Crédit photo : The Dance of Apollo with the Muses, Baldassarre Peruzzi
ISSN = 2116-1046
Revue féministe de poésie
électronique et apériodique
©www.pandesmuses.fr
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Sommaire
Nelly Taza & Dina Sahyouni
♦ Éditorial
Michel R. Doret
Ma muse & Que serais-je sans toi |
Souad Yacoub Khlif
Ma muse |
Mon poème est mauvais, mais je n’y suis pour rien
Ma muse m’l’a dicté et elle n’était pas bien.
La garce, elle me joue toujours de sales tours
Et menace de s’en aller au petit jour.
L’autre soir en fureur, elle me dit en hurlant :
Prince des nuées, fais seul un vers même blanc
Moi je fous le camp, adieu petit fainéant.
Depuis, je tourne en rond avec mon papier blanc.
Mon poème est mauvais, mais je n’y suis pour rien
Ma muse m’l’a dicté et elle n’était pas bien.
Que serais-je sans toi |
Un tohu a besoin d’un bohu
Pour faire du chahut.
Mieux peut faire mieux
S’il est suivi d’un mieux.
Au train, ajoutez son sosie,
Vous comprendrez l’ennui.
Frou sans frou
Ne serait pas doux.
Pour faire une queue,
Remplacez loup par leu,
Ajoutez à leu leu.
Pour citer ces poèmes
|
Souad Yacoub Khlif, « Ma muse » & « Que serais-je sans toi », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : Dossiers « Poésie des femmes romandes », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], mis en ligne le 31 octobre 2012. Url. http://www.pandesmuses.fr/article-n-2-ma-muse-que-serais-je-sans-toi-111272295.html/Url. |
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Lien n°2
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Auteur(e) |
Souad Yacoub Khlif, anncienne élève de l’École Normale Supérieure de Tunis, docteur ès lettres, spécialisée dans l’œuvre de Pierre Michon, maître-assistante à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse, Souad Yacoub Khlif a participé à plusieurs colloques et elle publie dans des ouvrages collectifs et des revues littéraires comme Champs du signe, Itinéraire, Mawarid… Passionnée de littérature et de poésie qu’elle enseigne aux étudiants depuis trente ans, elle compose des « poèmes » pour son propre plaisir car, pour elle, la poésie est avant tout un jeu. En témoignent ces deux petits poèmes qu’elle vous fait parvenir. Le premier poème « Ma muse » est un avertissement, une forme de dérision. Le deuxième, est un jeu avec les mots, entre les mots. Il y a une histoire d’amour, un mot peut dire à un autre « Que serais-je sans toi ». Souad Yacoub Khlif est très sensible au pouvoir de la poésie de libérer les mots, de les faire chanter. |
Pierrette Micheloud : la femme est l'avenir de l'humanité |
Catherine Dubuis
Parents de sève montagnarde :
Elle du Jura bernois
Lui des Alpes valaisannes
Elle du vert sombre des sapins
Lui des mélèzes danse du vert tendre
Elle d’une eau qui se récolte
Goutte à goutte dans le calcaire
Lui de celle multiflore
Des torrents joueuse de rien1.
Le 6 décembre 1915, Pierrette Micheloud naît à Romont, dans le canton de Fribourg, d’un père valaisan et d’une mère jurassienne. La nature, la montagne en particulier, sera à l’horizon de toute son existence et nourrira une grande partie de son écriture poétique. Elle fait ses études primaires, secondaires et gymnasiales d’abord à Neuchâtel, où vivent ses grands-parents maternels, puis à Lausanne où son père, négociant en tissus, s’est installé.
