Éditorial du n°1
Poésie, Danse & Genre
Un champ à labourer
Nelly Taza
La poésie comme la danse sont des substantifs féminins mais les histoires mythiques de ces deux arts ne sont pas vraiment identiques. Le dieu Apollon qui préside à la poésie avec les Muses est comme Orphée une figure masculine et première de la poésie mais non pas de celle de la danse.
Zonage de la revue
Comme vous le savez, la revue pratique le zonage, ce numéro est divisé en dix zones : Le numéro commence par l'Hors-zone ou le Bémol artistique où l'on trouve deux espaces consacrés au spectacle Fusion, nos invité.e.s sont les artistes Leïla Da Rocha et Patrick Dupond.
La deuxième zone est celle des articles du dossier majeur (Poésie, Danse & Genre) puis ceux du dossier permanent (Muses & Poètes. Poésie, Femmes & Genre). La troisième est dédiée à l'excellence poétique, c'est le territoire de l'invité d'honneur de la revue le poète-auteur et l'universitaire Jean-Michel Maulpoix. La quatrième est celle de l’entretien où la revue reçoit l’artiste-peintre Filomena Salley. Quant à la cinquième zone, elle est celle des poèmes des dossiers, on y trouve des poèmes sur la danse, le genre et les femmes. La revue accorde toutefois une exception aux poètes jeunes. La sixième est consacrée à la poésie érotique. La septième est celle de l'Instant poétique en compagnie de... Il s'agit de parler de vos plus beaux souvenirs poétiques. La huitième est réservée à la parution des ouvrages sur les femmes et le genre en sciences humaines et sociales . Dans la neuvième zone, on vous adresse des invitations où vous pourriez vous laisser influencer par nos choix culturels. Et la dixième est celle de l'actualité poétique de la revue, on y trouve des appels à contribution et informations variées .
« La poésie fait danser les mots »
On dit que les poètes font danser les mots et pourtant cette même idée a été considérée comme insensée ou prétentieuse de la part de l'académicien François Arnaud dans une séance publique de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres comme l'on voit bien dans la notice citée au-dessous des Mémoires secrets (dits à tort) de Bachaumont :
12 novembre 1762. L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a tenu aujourd’hui sa séance publique de rentrée après la st Martin. M. Schmidt a remporté, pour la septième fois, le prix, roulant sur l’Antiquité de l’Égypte.[...] [Le mémoire] de M. l’abbé Arnaud sur les anciens Grecs, est encore plus ridicule. Il traite de leur origine, de leur usage, du rapport qu’ils ont avec la musique. Il prétend que la poésie fait danser les mots. [...]
Et dire que les rédacteurs de cette chronique n'ont pas pu aller contre les préjugés pour donner raison à l'auteur qui exposait une idée que l'on trouve chez nos contemporains comme c'est le cas de René Barbier :
Ainsi l'image poétique est une vague de la pensée au cœur de l'être humain. Elle le remplit d'une immensité étoilée et lui ouvre les portes vers la connaissance de son origine la plus secrète. Le poète fait danser les mots et onduler les images car il pense le rythme éternel du Monde.
C'est ainsi que ce numéro de la revue LPpdm vous livre un aperçu de l'évolution d'un champ de recherche qui demeure d'actualité (qui est la poésie et la danse). C'est ainsi aussi que ce numéro vient éclairer et défricher un champ de recherche prometteur qui n'est que la poésie, la danse et le genre ou comment comprendre les liens entre la poésie et la danse par le biais des théories féministes.
Dérouler le numéro
Nous vous présentons aujourd'hui un numéro issu de maints efforts de personnes et des lectures interprétatives qui peuvent paraître contradictoires mais elles sont en fait complémentaires. Les articles choisis viennent scinder certains axes de l'argumentaire et en élargir les limites.
