17 février 2023 5 17 /02 /février /2023 16:52

N°13 | (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices | Critique & réception | Dossier mineur | Articles & témoignages | Astres & animaux 

 

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L’herbier retrouvé de Sabine Sicaud

 

 

 

 

 


 

Claire Tastet

Professeure agrégée de Lettres Modernes

 

 

 

 

© Crédit photo : Première de couverture illustrée du recueil de poèmes L’herbier de Sabine Sicaud, éditions des Véliplanchistes, 2021.

 

 

Grâce aux éditions des Véliplanchistes, on peut enfin lire la poésie de Sabine Sicaud, jeune poète adolescente célébrée de son temps et oubliée (ou effacée) depuis lors. C’est une des ambitions de cette micro-maison d’édition, au modèle éco-responsable, que de valoriser le matrimoine, et on ne peut que se féliciter de voir Sabine Sicaud rejoindre au catalogue Renée Dunan (déjà éditée) et Judith Gautier (en cours d’édition). 

 


Qui est-elle ?


Sabine Sicaud est une adolescente dont le premier recueil Poèmes d’enfant est publié en 1926 alors qu’elle a seulement 13 ans. Elle meurt prématurément à l’âge de 15 ans. Anna de Noailles écrit la préface du recueil et devient en quelque sorte la marraine littéraire de la jeune fille dont elle célèbre à juste titre « les rythmes brisés, rattachés, qui nous dispensent avec un heureux mouvement, le monde varié des images ». Preuve en est cette strophe de « L’allée des bambous » où les enjambements, rejets et contre-rejets dynamisent le dialogue qui se tisse avec la nature, tension entre la description bucolique et l’inquiétude qui sourd du monde extérieur.

 

Elles disent au vent : « Tu vois ;

Nos petites lames tranchantes ?

Ce sont des couteaux verts, des sabres que tes doigts

Ne détacheront pas de leur tige.  Tu vois,

Nous sommes là depuis les vieilles guerres

Et nous serons 

De la prochaine guerre… Vois nos lames claires ! 

(p.73)


Rosemonde Gérard, elle aussi, rendra hommage à Sabine Sicaud dans les Muses Françaises en 1949.  Quant à Roland Barthes, s’il la cite dans les Mythologies, c’est pour la rapprocher de Minou Drouet et pour ne rien en dire ; l’a-t-il lue ? On peut en douter mais son nom semble circuler encore en 1957. 

 


La solitude 


Sabine Sicaud, c’est un peu un anti- Rimbaud s’il fallait la comparer à un autre (et quel autre !) adolescent poète. Au fougueux et fugueur adolescent, « Petit Poucet rêveur » qui écrit sa légende « dans sa course » c’est-à-dire en s’enfuyant de la maison familiale, répond la jeune fille de la bourgeoisie provinciale, enfermée (comme toutes) dans la demeure familiale de Villeneuve-sur-Lot, nommée "la Solitude". C’est cette demeure, son jardin surtout, qui est le lieu de l’écriture, mais ce lieu n’est pas un lieu prison, il n’est pas le carcan bourgeois qu’aurait détesté Arthur, il devient le lieu de toute création. Sabine Sicaud a ceci de touchant qu’elle métamorphose en force ce qui pourrait être vu comme limitatif. C’est d’ailleurs le poème « La solitude », publié à titre posthume en 1958, qui ouvre l’anthologie proposée par les éditions des Véliplanchistes.


Solitude… Pour vous cela veut dire seul.

Pour moi - qui saura me comprendre ?

Cela veut dire : vert, vert dru, vivace tendre,

Vert platane, vert calycanthe, vert tilleul

[…]

Un mot vert… Qui dira la fraîcheur infinie

D’un mot couleur de sève et de source et de l’air

Qui baigne une maison depuis toujours la vôtre,

Un mot désert peut-être et desséché pour d’autres,

Mais pour soi, familier, si proche, tendre, vert

Comme un îlot, un cher îlot dans l’univers ?

(pp. 35-38)


Finalement, Arthur Rimbaud, celui des premières poésies, n’est peut-être pas si loin. Entre 1926 et 1928, qu’est-ce qu’une jeune fille de la bourgeoisie provinciale pouvait faire d’autre que de transformer l’enfermement domestique en acte de création libérateur, en « îlot » ? 