Très tôt perce chez elle l’intime sentiment de sa différence, qui se marque par sa volonté d’indépendance et son goût précoce pour les jeunes femmes : « La “différence” a toujours une raison. Il ne s’agit donc ni de la refouler, ni d’en avoir honte, mais au contraire de s’enrichir de tout ce qu’elle peut apporter de spécial et de nouveau. J’ai chanté la mienne à travers ma poésie depuis toujours2.». C’est lors d’un séjour en Angleterre, juste avant la Deuxième Guerre mondiale, qu’elle rencontre son premier amour. La Femme, souvent rêvée, sera l’icône privilégiée de sa poésie ; la femme réelle lui causera à maintes reprises de douloureuses déceptions. La mystérieuse alchimie de l’écriture poétique transformera ces expériences en un art passionné, foisonnant d’images étranges et de fulgurances prophétiques.
Pendant la guerre, elle suit des cours de littérature à l’université de Zurich et de théologie à l’université de Lausanne. Puis, en 1945, paraît son premier recueil de poésie, intitulé Saisons, encore très marqué par l’influence de ses lectures favorites, Baudelaire, Verlaine, voire le Hugo intimiste des Contemplations :
MER
Ton âme a la tristesse d’une mer du nord,
Mais d’une mer qui garde, en ses eaux ténébreuses,
Le souvenir ardent de chaque rayon d’or
Que le ciel y versa aux heures lumineuses…
Ton âme a la tristesse d’une mer du nord3.
Suivent ensuite très régulièrement Pluies d’ombre et de soleil (1947), Sortilèges (1949), Le Feu des ombres (1950). Syntaxe, vocabulaire et thèmes font alors songer à Valéry, ou à Mallarmé :
PLUIES
Pourrais-je t’apporter, à toi qui sais l’atroce
Brûlure de l’espace où germe un bleu poison,
Pour en tisser joyeuse à ton âme précoce
Un nimbe de clarté, la blanche effeuillaison
Des pétales de lune et dans l’heure où tu pries
Comme un saule courbé d’un silence amical,
Te faire pressentir en sourdine les pluies
D’impalpable pollen de songe sidéral ?4
Le lien qui unit Pierrette Micheloud à sa famille, son père, sa mère, sa sœur, est extrêmement profond et exigeant. C’est peut-être pour échapper à cette prégnance, qui menace l’expansion de son talent, que l’artiste s’établit à Paris, au début des années cinquante, pour écrire et peindre. Elle n’y connaît pratiquement personne ; sa solitude est grande, mais propice au travail, qu’elle va poursuivre avec acharnement. La quête de la vraie parole poétique, ou du moins de sa propre voix, sera la préoccupation essentielle de ces années de formation. Elle exerce aussi le métier de critique littéraire, ayant à cœur de mettre en valeur l’œuvre de ses compagnons les poètes, qu’elle servira admirablement tout au long de son existence. Montagnarde égarée dans la capitale française, elle adoucit son exil en transformant ses logements successifs en intérieurs de chalets valaisans. Et chaque été, elle part se ressourcer dans son canton d’origine, après avoir passé à Belmont, au nord de Lausanne, dans la maison familiale, quelques moments de tendresse retrouvée.
En 1952, elle publie son cinquième recueil, Simouns, écrit pendant trois mois de retraite au fond d’un val valaisan, dans un chalet rustique au confort minimum, entre forêt à pic et torrent bouillonnant, cadre qu’elle affectionne entre tous, et sans doute propice à la poursuite de sa quête poétique. Ce recueil marque une nette rupture avec la prosodie classique des livres précédents, et l’intrusion de nouveaux thèmes, liés à l’actualité d’après-guerre (bilan des désastres, désirs de paix, regards vers l’avenir) :
IL NE FAUT PLUS…
[…] Les bras qui ont tué
N’ont plus de force pour la charrue.
Ni pour les gerbes de froment.
Trop de cris traînent dans leurs artères,
Trop de taches de sang
Brûlent leur peau.
Ceux qui plantent des épingles sur les frontières
Ont-ils le droit
De pousser les autres à tuer ?
Il ne faut plus que les hommes tuent.
Il faut des bras purs pour la charrue5.