Même si le questionnement reste palpable et à compléter par d'autres précisions et numéros à venir, nous sommes touché.e.s par la volonté déployée par nos auteur.e.s pour vous offrir des moments de lecture instructive qui allie la rigueur universitaire et la sensibilité artistique.
Comme le dossier et les poèmes du thème majeur portent sur la danse, la poésie et le genre, les poèmes sélectionnés sont aussi l'occasion de confronter les théories aux pratiques. Ils viennent non seulement pour témoigner de la richesse et de la variété des inspirations poétiques mais aussi pour renouveler un questionnement vieux comme le monde et pour en régler d'autres reconfigurant nos visions d'un champ à labourer. Les textes poétiques remplissent ainsi parfaitement leur rôle d'intervalles et d'ouverture vers d'autres territoires à explorer.
Les articles et poèmes du thème permanent sont l'autre facette de cette revue dotée d'une structure mouvante et évolutive. C'est un long processus de mise à nu d'une histoire en perpétuelle évolution, c'est le territoire de la révolte, de la reconnaissance, de la sensibilité, de l'autre, de toutes les représentations et de toutes les lectures-modes du sensible. Là-dedans, se joue le pan des muses, à travers le labour et la pensée multiple, évanescente du présent lié au passé et façonnant l'avenir. Où toute notre pensée s'articule à travers le travail des liens tissés entre le temps majeur mobile, actualisé et le temps permanent ou le rythme silencieux, répétitif qui constituera l'habitus autant que son épistèmê...
La pause se noue dans les autres territoires qui complètent le paysage poétique, artistique et idéologique de la revue. C'est ainsi que le Bémol offert par nos artistes Patrick Dupond et Leïla Da Rocha ouvre le numéro par un pas de deux, une passerelle poétique entre l'Orient et l'Occident. La représentation de Fusion est celle de la poésie qui fait danser les corps et les corps qui s'aiment, se dialoguent, se transcendent à travers la danse des mots...
Michel Briand, vous présente des intermèdes à y réfléchir. Ses lectures succinctes des scènes nous renseignent sur les théories et les enjeux post-modernes du thème majeur. Angèle Bassolé-Ouédraogo vous transporte chez Celles qui font danser les mots tout en exposant une analyse percutante et nouvelle de ce qui lie les femmes, les hommes, la danse, la poésie et le genre dans une Afrique plus que jamais dévoilée comme une source d'espoir en jouant un rôle essentiel dans le renouveau artistique, littéraire, universitaire et humaniste. Si Yves Citton nous permet par son article d'actualiser notre regard sur l'idée même d'être artiste et d'être poétesse, il ne manque pas d'apporter une touche innovatrice au regard porté sur l'autre nommée lesbienne.
Céline Torrent vous propose en deux temps, une lecture plus qu'enrichissante sur la danseuse et la théorie mallarméenne sur la danse par l'intermédiaire des textes de la danseuse-théoricienne Wlifride Pillolet. Tatina Julien et Alexandre Salcède vous présentent en avant-première une lecture innovante à lire en écho avec le travail de Céline Torrent. C'est leur capacité à rendre l'indicible du corps dansant qui nous paraît important à souligner comme d'ailleurs la démarche qui va de la danse des mots à celle des corps. C'est ce que la poésie apporte à la danse qui est l'objet de cet article. Jo Laporte, quant à lui, réunit pour vous un ensemble de textes de plusieurs siècles qui démontre comment les femmes poètes pensent le mythe d'Adam et Ève.
La préface d'Anne Dacier rapportée est celle de son travail de traductrice des poètes grecs et latins, elle nous livre dans ce texte pertinent ses convictions, ses jugements et son opinion sur les difficultés à traduire les poèmes tout en révélant, dans ce texte comme dans ses autres textes (ex. Les causes de la corruption du goût), des problématiques modernes mais cette fois-ci le questionnement est présenté par une polyglotte, savante et humaniste.