 


L’herbier 


L’anthologie proposée fait le choix de créer un herbier, joliment illustré par Gaëlle Privat et savamment préfacé par Wendy Prin-Conti. La démarche a de quoi surprendre car elle bouleverse la chronologie de l’œuvre de Sabine Sicaud et puise dans les deux recueils (celui publié du vivant de l’autrice et le recueil posthume paru en 1958).  Le choix a été fait de présenter aux lecteurs les poèmes consacrés à la nature, thème majeur de la poésie de Sabine Sicaud. On pourrait regretter que les poèmes plus sombres, ceux écrits dans la maladie et la souffrance, soient laissés de côté. Toutefois, la démarche de l’herbier impose sa lecture en prescrivant une méthode efficace. Comme dans un herbier, le lecteur se plaît à s’attacher à la fois au réalisme des descriptions poétiques minutieuses et au dépassement de celui-ci. Le jardin de Sabine Sicaud est à la fois arpenté au fil des chemins (tel est le titre de plusieurs poèmes) et des saisons et métamorphosé par l’écriture poétique qui invite à l’ailleurs.

 Ainsi, on se plaît à contempler l’éclosion du « camélia rouge » suivie minutieusement par l’œil de la poétesse :

 

Au milieu des plantes fragiles

qu’une vitre épaisse défend

plusieurs boutons pointent, fragiles,

un premier cocon vert se fend.

(p. 59)

 

La couleur rouge est d’ailleurs travaillée à plusieurs reprises par l’autrice, à la manière du peintre, et c’est cette fois à une métamorphose qu’elle nous convie dans « Vigne vierge d’automne » :

 

Et pourtant que vos mains sont tremblantes !

Leurs veines

Se rompent une à une… Tant de sang…

Et cette odeur si fade, étrange.

Ces mains qui tombent d’un air las,

Ô vigne vierge, d’un air las et comme absent,

Ces mains abandonnées…

 

(Lady Macbeth n’eut-elle pas ce geste

Après avoir frotté la tache si longtemps ?)

(p. 88)

 

Si la nature est contemplée, elle est donc aussi largement objet de méditation et de transfiguration poétique. Ainsi, Sabine Sicaud entretient un dialogue permanent avec la nature comme l’écrit Wendy Prin-Conti : « Chaque élément vit sous sa plume, prend de l’ampleur et s’impose au lecteur.  Chaque arbre, plante, fleur sont dignes d’être admirés, observés de près, compris. » (préface, p. 24).  On sent, bien sûr, le modèle hugolien des Contemplations qui souffle ici, notamment dans l’adresse à la nature, dans l’échange avec les éléments dont l’apostrophe est le signe : 

 

Ô bruyère, bruyère

Je croyais te connaître et je ne savais rien

(« La bruyère », p.77)

 

Mais contrairement à Hugo, Sabine Sicaud reste une modeste jeune fille qui connait sa place et s’il y a médiation, il n’y a rien là du poète prophète qui voudrait transmettre une vérité aux hommes. On est bien plus, effectivement, dans la démarche de l’herbier, création à la fois intimiste et de transmission. 


 

Jardin d’écrit

 

D’ailleurs, le jardin de la Solitude est bien souvent un lieu d’évasion, ouvertement vu et vécu comme propice à l’éclosion de l’imaginaire. Le microcosme est métamorphosé par l’acte d’écriture, il devient un ailleurs tour à tour exotique, féérique, anachronique, où entre le monde macrocosmique transfiguré par l’imaginaire de la poétesse comme dans « Le Cytise » :

 

Survient le vent

Et c’est une cascade lumineuse de topazes,

Un long feu d’artifice, un jet d’eau qui s’embrase,

Un quatorze juillet de mai ! Vois dans le vent,

La joie ardente du printemps !

 

Pas de canons, d’ailleurs, ni de Bastilles prises.

C’est la fête rustique du Cytise.

(p. 67)

 

Plus que décrit, la Solitude est donc un jardin d’écrit. Le très beau poème « L’heure du platane » fait d’ailleurs fusionner l’arbre lui-même avec l’objet livre dans une démarche sensorielle est métatextuelle, étonnante sous la plume d’une si jeune autrice. On ne peut en douter, il y a bien là projet d’écriture dont Sabine Sicaud est bien consciente. Pas de texte théorique chez Sabine Sicaud évidemment, mais certaines strophes laissent percer un art poétique qui fait de la transfiguration du réel un principe poétique, pleinement assumé et revendiqué :

 

Dans les pots d’argile, saignait

Leur sève épaisse, goutte à goutte…

Les premiers pins suivaient leur route.