Dès 1953, année où elle publie Points suspendus, son premier recueil écrit à Paris, elle renoue avec la tradition des troubadours : chaque été, elle parcourt à bicyclette les vallées valaisannes, de village en village et, le soir, elle dit ses poèmes, devant un public étonnamment attentif de villageois et de vacanciers. Puis elle dédicace ses livres en trinquant avec ses futurs lecteurs. Ainsi se répand, de val en val, de village en village, la Poésie.
Férue d’astrologie, disciple de Jung, Pierrette Micheloud publie, en 1957, un Dictionnaire psychanalytique des rêves, dont elle illustre la couverture d’un dessin de Leonor Fini, la peintre surréaliste qu’elle admire profondément. La numérologie la tente également ; elle ne cessera d’attribuer une signification particulière au nombre « 6 », date de sa naissance, ou au « 9 », nombre « parfait », inverse du premier. La nature, autre source, et plus précisément les fleurs de l’alpe, se révèlent dans toute leur diversité et leur mystère dans Passionnément, recueil de poèmes en prose, paru en 1960.
Le talent de Pierrette Micheloud pour la prose poétique éclate ici, soutenu par la vibrante passion qu’elle porte aux éléments naturels. Ces textes seront repris des années plus tard, retravaillés, remodelés, « reforgés » au creuset du poète, sous le titre Seize fleurs sauvages à dire leur âme (2001) :
GENTIANE
Quel chevalier attends-tu, coupe patiente et sage ? Pour qui ce philtre qui transmue l’âme planétaire en vertige de soleil ? Coupe vide pourtant à nos yeux profanes, à moins que ne la remplisse une eau de nuage, dont se désaltère l’insecte.
Quel chevalier attends-tu ? Aucun bruit de galop ne nous apporte le vent. Mais toi, l’entendrais-tu ? Ta forme de Saint-Graal doit peupler ton attente de mille voix enfouies dans le lointain des légendes. Lancelot du Lac, Parsifal, leurs ombres sont devenues flammes aux carrefours des constellations. Et ces géants, là-bas, qui brandissent leur épée ? Merlin l’Enchanteur les a fait surgir du roc. Ils se cherchent un visage qui ne ressemble à personne, tandis que le cygne de Lohengrin, messager de lumière, trace dans l’azur un sillage de joie. C’est à la blanche solitude de cet oiseau solaire que tu immoles ton cœur où s’affrontent les divergences terrestres, noires blessures, traversées de foudre.
Tu ne sais pas au juste quelle époque tu vis, ni de quel songe tu viens. N’es-tu pas tout aussi bien la nuit bleue des rois mages et l’étoile qui les guide ? Et puis cette autre coupe encore, d’amer breuvage, qui hante les heures longues de Gethsémané. […]6
La fin des années cinquante voit l’élaboration, chez la poète, d’une eschatologie très particulière. Quand l’humanité aura achevé sa révolution et sera arrivée au terme de son cycle terrestre, elle verra la venue de la Grande Gynandre (ou parfois Gynandrade), plus parfaite que l’androgyne, parce que femme, et qui règnera sur les hommes et les femmes unis dans la paix et la sérénité. Mais ce temps n’est pas encore venu, loin de là : il faut lutter pour cet avènement, et l’une des armes de ce combat est précisément la Poésie, éveilleuse de consciences :
Je suis songe unifié : le fœtus
que la reine-roi porte en espérance
du fond de l’En-soi, la fin du couple.
Je suis la Gynandrade future.
Patience jusqu’à l’aurore,
amour7.
Le 20 juin 1963, Pierrette Micheloud perd son père ; cette date fatidique l’accompagnera tout au long de sa vie : elle la rappelle année après année dans ses Journaux, et célèbrera le dernier regard de ce père très aimé dans un beau poème intitulé « Tant qu’ira le vent », paru en 1966 :
Tant qu’ira le vent, je serai questionnée
Par ce regard en amont du souvenir
Où passaient peut-être (comme dans l’été
Ces blanches vapeurs d’eau presque de soleil
Et comme à vol d’aigle), de lentes montagnes
Sorties de leur passé plus loin que la nuit8.