Patricia Izquierdo signe une excellente enquête sur les femmes poètes de la Belle Époque complétant ainsi la toile théorique tissée par les deux dossiers de la revue. Et Jean-Michel-Maulpoix, nous accorde en deux temps un modèle à imiter : le texte théorique témoigne de ce que c'est penser la poésie moderne, quant aux poèmes en prose, ils dévoilent ce que c'est écrire. Son texte théorique traite de la poésie moderne et de la nécessité de penser le « lyrisme critique » et ses deux beaux poèmes en prose rapportés ici vous parlent des femmes et de la mer. Ces textes sont extraits de son recueil Une histoire de bleu.
Armelle Lerclecq nous a offert comme avant-première un magnifique bouquet poétique fleuri extrait de son recueil Très 1900 (à paraître). Puis vous découvrez le beau souffle poétique d'Angèle Bassolé-Ouédraogo qui vous parle des femmes exilées et les poèmes passionnants et croquants aux couleurs de l'arc-en-ciel de nos poètes : Marie Grossart, Isabelle Voisin, Dina Sahyouni, Fortunée Briquet, Mme de Lauvergne, Marceline Desbordes-Valmore, Patrick Aveline, Fialyne H. Olivès, Jodelle, Damy Tangage, Tatjana Debeljački, Bruno Krol, Siamchinois et Hervé-Léonard Marie.
Je n'oublie point de vous signaler les textes fort intéressants des poètes Jean-Marc Baillieu et Françoise Urban-Menninger. Anne-Sophie Gosselin et Nicole Coppey vous promènent dans les univers de la poésie visuelle revisités par les femmes poètes.
Dans une entrevue intéressante, Filomena Salley et Cyril Bontron vous racontent tout sur l'univers du cabaret, le fétichisme, les femmes et sur plein d'autres choses à découvrir. Mario Portillo Pérez est le poète jeune de ce numéro, ses textes témoignent d'un talent qui s'affirme agréablement. Nadine Le Lirzin a traduit ses poèmes de l'espagnol et nous la remercions pour son aide, cette traduction est à lire en résonance avec le travail d'Anne Dacier sur la difficulté de traduire de la poésie...
La sélection du web est l'occasion de vous donner un aperçu de la prolifération de la poésie grâce à Internet. Les poèmes choisis sont ainsi une esquisse de ce qui nous plaît ailleurs qui mérite d'être présentée à notre lectorat. Puis, on fait une pause poétique avec Louis Latourre qui vous fait part de son plus beau souvenir poétique.
Il reste néanmoins des thèmes qui ne sont pas couverts par des articles dans le numéro présent et nous comptons y revenir ultérieurement, comme par exemple l'histoire de la danse érotique, de sa poésie et de ses danseurs et danseuses. De même, on ne fait qu'effleurer la danse orientale et sa poétique à travers la présence rayonnante de la danseuse-chorégraphe Leïla Da Rocha.
Le numéro ainsi déroulé, en désordre certes mais à travers les échos qu'il procure à la lectrice que je suis, je me retire sur les pointes des pieds pour vous laisser en tête à tête avec celles et ceux qui vous donnent aujourd'hui un champ à labourer ensemble...
Mot de l'auteure :
Tous mes remerciements vont à Dina Sahyouni d'avoir pensé à moi pour coordonner ce numéro, d'avoir rédigé l'argumentaire comme pour son aide, son travail et son énergie indispensables pour de la revue.
Pour citer cet article
Nelly Taza, « Éditorial n°1|Poésie, Danse & Genre : un champ à labourer», in Le Pan poétique des muses|Revue internationale de poésie entre théories & pratiques : « Poésie, Danse & Genre » [En ligne], n°1|Printemps 2012, mis en ligne en Mai 2011.
URL. http://www.pandesmuses.fr/article-un-champ-a-labourer-104514000.html ou
URL. http://0z.fr/eP07n
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Auteur(e)
Nelly Taza