N°8 | Critique & réception
Éric Sauray
Claire, Catherine et Défilé, les trois femmes
les plus puissantes d’Haïti
Kefemas Éditions, 2017, 76 p., 4,99€
Maggy de Coster
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Site du Manoir des Poètes : www.lemanoirdespoetes.fr/
Après La tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire, nous voilà plongés dans une autre tragédie de l’Histoire d’Haïti où entrent en ligne de compte trois héroïnes. « La femme est l’avenir de l’homme » dit Aragon, c’est ce qu’Éric Sauray nous a prouvé en ressuscitant sous sa plume trois figures féminines haïtiennes de légende dans une tragédie aux couleurs locales.
Qui sont ces femmes ? Marie-Claire Heureuse Félicité Bonheur dite Claire Heureuse, l’infirmière avant la lettre qui soigna les blessés de tous bords, fut l’épouse au grand cœur de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, le père de la nation haïtienne, trahi et assassiné par ses pairs le 17 octobre 1806, soit deux ans après l’Indépendance. Catherine Flon cousit le drapeau de la République et Défilé, surnommée la folle, de son vrai nom Marie-Sainte Dédée Bazile, ramassa les restes du malheureux Empereur qui périt dans une embuscade.
Au lever de rideau, c’est un corps mutilé que Défilé, bouleversée, transporte avec le plus grand soin du monde. Animée du souci de rendre au célèbre défunt sa dignité, elle se rend auprès de Catherine Flon lui demandant d’opérer le miracle de la reconstitution du corps de feu l’Empereur avec ses doigts de fée, ceux-là même avec lesquels elle s’employa à confectionner le drapeau bicolore bleu et rouge.
Et la pauvre Catherine, perdant tous ses moyens, de s’écrier : « Mon Dieu, je suis consternée, je perds mes forces parce que je ne comprends pas une telle fureur. ». Chez Défilé tout autant que chez Catherine l’indignation est à son comble. La révolte et la colère conjuguées se font jour. Pour Défilé on ne se rend pas justice en ôtant la vie à quelqu’un sous aucun prétexte : « on ne tue pas le chef parce qu’il a mal agi. On peut le juger ! Mais, on ne le tue pas. On ne le tue pas parce qu’en le tuant on se condamne à passer de chefs tués en chefs tués sans jamais connaître la paix et le bonheur qu’on mérite ici-bas. »
D’emblée, on comprend bien le message que l’homme de loi qu’est Éric Sauray a voulu faire passer car l’héritage du passé perdure encore en Haïti. Sans ambages, il nous fait comprendre qu’en aucun cas on n’a le droit de se faire justice en ôtant la vie à quelqu’un. Implicitement il prône la tolérance et le primat de l’État de droit.
Voilà Défilé et Catherine réunies chez Claire Heureuse, atterrée à la vue du corps reconstitué de son mari. Difficile pour elle de croire que les propres fils de la nation puissent opérer un tel forfait sur son empereur de mari qui sauva leur honneur en les dotant d’une patrie au péril même de sa vie, aussi s’écrie-t-elle :
j’enrage de me rendre compte que j’ai donné un homme d’État à ce pays, mais que ce pays m’a rendu un cadavre déchiqueté. Mon Dieu, sommes-nous condamnés à donner à ce pays ce qu’il ne peut pas nous donner en retour ? Sommes-nous condamnés à donner à ce pays, des hommes, des chefs, des pères, des talents pour qu’il en fasse des cadavres ?
Après le travail d’orfèvre effectué sur le corps de l’Empereur par Catherine comme « un devoir », Défilé n’en aura pas le cœur net si une seconde vie ne lui sera pas insufflée.
Et Catherine de convaincre l’épouse éplorée de conjurer le mauvais sort, c’est-à-dire de donner à son époux martyr « le souffle et l’amour qu’il faut pour l’aider à faire la traversée ». Cela dénote bien un positionnement de l’auteur par rapport à l’Afrique comme le ferait bien Aimé Césaire.
Éric Sauray ne veut pas laisser moisir dans l’oubli ces femmes vaillantes, ces trois sœurs de combat réunies dans le malheur avec l’espoir de donner une seconde vie à un homme qui ne doit pas rester à terre, ces femmes authentiques qui ont su faire de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines un homme debout même après sa mort. Trois figures de proue qui ont aussi écrit l’Histoire d’Haïti sans avoir été reconnues en conséquence.
La femme est celle qui donne la vie et qui redonne aussi la vie même après la mort, un message retentissant qu’Éric Sauray a voulu nous faire passer à travers cette tragique réalité sur laquelle s’ouvrirent les pages de l’Histoire véridique d’une République naissante après être passée par l’épreuve de l’esclavage et de la colonisation française. C’est sur ce chant lugubre du coryphée que tombe le rideau :
La vérité cachée
Pourra se révéler
Quand le héros couché
Fera la traversée
Tous les grenadiers
Seront dans la vallée
Pour veiller
Sur le corps du grand sacrifié !
NDLR : Éric Sauray est écrivain, poète, Docteur en Droit et avocat au Barreau du Val d’Oise.
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Pour citer ce texte
Maggy de Coster, « Éric Sauray, Claire, Catherine et Défilé, les trois femmes les plus puissantes d’Haïti, Kefemas Éditions, 2017, 76 p., 4,99€ », Le Pan poétique des muses|Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : Supplément au n°6 sur « Penser la maladie et la vieillesse en poésie » sous la direction de Françoise Urban-Menninger, mis en ligne le 1er juin 2017. Url : http://www.pandesmuses.fr/2017/eric-sauray-femmes.html
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