En 1964, elle fonde avec Édith Mora le prix de poésie Louise Labé, dont elle assumera la présidence de 1985-1999, et dont le premier lauréat suisse sera, en 1979, le poète genevois Jean-Georges Lossier, pour Le long Voyage9. Lossier restera lié à la poète jusqu’à sa mort, en 2004. Cette même année, Pierrette Micheloud publie un livre qui aura un grand succès public, Valais de cœur, proses poétiques étincelantes sur son pays d’origine. Elle obtient le prix Schiller, récompense à l’échelle nationale suisse, et le grand prix rhodanien de littérature.
De 1969 à 1976, elle est rédactrice en chef de la revue La Voix des Poètes, fondée et dirigée par Simone Chevallier ; elle collabore activement à la rédaction d’articles pour la collection « Les Pharaons », nom choisi pour ce qu’il signifie à l’origine : les poètes éveilleurs de consciences. Sa foi en la mission poétique, élévatrice de la conscience humaine, ne lui fera jamais défaut.
Son œuvre commence à être reconnue : elle obtient le prix Arcon de l’Académie française et le prix Robert Hennequin de la Société des gens de Lettres pour son livre Tout un jour toute une nuit, paru en 1974. Elle passe l’été 1976 en Valais, dans le chalet d’une cousine, pour écrire L’Ombre ardente, livre de souvenirs qui ne paraîtra qu’en 1995. Son enfance et son adolescence y sont évoquées en alternance ave le présent, dans ce témoignage qui «met son âme à nu», selon ses propres dires. En 1979, elle publie Douce-Amère, qui lui vaut à nouveau un prix Schiller en 1980. Le terreau de l’enfance se révèle toujours fécond, d’où jaillit le poème :
POMMIER MA BELLE ECHARPE
Le pommier de ma grand’mère
Entre dans la chambre avec
Ses pommes, ses oiseaux, ses
Bêtes à Bon Dieu, ses pierres
De lune et de soleil, par
La fenêtre côté lac
Ses échelles ses paniers
Ses rires enserpentés
De douce-amère, et le bec,
Du pivert qui frappe ses lettres
Sur l’écorce comme naguère10.
Ce rappel de l’enfance voisine avec les visions apocalyptiques, qui trouvent leur source dans ce que la poète appelle sa mémoire antérieure, ou cosmique, et qui ont souvent des accents subversifs :
L’OBSCURCISSEMENT DE LA LUMIERE
Quand la Terre marchait de sa propre marche
Sous la marche laineuse
Des grandes peuplades de bisons
Là-bas où la femme et l’homme
Ressemblaient à des oiseaux
Où l’herbe était de neige verte,
Rien ne pouvait faire penser
À cet immense cri mort
Que porte le vent
À l’infini des toundras.
Ils sont venus le fer aux dents
Et leur petit Jésus de porcelaine
Cupides et féroces
Ils venaient du continent
Qui fait peur aux étoiles11.
La poésie n’est pas la seule activité créatrice de Pierrette Micheloud. Depuis de nombreuses années, elle peint, et connaît sa première exposition personnelle en 1983 à la galerie Horizon, à Paris. Ses toiles très colorées révèlent les métamorphoses que la vision très originale de la peintre impose aux éléments du monde réel. Elle exposera encore à Sion, en Suisse (1984), puis à Denges (Suisse, 1987), puis de nouveau à la galerie Horizon ainsi qu’à Lausanne (1988). Et la liste n’est pas close. Une jeune éditrice, Astrid Mirabaud, tombe amoureuse de ces peintures et édite, en 1984, Entre ta mort et LA VIE, poèmes et dessins de l’auteure.
