présidence de François Hollande. Livres récents : Haïm Zafrani Penseur de la diversité (éditions Hémisphères/éditions Maisonneuve & Larose, Paris), « Le Calligraphe des sables » (éditions Orion, Casablanca).

 

 

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Pour citer ce texte inédit

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Mustapha Saha, « La France invente L’ostracisation culturelle », Le Pan poétique des muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N° 14 | ÉTÉ  2023 « Les conteuses en poésie », volume 1, mis en ligne le 19 septembre 2023. URL :

http://www.pandesmuses.fr/no14/ms-ostracisationculturelle

 

 

 

 

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