 

Moi seule les accompagnais…

Vers quelle Espagne de miracles ?

Vers quelles sierras, quels châteaux,

Quels tabernacles ?

 

Non ne me dites pas tout haut

L’histoire des pins de la dune,

L’histoire vraie en quatre mots…

 

(« Les Pèlerins de la dune », p.106)

 

 

© Claire Tastet

 

L’herbier de Sabine Sicaud, éditions des Véliplanchistes, 2021. Édition limitée, 18 euros

URL de référence : https://editionsveliplanchistes.fr/produit/herbier-sabine-sicaud/

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Pour citer ce texte inédit​​​​​​

 

Claire Tastet, « L’herbier retrouvé de Sabine Sicaud »Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°13 | PRINTEMPS 2023 « (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices », mis en ligne le 17 février 2023. URL :

http://www.pandesmuses.fr/no13/clairetastet-lherbierretrouve

 

 

 

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16 février 2023 4 16 /02 /février /2023 15:35

N°13 | (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices | Dossier majeur | Florilège | Littérature & poésie pour la jeunesse 

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Portrait de larmes

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Dina Sahyouni

 

 

 

 

 

Crédit photo : Tableau du peintre Harlamov représentant un portrait d'une petite fille russe triste, capture d'écran via Commons.

 

 

Il est des larmes dorées et des larmes translucides, des larmes bleues et des larmes en feu.

Il est des larmes conteuses, savoureuses et des larmes amères au poids des haltères.

 

Les larmes ont les couleurs, prennent les saveurs, des êtres qui pleurent…

 

J'ai vu.. j'ai vu l'or des souvenirs couler de ses yeux d'orpheline aux Philippines.

 

 

© Dina Sahyouni, février 2023.

 

 

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Pour citer ce portrait poétique inédit​​​​​

 

Dina Sahyouni, « Portrait de larmes »Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°13 | PRINTEMPS 2023 « (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices », mis en ligne le 16 février 2023. URL :

http://www.pandesmuses.fr/no13/ds-portraitdelarmes

 

 

 

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15 février 2023 3 15 /02 /février /2023 16:30

N°13 | (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices | Critique & réception  & N°2 | REVUE ORIENTALES O | Critiques poétiques & artistiques & [Nouvelle rubrique]

 

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Imèn Moussa

 

Il fallait bien une racine ailleurs,

 

Éditions l’Harmattan, 2020, 144 pages, 15€

 

 

 

 

 

 


 

Maggy de Coster

Site personnel

Le Manoir Des Poètes

 

 

 

© Crédit photo : Première de couverture illustrée du recueil de la poète Imèn Moussa, Il fallait bien une racine ailleurs, Éditions l’Harmattan, 2022.

 

 

 


 

Dans un style poétique savoureux, la poète supplie sa mère d’adresser une requête à [son] Dieu afin qu’Il transforme son être qu’elle ne trouve pas trop à son goût. 

D’entrée de jeu, elle déclare : 

 

« Maman,

Demande à ton Dieu de me recustomiser sans trop de grains

 cette fois,

Je veux être comme toutes celles… »

« Pour que je ne me laisse jamais apprivoiser par le diable ni par l’ange trop parfait »

 

N’est-ce pas Pascal qui dans « Les Pensées » énonce que « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut qui veut faire l’ange fait la bête. »   

 

« En chacun de nous il y a cette bête en sang », avoue la poète qui se refuse à être parfaite mais veut trouver le juste milieu, car elle est celle qui évite de tomber dans l’excès en usant de la mesure. 

Ne pas céder non plus aux menaces mais y échapper :

 

« Sans grain de malice sous mon oreiller,

Pour que je dise non aux menaces qui font trembler mes jours d’après. »

 

Elle a appris aussi à « domestiquer les mots » pour les utiliser comme un outil cathartique. Ainsi, en mettant des mots sur ses maux, elle évacue sa douleur de femme assoiffée de liberté.

 

« Les mots nous recousent

Il faut tenter cent vies pour trouver la bonne

Moi j’ai pris le risque du mot »

Ou encore :

« Nous avons pris le chemin des mots muets.