Un grand bonheur lui échoit en 1984 également : elle reçoit le prix Apollinaire pour Les mots la pierre, poèmes qui se nourrissent du symbolisme de son prénom et dessinent la tâche du poète :
Qui veut te travailler
Pierre de l’obscure pierre
Doit aussi te chanter
Le chant est chair de la lumière12
Le 2 août 1988, sa mère meurt, laissant Pierrette désemparée. Ce deuil sera encore plus difficile à assumer que celui du père, l’absence se fera plus douloureusement sentir. Heureusement qu’elle peut partager ce chagrin avec sa sœur Edmée, proche par le sang, l’affection et la création artistique : car Edmée, en plus de son talent musical (elle est violoniste), crée des mosaïques faites de galets arrachés au Rhône ou à des rivages plus lointains (Italie du nord). Pierrette Micheloud et Edmée Girardet-Micheloud exposeront conjointement leurs œuvres, notamment en 1996 à Vex, en Valais. Les deux sœurs ne seront séparées que par la mort de Pierrette, en 2007.
Le recueil intitulé Elle, vêtue de rien, paru en 1990, laisse éclater au grand jour la préférence de Pierrette Micheloud. Sous l’aile de la grande Sappho, elle chante son amour de la femme, en prenant soin que, dans la deuxième partie du livre, tous les noms soient féminins, ce dont bien peu de lecteurs se sont avisés, regrette-t-elle :
Tisser la fibre impalpable
Qui sera l’étoffe
À te dévêtir. L’attente
Est fleur à mes mains, pensée
De vertes racines13.
Mais tout serait à citer, dans cet admirable recueil, cantique des cantiques dédié, par une femme, au corps et à l’âme de la femme. La strophe choisie, déjà utilisée dans Entre ta mort et LA VIE, est celle du tanka (cinq vers) qui alterne avec le sedoka (sept vers), courts poèmes de forme japonaise ancienne :
Rose de nos terres jointes
Solitude close
Vibrant aux orgues charnelles
Rose dans la rose
La pénultième caresse14.
Les années 1991 et 1992 lui apportent le prix Foulon-de-Vaulx de la Société des Gens de Lettres pour l’ensemble de son œuvre, et la Médaille d’Argent de la Ville de Paris. En amont de l’oubli, recueil paru en 1993, témoigne de son effort pour « percer la chape d’obscurité que la naissance a jetée sur la mémoire de lointaine origine, remonter le cours de l’oubli, retrouver l’aire où l’on se souvient15 ».
TERRE, ton nom
De mère et d’enfant
Quand à l’aube soudaine
Tu berças dans le vent
Tes premiers fruits.
Leur goût vierge
Cette acidité sucrée
Célébrant
Le vert nouveau-né des bromes.
Dans ma tête
Résonnaient encore
Les voix mages des éthers
Autant de cieux
Dont j’aurais, tissant ma toile
À me souvenir.
Un mot se formait : bonheur
Il dépendrait en durée
De cette mémoire16.
Une belle anthologie paraît en 199917. Le choix de poèmes est de l’auteure elle-même, qui développe son parcours au moyen d’une « bibliographie commentée », très précieuse pour les lecteurs. Une substantielle préface est signée du poète Jean-Pierre Vallotton, avec lequel Pierrette Micheloud s’est liée dès le début des années 90 et qui va l’accompagner désormais de son amitié fidèle. Ce volume est couronné par le prix Charles Vildrac de la SGDL en 2000.
Cette même année, le recueil intitulé Azoth18décline les tons, les rythmes et les couleurs que la fascination pour l’alchimie fait naître sous la plume de la poète. En témoigne ce poème, qui contient quelques-uns des thèmes centraux de l’œuvre :
L’hiver dans leur chambre
Tapissée de foin d’ombelles
Les marmottes rêvent
De leur prochain réveil. Nous
Âpres somnambules
Des quatre saisons, nous confondons
Le plomb avec l’or.
