Chez Aphrodite Fur, sculptures phalliques ou empreintes ovariennes, animées ou non, vidéos faussement (ou franchement) équivoques ont toutes un air de famille. De tels lieux manifestent une communauté d’esprit pour placer le voyeurisme sur d’autres gonds. Histoire de créer – par grincements – d’autres ouvertures. L’absence de couleur (vidéos en noir et blanc), humour, légèreté font flotter les corps.
Aphrodite Fur travaille toujours par tâtonnements, abandons et surtout trouvailles. Être belle de cas d’X n’est pas donné selon les canons représentatifs officiels. Avec l'artiste, elle évolue en puissance de feu.
L’œuvre devient un grand jeu de Mikado dans lequel l’artiste pioche tasseaux ou blocs de corps pour le chorégraphier dans l’espace. Non seulement elle dessine dans l’espace mais « de » l’espace. La matière ou le corps aménage un solécisme et une farce dérégulée des normes voire de la convention de nos sens. Aphrodite Fur écarte l’orthonormie, réévalue différents élans. Il n’existe qu’un ordre à adresser au voyeur : gare à la chute ! Car il lui faut réapprendre à avancer là où l’éros ne marche plus au pas militaire mais militant.
À sa manière Aphrodite Fur emmène les ogres voyeurs dans son mystère : elle leur fait bander les yeux sans les faire forcément rêver dans un espace érotique qui ne se veut pas forcément pur. Bien au contraire. Même si le regardeur fantasme l’artiste lui fait boire une potion « magique qu’il n’attend pas.
Par ailleurs en dépit de ses dépôts et dépositions, il y a loin de l’artiste à ses voyeurs anonymes. Son corps reste une lointaine terre d’Afrique. Nul ne connaîtra ses secrets. Juste ses dépôts et dépositions.Désormais elle joue de ses collants pour que leur peuple intérieur chevauche les ogres. Qu’importe si la fusion dans le réel n’est pas au rendez-vous.
Les filles du futur font partie d’Aphrodite Fur. Certes les ogres voulurent retirer ses collants : mais elle les étire elle-même. Et comme l’escargot sortant les cornes elle débouche de sa coquille – mais juste ce qu’il faut. Et à sa propre mesure. Existe une chaleur accablante selon les experts. Nul ne peut en douter même si l’artiste brouille les cartes. Et surtout garde l’atout.
Ses collants comme ses menstrues engendrent un recueillement, une attente. Ses photographies s’enchaînent comme des répliques où Aphrodite Fur glisse muette. Qui attendre ? Qui attend-elle ? lorsqu’elle tire les fils de ses collants comme ceux de rideaux.
Elle n’a plus besoin de déplier ses raisons. Au maelstrom d'émotions elle préfère l’ironie. Ses mains jointes l’artiste les défait. Elle rappelle qu’elle n’est jamais aussi proche de quelqu’un que de ses collants ou de ses "pertes" pas forcément blanches.
Et elle sait qu’on est rien, à personne. Qu’aucun ogre ne vole au secours de quelqu’un. Elle laisse sourdre une suite de batailles par déboîtement d’ombres et de lumières. Elle est louve désormais. Plus question à l’ogre de se jucher sur son dos sans qu’il apprenne le morse de la créatrice lorsque la lampe s’éteint.
Reste la rutilance des collants noirs sur son corps. La toison se soupçonne. Surgit la limite de son territoire. Et plus loin les sacs où elle recueille son sang.
La fine silhouette aux hanches étroites et qui ressemble malgré son âge à une enfant sait que son fantôme ne change pas. Il se charge. Il dit : « Viens par là ». Que faisons-nous alors ? La rencontre demeure impossible, le seuil infranchissable.
© J.P. Gavard-Perret
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Pour citer ce texte sur l'artiste Aphrodite Fur
Jean-Paul Gavard-Perret, « Aphrodite Fur met le paquet », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°8 | Été 2021 « Penser la maladie & la vieillesse en poésie » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 25 août 2021. Url :
http://www.pandesmuses.fr/no8/jpgp-aphroditefur
Mise en page par David Simon
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