On regarde parfois en arrière pour voir dans chaque naufrage l’éclosion 

de nos imperfections »

 

« Tout passe et rien ne demeure », nous enseigne Héraclite. Elle sait bien jongler avec les circonstances de la vie en se métamorphosant en séquoia cet arbre à large carrure pour mieux laisser glisser les épreuves et puis en papillon, cet être aérien, symbole de liberté, qui butine de fleur en fleur sans se laisser agripper ou attraper : 

 

« J’étais un séquoia pendant soixante-dix ans

Je me suis transformée en papillon pour ne vivre qu’un jour

dans le vent »

Et pour cause on convient avec elle que « rien n’est plus difficile que la liberté. »

 

Selon Churchill : « Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. »

Et la poète de faire état de la persistance de la mémoire en arguant que :

 

 « Toute chose s’arrête sauf la mémoire. » 

Pour elle, la mémoire est têtue, elle résiste à tous les coups. Elle ne se laisse guère anéantir par l’oubli.


 

Une maison a un statut existentiel. Comme lieu de vie, elle renferme le vécu de ses occupants. Qu’on se rappelle ces vers de Lamartine : « Objets inanimés, avez-vous une âme / Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »

Et Imèn Moussa d’avancer :

 

« Il n’existe pas une maison dont les murs ne soient rongés

par le regret. »

 

Sans conteste, « Ça  respire une maison. » donc « Ça vit une maison. » 

 

Femme-univers, elle s’ouvre à toutes les cultures, liberté est sa mère :

 

« Jah bat le tambour d’une prophétie

L’Éthiopie ma maison désirée,

Vivre et mourir

Vivre et mourir, sur la terre des appelés,

Jah est rentré. »

 

Quand les postures, les vues et la foi divergent des coups pleuvent sans cesse sur son corps de femme : 

 

« Je ne t’ai pas quitté par manque d’amour mon amour

Mais lorsque tes coups commencèrent à pleuvoir sur moi

J’ai compris que ta foi n’était plus ma foi »

 

Ce recueil de poèmes retrace aussi le pâle quotidien des désenchantés d’ici et d’ailleurs. Ceux qui, n’entrant pas dans la bonne case sociale, sont sans perspective d’avenir. Ils ne font que tourner en rond. Et là-bas, même les diplômés ne sont pas épargnés par l’oisiveté :

 

« De ses études de lettres arabes, il ne lui restera que les vers d’un jeune poète :

Si le peuple veut un jour la vie… »

 

Quant à la femme, elle est une quantité négligeable, absente des statistiques. Selon la poète :

 

« Parce que femme, elle : « Tôt ou tard, la maison de son mari la sauvera. »

 

Elle a l’amour du pays chevillé au corps car elle rêve encore du bleu de ses eaux.  Nostalgique elle, évoque les odeurs, les saveurs qui lui manquent, cependant elle ne saurait déroger au droit de vivre libre, ce droit inhérent à tout être humain. Aussi a-t-elle fait le choix de partir et se départir de ses racines sans les oublier pour autant.

Donc « Il fallait bien une racine ailleurs ». 

 

 

© Maggy DE COSTER

 

 

© Crédit photo : Quatrième de couverture avec un portrait photographique de la poète Imèn Moussa, Il fallait bien une racine ailleurs, Éditions l’Harmattan, 2022.

 

 

 

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Pour citer ce texte inédit​​​​​​

 

Maggy De Coster, « Imèn Moussa, Il fallait bien une racine ailleurs, Éditions l’Harmattan, 2020, 144 pages, 15€ »Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°13 | PRINTEMPS 2023 « (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices », Revue Orientales, « Voyageuses & leurs voyages réels ou fictifs », n°2, mis en ligne le 15 février 2023. URL :

http://www.pandesmuses.fr/periodiques/no13/orientales/no2/mdc-racineailleurs

 

 

 

 

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LE PAN POÉTIQUE DES MUSES ET ORIENTALES - dans Numéro 13 O-no2 Amour en poésie Poésie engagée Muses et féminins en poésie
30 janvier 2023 1 30 /01 /janvier /2023 16:42

N°13 | (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices | Critique & réception

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Ô châteaux

 

 

poèmes de Denise le Dantec

 

Recueil publié aux éditions Sans Escale

 

 

 

 

 

 

 


 

Françoise Urban-Menninger

 

Blog officiel : L'heure du poème

 

 

 

 

 

© Crédit photo : Première de couverture illustrée du recueil de Denise le Dantec aux éditions Sans Escale.