Le plomb s’est insinué dans l’œil
L’œil n’est plus l’aigue-marine
Amour d’Aphrodite
Transparence émerveillée
Du soleil dans l’eau :
Perception magique
D’une mémoire antérieure19.
En 2002, Pierrette Micheloud donne un nouveau témoignage de son amour du Rhône et de son canton d’origine grâce à une prose poétique intense, Regard sur le Rhône, accompagnée d’aériennes aquarelles de Françoise Caruzzo20. L’évocation du paysage se marie avec le souvenir d’enfance :
Douce est la plaine en sa légère déclive. Juste assez pour l’empêcher d’oublier qu’il descend. Les vignes le saluent. Il saura chanter, le temps venu, leur breuvage de «gai savoir». Oncle Charles cultivait sa parcelle. Aux vendanges, il nous offrait du thé vivifié d’une once de fendant ; la soupe était rosie à la dôle…21
Le prix de consécration de l’Etat du Valais pour l’ensemble de son œuvre vient couronner cette année faste où l’artiste, plus que jamais peut-être, a pu s’éprouver proche d’une terre, d’un pays, elle qui si souvent se sentit exilée ici-bas.
Du fuseau fileur de lin, dernier recueil paru en 2004, contient de poignantes évocations de l’âge qui commence à peser lourdement. Mais la beauté du vers est toujours là.
Un « Exergue » rassemble comme dans une paume l’effort d’une vie entière lovée au cœur de la poésie :
Me riant des modes
J’ai œuvré à déliter le verbe
En sa mémoire de pierre
Y cherchant des éclats de cristal
D’avant la première mort22.
Un bel hommage aux parents :
M’avoir fait venir
De l’infini du cosmos !
Combien dûtes-vous
En la nuit nuptiale vous aimer !
C’est lui, cet amour
Qui m’a prise dans ses rais ;
Eon, étais-je, à m’emplir
De la proximité du Mystère…23
voisine avec la nostalgie du temps envolé :
Où êtes-vous, chers visages
Qui chantiez
Dans les myrtilliers ?
Le courant des flots m’emporte
Je ne puis revenir en arrière.
Vous aussi, jeunes visages
De ma jeunesse, le fleuve
Vous a travaillés.
Vous n’êtes plus ceux de vos reflets
Sur la pierre cristalline.
Mais loin déjà, le regard
Creusé d’immensité vierge24.
Nostalgie, mot-clé de cette vie, nostalgie d’un monde d’avant ce monde, dont elle a cru trouver le reflet dans le Valais de son enfance. C’est aussi ce mot qui figure dans le titre de son dernier récit, tout entier consacré au souvenir des dix années qu’elle a partagées avec sa petite chienne Saugette25, de 1967 à 1977.
Le 14 novembre 2007, emportée par un cancer, Pierrette Micheloud décède à Cully, entourée de sa sœur et de ses amis proches, parmi lesquels Jean-Pierre Vallotton, auquel sera confié le soin de faire rayonner l’œuvre de cette remarquable artiste au delà de sa disparition.
Peu avant sa mort, Pierrette Micheloud avait déposé ses archives à la Médiathèque Valais-Sion et présidé à la création d’une Fondation qui porte son nom et décerne un prix annuel de poésie ainsi qu’un grand prix triennal, dont les deux premiers lauréats ont été René de Obaldia et Yves Bonnefoy.
En guise de mot de la fin, voici encore cette adresse à une des neuf muses :
URANIE
Bergère d’étoiles
Aux lisières des cieux qui s’éloignent…
Pour te rejoindre je marche
Sur le fil tendu
Que mon amour file
Entre ma vie et la tienne.
Je t’aime depuis avant
De savoir ton nom.
L’enfance aux larges fenêtres
Où tu passais, emplissait mes yeux
De la poussière dorée
Soulevée par tes troupeaux26.
Œuvres de Pierrette Micheloud |
Saisons, poèmes, Lausanne, Éditions Held, 1945. Pluies d’ombre et de soleil, poèmes, Lausanne, Éditions Held, 1947. Sortilèges, poèmes, avec un dessin de l’auteure (autoportrait), Lausanne, éd. des Rivières, 1949. Le Feu des ombres, poèmes, Lausanne, éd. des Rivières, 1950. Simouns, poèmes, Lausanne, éd. des Rivières, 1952. Points suspendus, poèmes, Paris, éd. Pierre Seghers, 1953. Dictionnaire psychanalytique des rêves, avec la reproduction d’un tableau de Leonor Fini en couverture, Paris, Les Nouvelles Éditions Debresse, 1957. Ce double visage, poèmes, Malines (Be), Éditions du C.E.L.F., 1959. Passionnément, seize fleurs sauvages, poèmes en prose, dessins de Claire Finaz, Neuchâtel, éd. La Baconnière, 1960. L’Enfant de Salmacis, poèmes, avec un dessin de Leonor Fini, Paris, Les Nouvelles Éditions Debresse, 1963. Valais de cœur, proses poétiques, photographies de Jean-Jacques Luder, Neuchâtel, La Baconnière, 1964. Tant qu’ira le vent, poèmes, avec un dessin de Gromaire en couverture, Paris, éd. Seghers, 1966. Tout un jour Toute une nuit, poèmes, Neuchâtel, éd. La Baconnière, 1974. Douce-Amère, poèmes, Neuchâtel, éd. La Baconnière, 1979. Les mots La pierre, poèmes, Neuchâtel, éd. la Baconnière, 1983. Entre ta mort et LA VIE, poèmes, avec 40 ill. en couleurs de l’auteure, Anières (Ge), Éditions Pourquoi pas, 1984. La Cerisaie, poème, Sauveterre-du-Gard (Fr), éd. La Balance, 1990. Elle vêtue de rien, poèmes, avec un dessin de l’auteure en couverture, Paris, éd. L’Harmattan, 1990. En amont de l’oubli, poèmes, avec un dessin de l’auteure en couverture, Paris, éd. L’Harmattan, 1993 L’Ombre ardente, témoignage, Sierre, Monographic, 1995. Pas plus que la neige, poèmes, avec des dessins d’Erik Bersou, Neuilly-le-Bisson (Fr), éd. Gravos Press, 1998. Poésie 1945-1993, avec la reproduction d’un tableau de l’auteure en couverture, Lausanne, éd. L’Âge d’Homme, 1999. Azoth suivi de Mélusine, poèmes, avec une illustration de l’auteure en couverture, Marchainville (Fr), Proverbe, 2000. Seize fleurs sauvages à dire leur âme, poèmes en prose, photographies couleurs de Didier Bruchez et Egidio Anchisi, Saint-Maurice, Éditions Pillet, 2001. «Suite en mineur», 20 poèmes inédits, Québec, in Lèvres urbaines no 33, 2001. |
Regard sur le Rhône, prose poétique, avec des aquarelles de Françoise Carruzzo, Ayer (Vs), Editions Porte-Plume, 2002. |
Du fuseau fileur de lin, poésie, Sierre, Monographic, 2004. Nostalgie de l’innocence, récit, Vevey, Éditions de L’Aire, 2006. |
À consulter sur Pierrette Micheloud |
Présence de Pierrette Micheloud, publié sous la direction de Jean-Pierre Vallotton, Sierre, Monographic, 2002.