 

 

 

Après « Ô saisons », Denise le Dantec complète le vers de Rimbaud « Ô saisons, Ô châteaux » tiré des Illuminations pour titrer son nouveau recueil « Ô châteaux » . Si l'on perçoit dans le vers de Rimbaud la sensation du temps qui passe  dans ce « Ô saisons », l'on pressent dans « Ô châteaux », celui de la rêverie intérieure car nul doute que pour l'autrice « le poème doit être capable de se recréer et de se compléter sans fin chez son auteur et les autres », comme l'affirmait Juarroz.

 

Pour se recréer, Denise Le Dantec a choisi d'emblée dans « Ô châteaux » de nous faire entrer dans la pleine lumière de la page blanche « Le cahier où j'écris / s'ouvre en fleur / qu'on dirait matière de neige ». Aussitôt, les mots et les images se mettent à floconner telle cette « rivière qui coulait devant la fenêtre ».

L'émerveillement est immédiat,  il nous tient dans un état de grâce  qui confine au pur enchantement « Car chaque mot est un flocon de mimosa ».

Comme chez Rimbaud, il ne semble pas y avoir de lien logique entre les phrases poétiques où les parataxes abondent et pourtant notre intuition et notre inconscient en connaissent le sens.

Quand Denise le Dantec écrit « la lèvre ébréchée d'une tasse brillait », nous nous souvenons avoir vu cette tasse, y avoir bu ici ou ailleurs, maintenant ou hier... Cette tasse à la lèvre ébréchée nous parle du bonheur d'être au monde car si l'autrice reprend dans ses recueils le premier vers d'un poème de Rimbaud dont le sujet n'est autre que le « Bonheur » avec un B majuscule « J'ai fait la magique étude / du Bonheur que nul n'élude », c'est pour nous en offrir dans son recueil la quintessence.

Le Bonheur, indéniablement, a partie liée avec le rêve « Ton rêve sortait de toi en un flux de lumière » et pourtant, l'autrice de nous confier « le soleil est / derrière moi » ou encore « le jour diminue / des choses qui tombent / des conflits arbitraires / des débris / _la pacotille de nos vies / (j'ai peine à dire ) »

Le blanc de la page laisse parfois place à des 'lieux vides » (Leerstelle) comme les appelait Wolfgang Iser. Dans ces lieux, le poème s'ouvre au monde « 1000 réfugiés attendent à l'aéroport », se referme sur « un vent d'olivier », se rouvre « les tours de verre explosent »... « Des éclats partout », reprend Denise le Dantec car la fameuse tour d'ivoire du poète n'est qu'une fable qui ne peut résister à cette réalité tangible dont les fausses notes troublent parfois la  musique du monde. Dans sa « Poétique de la rêverie », Bachelard n'annonçait pas autre chose quand il tentait d'approcher « la complexité humaine «  qui « mêle imaginaire et réalité ».

Dans un même esprit, Laurent Zimmermann, préfacier de ce recueil, nous éclaire à propos du rôle du poème « La seule chose dont il se soucie, et qu'il a pour charge de réactiver sans cesse, est le réel et notre emportement vers lui ».

Denise le Dantec  met sur le même plan « la floraison d'une petite rose/ dans les interstices du givre » que ce qu'écrit M.B : « le mieux est de déclencher/ l'inflation partout » car c'est la vie même, sa respiration qu'elle transcrit dans sa poésie sans fioriture.

La traversée du poème et celle de sa vie se conjuguent pour illuminer la page blanche où son âme ricoche pour appréhender « Une dimension d'éternité ». À nous d'en recueillir les flocons de lumière car toujours le Bonheur renaît dans cet ouvrage qui nous enivre de beauté et dont le dernier vers nous fait signe « Le dernier rayon de soleil est apparu à minuit ».

 

 

© Françoise Urban-Menninger

 

 

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Pour citer ce texte inédit​​​​​​

 

Françoise Urban-Menninger​, « Ô châteaux, poèmes de Denise le Dantec. Recueil publié aux éditions Sans Escale »Le Pan Poétique des Muses | Revue féministe, internationale & multilingue de poésie entre théories & pratiques : N°13 | PRINTEMPS 2023 « (Auto)Portraits poétiques & artistiques des créatrices », mis en ligne le 30 janvier 2023. Url :

http://www.pandesmuses.fr/no13/fum-chateaux

 

 

 

 

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