Pierrette Micheloud, Choix de poèmes (1952-2004), établi et présenté par Jean-Pierre Vallotton, Lausanne, éd. L’Âge d’Homme, 2011. |
Notes |
1 Douce-Amère, Neuchâtel, La Baconnière, 1979, p. 12. 2 Quatrième de couverture de L’Ombre ardente, Sierre, Monographic, 1995. 3 Saisons, Lausanne, Éditions Held, 1945, s.p. 4 Sortilèges, Lausanne, Éditions des Rivières, 1949, p. 25. 5 Simouns, Lausanne-Paris, Éditions des Rivières, 1952, p. 30. 6 Passionnément, Neuchâtel, éd. La Baconnière, 1960, p.14. 7 Tout un jour toute une nuit, Neuchâtel, éd. La Baconnière, 1974, p. 38. 8 Paris, Seghers, p.55-56. Tant qu’ira le vent obtient en 1966 le prix Edgar Poe. 9 Lausanne, éd. L’Âge d’Homme, 1979. 10 Neuchâtel, éd. La Baconnière, 1979, p. 37. 11 Ibid., p.86. 12 Neuchâtel, éd. La Baconnière, 1983, p.47. 13 Paris, éd. L’Harmattan, 1990, p. 25. 14 Ibid., p.53. 15 Poésie, Lausanne, éd. L’Âge d’Homme, 1999, p. 14. 16 En amont de l’oubli, Paris, éd. L’Harmattan, 1993, p. 11. 17 Poésie 1945-1993, Lausanne, éd. L’Âge d’Homme, 1993. 18 Azoth, suivi de Mélusine, Marchainville, Éditions Proverbe, 2000. 19 Op.cit., p. 11. 20 Ayer, Éditions Porte-Plumes. 21 Ibid., p.30. 22 Sierre, Monographic, 2004, p. 7. 23 Ibid., p. 18. 24 Ibid., p. 22. 25 Nostalgie de l’innocence, Vevey, éd. L’Aire, 2006. 26 Du fuseau fileur de lin, op.cit., p. 71.
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Pour citer ce texte |
Catherine Dubuis, « Pierrette Micheloud : la femme est l'avenir de l'humanité », in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques: Dossiers « Poésie des femmes romandes », « Muses & Poètes. Poésie, Femmes et Genre », n°2|Automne 2012 [En ligne], (dir.) Michel R. Doret, réalisé par Dina Sahyouni, mis en ligne le 31 octobre 2012. Url. http://www.pandesmuses.fr/article-n-2-pierrette-micheloud-la-femme-est-l-avenir-de-l-humanite-111275198.html/Url. http://0z.fr/2y5gy |
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Auteur(e) |
Catherine Dubuis
Esquisse biographique : Catherine Dubuis est née à Lausanne, où elle accomplit toute sa scolarité, couronnée par une licence en lettres classiques (latin-grec) à l’Université de Lausanne. Après quelques séjours en Grèce, aux Pays-Bas et à Brunei (sultanat au nord de l’île de Bornéo), elle enseigne en qualité d’assistante à la section de français moderne de la faculté des lettres de l’Université de Lausanne, puis, comme chargée d’enseignement, à la section de français langue étrangère de la même faculté. Elle passe six mois en Chine (Xian) dans un Institut de langue, à enseigner le français et prend sa retraite au début des années 2000. En plus des trois biographies citées plus haut, elle est l’auteure de nombreux articles de critique littéraire dans différents périodiques romands.
Œuvres
Les Forges du paradis, histoire d’une vie : Marguerite Burnat-Provins, Vevey, éditions de L’Aire, 1999 ; Vevey, L’Aire bleue, 2010.
Les Chemins partagés. La vie de Cilette Ofaire, Lausanne, éditions Plaisir de Lire, 2007.
Une femme entre les lignes. Vie et œuvre de Clarisse Francillon, Lausanne, éditions Plaisir de Lire, 2012.
À paraître : Pierrette Micheloud, Paris, éditions des Vanneaux, coll. « Présence de la poésie ».
De Catherine Dubuis et Pascal Ruedin
Marguerite Burnat-Provins, Lausanne/Martigny, Payot/Association des Amis de Marguerite Burnat-Provins, 1994. |
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